Chapitre 26 - Charlotte

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Sa question me prend au dépourvu, faut bien l'avouer. Je prends le temps de la réflexion en avalant une gorgée de jus d'orange.

— Je... on n'a rien fait de mal alors...

— Bien sûr.

— Te dire que tout va bien serait faux, finis-je par dire. En fait, je ne sais pas vraiment comment me situer. Est-ce que je suis une traitresse ? Est-ce que je fais quelque chose de mal ou non ? Je ne suis pas bien sûr moi-même. Mais je lui ai dit que je passais du temps avec vous.

— Avec nous ? il relève en haussant un sourcil, surpris.

— Oui... Je lui ai dit que j'avais besoin de voir des gens et que je voyais plus souvent Audrey et que je sortais un peu avec son frère et son groupe.

— Je vois et ?

— Et... Il n'a pas sauté de joie, ricané-je. Mais il l'accepte. Je lui ai dit que vous étiez des personnes de confiance.

— Pourquoi il a autant peur pour toi ? Parce qu'il pense qu'il y a un risque que tu recommences ce qui s'est passé lors de votre première rencontre ?

— Inconsciemment, je crois qu'il ne m'a pas vu évoluer. Pour lui, je suis toujours cette jeune femme suicidaire, sans repère ni figure parentale pour me cadrer...

Je me perds dans la contemplation de mes pieds.

— Je ne suis plus cette fille grâce à lui en grande partie, je n'ai plus envie de mourir. Mais je pense que me voir passer à l'acte l'a marqué énormément, et sans doute garde-t-il cette image de moi si fragile, avec l'angoisse que je retente à nouveau. Je ne peux pas vraiment lui en vouloir.

Je m'arrache la peau au bord des ongles en parlant de tout cela. Ça reste toujours difficile à aborder.

— Tu n'as plus tes parents ? demande-t-il doucement.

— Ils sont morts lorsque j'avais seize ans. Et comme je n'étais pas loin de la majorité et que je n'avais aucune famille, j'ai demandé mon émancipation pour ne pas être placée dans un foyer ou une maison d'accueil.

— Et tu l'as obtenu ?

— Oui, il fallait que je me montre responsable et que j'ai un travail pour subvenir à mes besoin. J'ai trouvé un boulot de serveuse et une petite chambre chez une mamie qui avait accepté de me la louer pour rien en échange de l'aider pour ses courses et des petites choses du quotidien. Donc j'ai plutôt eu de la chance.

— Ça ne devait pas être facile de se retrouver seule à seize ans...

— Ça a été bien plus dur que je ne me l'étais imaginé. J'avais Audrey, mais je ne lui disais pas que je n'allais pas bien. Je ne voulais pas passer pour la pauvre malheureuse qui vit mal de ne plus avoir ses parents, je voulais me montrer forte... Mais je m'étais sur-estimée.

— Tu n'avais juste pas l'âge de vivre une vie d'adulte. C'est difficile d'être seule à seize ans.

— Après ma tentative de suicide, Fabien est resté pas très loin de moi. Il venait prendre de mes nouvelles, il s'inquiétait pour moi. Il veillait un peu sur moi comme un grand frère. On a huit ans d'écart.

— Je vois.

— Au début, je le voyais seulement comme un grand frère et lui comme une gamine qu'il devait protéger. Quand je suis devenue majeur, on a commencé à se rapprocher petit à petit.

Je raconte cette période avec le sourire. Sans Fabien, je ne serais sans doute plus de ce monde.

— Il m'a beaucoup aidé sur plusieurs plans différents. Il m'a fait prendre conscience que la vie valait la peine que je m'y accroche et il m'a permis également de passer un diplôme même si j'avais arrêté l'école au décès de mes parents.

— Il t'a payé des études ? demande Dorian surpris en terminant sa canette de soda.

— Oui.

Il détourne le regard en se raclant la gorge.

— Il tient beaucoup à toi.

Fabien à toujours pris soin de moi depuis que je le connais, il a toujours veillé à ce que je ne manque de rien, à ce que je me reconstruise après la mort de mes parents... Il m'aime je le sais, sinon il n'aurait pas fait tout ça pour moi. Et moi aussi je l'aime. Pourtant je n'ai pas voulu le suivre à Washington. Il a insisté longtemps, mais je n'ai pas voulu céder. Pourquoi ? Aujourd'hui je me pose réellement la question. L'anglais, en faisant un effort, j'aurais pu l'apprendre. Je me suis servi de cette excuse parce que je crois que je me sentais étouffer par quelque chose sans vouloir me l'avouer. Étouffée par la protection constante de Fabien qui ne réalise pas toujours que je suis devenue une adulte et que je ne suis plus aussi fragile qu'il le pense. Mais c'est ma faute, c'est moi qui ne lui montre pas la femme que je suis au fond. Je m'efface devant lui en permanence, comme une petite fille le ferait devant un père autoritaire. Soudain, je me prends cette révélation comme un uppercut. Et si... et si ce n'était pas ce genre d'amour, et si je m'accrochais à Fabien parce qu'il m'a sauvé, parce qu'il est ma seule famille... Avec Dorian, je découvre des ressentis que je ne connaissais pas vraiment... mais est-ce juste l'attrait de la nouveauté, voire de l'interdit ?

— Charlotte ?

Je redresse la tête et me rends compte que je suis silencieuse depuis déjà un bon moment, perdue dans mes pensées.

— Pardon, je rêvassais, dis-je simplement.

Il prend une grande inspiration et se lève. Je termine ma boisson et la jette à la poubelle en m'étirant.

— Tu veux qu'on aille manger un truc quelque part en ville ? me propose-t-il. Cette aprèm je joue ici avec le groupe et on part demain matin en Allemagne.

— Oui, je veux bien.

Nous sortons de l'immeuble et marchons côte à côte dans une rue du centre-ville à la recherche d'un endroit pour manger.

— Oh, putain ! j'entends un mec s'esclaffer derrière nous.

Le type courre vers nous et se poste à côté de Dorian un grand sourire aux lèvres, suivi d'une jeune femme au maquillage sombre.

— Salut, je suis désolé de déranger, mais tu es bien Dorian Schaeffer de Dark Side ?

Dorian lui confirme avec un grand sourire.

— Génial, j'adore votre album, c'est super cool. Vous êtes bons et ça fait plaisir de voir un groupe local monter.

— Merci, je suis super content que ce qu'on fait plaise ! réplique Dorian, avenant.

— Tu serais ok pour faire un selfie avec ma copine et moi ?

Je m'écarte et j'observe Dorian se prêter au jeu des photos. Le jeune fait plusieurs clichés avec lui entre eux qui passe ses bras au-dessus de leurs épaules, en faisant le signe des cornes avec ses doigts. Il sourit sur une, tire la langue sur une autre.

— Merci beaucoup, c'est super sympa ! Normalement on va aux Eurockéennes de Belfort cet été pour vous voir, on n'a pas pu avoir de place pour la Laiterie.

— Top ! fait Dorian. Donnez-moi vos noms, demande-t-il en sortant son portable. On vous laissera entrer en backstages aux Eurock.

— Wow, mec, c'est trop cool ! Merci !

Dorian à l'air d'une tout autre personne quand il est en mode guitariste de groupe de métal ! C'est assez amusant de le voir si sûr de lui, je le trouve classe et super sympa avec les gens qui aiment le groupe. Les deux jeunes le remercie encore avant de s'éloigner contents.

Kiss me... Good byeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant