Chapitre 4 - Charlotte

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     Comme je m'y attendais, aucune réponse de Fabien, alors que la fin d'après-midi pointe le bout de son nez. Je sais qu'il a écouté le message car j'ai le marqueur lu qui s'affiche sur l'application. Il est contrarié. Je suis partagée entre la colère et la tristesse. Je pense qu'il ne se rend pas compte de la solitude que je ressens parfois. Après avoir jeté un énième regard sur mon smartphone, je prends mes affaires et éteins mon pc.

— Tu as besoin de repasser chez toi ? me demande Audrey.

— Pas spécialement, je peux y aller habillée comme ça, non ?

— Ouais, ça fait un peu bêcheuse, mais bon, ça passe, puisque tu ne veux pas draguer.

— Tu es drôle quand tu t'y mets tu sais.

— Je sais, répond-elle en me faisant un clin d'œil. Tu rentres avec moi alors, moi j'ai besoin de me changer.

— Ok, je te suis, tu as un casque ?

— Ouais, j'en ai toujours un deuxième au cas où.

     On descend au sous-sol du bâtiment, au parking privé, là où ma meilleure amie a garé sa moto. Une Bandit 1200 bleu métallisée qu'elle bichonne. Je marche derrière elle et la contemple se mouvoir avec ses Dr Marteens, son pantalon en cuir noir et ses longs cheveux verts qui se balancent au rythme de sa démarche. Elle se retourne vers moi, et je ne peux m'empêcher de sourire. Elle est belle, avec son piercing à la lèvre, ses yeux marron charbonneux... son allure rock me fait penser à moi quelques années en arrière. De cette période, il ne me reste qu'un tatouage sur le flan que mon fiancé rêve de voir disparaître sous les lasers, mais tout le reste s'est envolé. Mon anneau dans le nez, mes jeans troués... Je me suis conformée à ce que Fabien souhaitait pour mon bien, par amour. Mais parfois ça me manque tout ça.

— Quoi ? me fait Audrey en relevant un sourcil sous sa frange trop longue.

— Rien, je te trouvais canon, souris-je.

— Ben ouais, toi aussi tu pourrais l'être si t'arrêtais d'essayer de rivaliser avec les tenues de ma grand-mère !

— Connasse ! lâché-je en lui faisant un doigt d'honneur.

— Ahhh là je retrouve ma pote ! Je te préfère comme ça qu'en mode caniche à son papa.

— Tu exagères !

— Presque pas. Tu n'as que vingt-cinq ans. Parfois je te regarde et je vois une dame de quarante ans, je te jure. Je n'aime pas ce qu'il a fait de toi.

— Ne commence pas là-dessus s'il te plait Audrey...

— Ok, fait-elle en mimant une bouche cousue.

     Elle ne sait pas pourquoi Fabien est comme ça avec moi, je n'ai jamais eu le courage de lui dire. Mais moi je sais que c'est sa manière à lui de me protéger.

     On grimpe sur sa moto en direction de son petit studio au quartier du Neudorf. Une fois chez elle, je m'installe sur son canapé en attendant qu'elle se prépare pour le concert. Moi je reste en jean stone avec mon chemisier blanc, c'est classique mais confortable et féminin. Je dénoue mes cheveux ondulés en essayant de les coiffer un peu avec les doigts et réajuste mes lunettes à monture dorée. Mon téléphone se met à sonner et quand je l'extirpe de mon sac main, je constate que c'est Fabien.

— Putain, pile à vingt heures... il n'a pas écouté ton message ou quoi ? braille Audrey depuis la salle de bain.

— Ne fais pas de bruit, je décroche.

Je souffle un bon coup et réponds en mode son uniquement.

— Bonjour ma puce, je crois que tu as appuyé sur le mauvais bouton, on n'est pas en visio, s'amuse faussement Fabien.

— Salut mon chéri, non, j'ai fait exprès, tu n'as pas eu mon message de ce matin ? Je sors avec mes collègues de boulot boire un verre, et on s'apprête à partir alors je n'ai pas beaucoup de temps.

— Je vois ! Tu es déjà avec tes collègues toute la journée et nous on se parle que tous les trois jours par tél... je vois où sont tes priorités...

— Je sors quasi jamais je te signale, je refuse à chaque fois, mais là, je ne me voyais pas encore dire non, c'est bien aussi pour la cohésion d'équipe de parfois boire un verre tous ensemble et parler d'autre chose que le taf.

— Et comme par hasard, c'est le vendredi, là où je peux t'appeler.

— On peut s'appeler demain plus longuement, dis-je sachant que je lance certainement la phrase de trop.

— Tu crois que je m'amuse ici où quoi ? répond-il d'un ton sec. Je bosse comme un malade pour avoir cette promotion et faire mes preuves en tant qu'architecte. Je fais des heures pas possibles pendant que toi tu as un petit taf tranquille à saisir des données et prendre des rendez-vous dans un agenda. Alors quand j'apprends qu'en plus tu préfères boire un verre au bar avec des gens dont tu n'as rien à foutre plutôt que de parler avec ton futur mari... ça me fait penser que tu ne m'aimes pas.

— Bien sûr que je t'aime, qu'est-ce que tu racontes ! Je ne suis pas sortie depuis des mois ! rétorqué-je. Une fois de temps en temps, ce n'est pas énorme.

— Et moi ? Je ne sors pas du tout Charlotte. Je bosse !

— Justement, c'est pour ça que tu ne comprends pas ! Moi mon temps avant c'était toi, et je n'ai plus rien ! J'ai besoin de voir des gens.

— Ça va recommencer comme avant... souffle-t-il.

— Il ne va rien m'arriver ! je prononce en baissant le visage.

— Et je suppose que y'a cette espèce de nympho gothique avec toi ce soir ?

— Elle bosse avec moi, donc oui, et parle d'elle autrement, c'est mon amie.

— Franchement, je ne sais pas ce que tu lui trouves, elle a une très mauvaise influence sur toi et tu ne t'en rends même pas compte Charlotte !

— Je vais devoir te laisser Fabien. On se parle demain ?

— Je ne sais pas si j'aurai du temps demain, c'était aujourd'hui que je m'étais libéré pour toi.

— Ok, alors tu m'appelleras quand tu auras un moment ! dis-je dégoutée.

— Passe une bonne soirée ! crache-t-il presque.

Il ne me laisse pas le temps de répondre qu'il raccroche. Je tourne la tête et remarque Audrey qui m'observe.

— Je suis sûr qu'il a trouvé le moyen de te faire culpabiliser de sortir ce soir...

Je ne réponds pas, contemplant le sol.

— C'est un con putain ! Tu mérites bien mieux que ce mec !

— Tu ne le connais pas. Je sais qu'il bosse beaucoup et que ce n'est pas facile pour lui d'être seul là-bas !

— C'est les Etats-Unis, il est à Washington, genre à rien à faire là-bas ? Il est où quand tu l'appelles en pleine nuit quand tu es déprimée et que tu pleures ? Il sort dans des bars avec des meufs oui...

— Je me casse ! laché-je devant la tournure de la conversation.

Je me lève en direction de la porte quand elle m'attrape par le bras.

— Je m'excuse, je ne voulais pas aller aussi loin.

— Tu sais, c'est dur pour nous deux d'être loin l'un de l'autre. Être un couple à distance, ça à ses limites. On est à fleur de peau tous les deux. Le manque physique joue beaucoup. Se voir en visio, c'est bien... mais ça ne remplace pas un corps, soufflé-je.

— Oui, je suis désolée, je ne suis pas une vraie amie si je ne te soutiens pas. Reste ! On va s'amuser ce soir et penser un peu à autre chose, hein ?

— Ouais, je vais peut-être boire quelques bières !

— Carrément, on va se souler, ça nous fera du bien ! Go !

Kiss me... Good byeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant