4 : Certainement pas

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— Alors, tu me le donnes ton numéro ?

Je pousse un soupir bien que je sente un sourire s'étirer sur mon visage malgré moi.

J'ai fait tout ce que je pouvais pour éviter Shinichiro durant la journée, mais il a réussi à me coincer à la sortie du lycée. J'ignorais qu'on pouvait faire preuve d'autant de persistance pour un simple numéro. Même si je suis forcée de reconnaître que je suis touchée par cette détermination, cette dernière n'en reste pas moins dérangeante.

Aria se faisant raccompagner par son copain, je n'ai d'autres choix que de rentrer seule chez moi. Enfin, ça, c'était avant que Shinichiro n'arrive.

— Tu t'intéresses à moi seulement parce que ma mère était cheffe de gang ?

— Il faut reconnaître que c'est plutôt impressionnant...

Je hausse les sourcils. Je me doutais qu'il allait répondre quelque chose dans ce goût-là, mais je ne peux pas m'empêcher d'être vexée.

— Enfin, se reprend-il en bredouillant, il n'y a pas que ça bien sûr...

— C'est vrai que ma mère est quelqu'un d'impressionnant, dis-je finalement. Mais ça ne me dit pas comment tu la connais.

Il stoppe soudainement sa marche, ce qui m'oblige à m'arrêter également.

—« Comment je la connais » ? s'indigne Shinichiro. Elle est super connue par tous les gangs actuels de Tokyo ! Tu es sa fille et tu n'es même pas au courant ?

— Non, je réponds avec un haussement d'épaule. Puisqu'elle a dissout son gang bien avant ma naissance, je n'ai jamais été en lien avec cet univers.

— Moi qui pensais qu'elle t'avait transmis le flambeau, ronchonne-t-il, déçu.

Nous nous remettons en route dans le silence.

En y repensant plus en détail, ma mère ne m'a jamais vraiment raconté sa jeunesse. Elle m'a mise au courant de l'essentiel, bien entendu... mais rien d'autre. Il était donc impossible que je suive ses traces.

Et c'est certainement pour le mieux.

— Si je suis ta logique, je suppose que toi tu fais partie d'un gang, non ? je finis par demander.

— Mieux que ça, répond Shinichiro avec un sourire fier.

Ses yeux noirs se mettent à briller d'une étrange lueur.

— Je suis à la tête du Black Dragon, poursuit-il.

— Jamais entendu parler.

Il me dévisage d'un air boudeur.

— Quelle honte..., marmonne-t-il. Si j'avais su que la fille d'Hana Takahashi était aussi ignorante...

— Je suis peut-être ignorante, mais toi t'es carrément flippant, je réplique froidement, de nouveau vexée. Tu places ma mère en idole !

— Il faut qu'on règle ça, continue Shinichiro sans m'écouter. La prochaine fois que je rassemble mon gang, tu viendras y assister.

Je ne réponds pas immédiatement, réfléchissant à ses dernières paroles. Au premier abord, sa proposition peut sembler tentante. Il n'y a qu'à voir la façon dont il a évoqué le nom de son gang pour comprendre que ce n'est pas juste un petit groupe minable de quartier. Au contraire, en prononçant « Black Dragon » quelque chose d'étrange s'est dégagé de l'aura de Shinichiro.

Mais c'est justement en y songeant plus en détail que je ne peux pas dire oui de but en blanc. Me pointer à un rassemblement d'un groupe de gars plus ou moins commodes, c'est comme signer mon arrêt de mort. D'autant plus qu'il n'y a certainement aucune fille dans leurs rangs...

— Non, je tranche.

— Ça, c'est ce qu'on verra, rétorque-t-il avec un sourire en coin. C'est ici que tu habites ? ajoute-t-il en pointant la maison devant laquelle je viens de m'arrêter.

Il la contemple longuement.

Shinichiro ne s'imaginait sûrement pas que son idole de toujours habiterait dans un foyer aussi modeste et mènerait une vie de famille tranquille, bien à l'opposé de sa jeunesse.

— Est-ce que je peux rencontrer ta m...

— Certainement pas ! je le coupe en poussant rapidement le portillon du jardin. À demain !

— À demain ? répète-t-il d'un ton amusé. Ça veut dire que tu veux qu'on... Eh, reviens ! C'est une manie chez toi de partir sans me laisser finir de parler ?

J'ai un sourire que Shinichiro ne peut pas voir lorsque j'ouvre la porte de chez moi.

En retirant mes chaussures, je repense vaguement à la discussion que nous venons d'avoir, ainsi qu'à ses yeux noirs qui se sont éclairés dès qu'il a parlé du Black Dragon. À l'évocation de son gang, il s'est mis à émaner quelque chose d'indescriptible... Impossible de mettre des mots dessus.

Des pas précipités coupent court à mes songes.

— C'était qui, ce garçon ? me lance ma mère, surexcitée. Il t'a raccompagnée, j'ai pas rêvé ?

— C'est juste un type de ma classe, je réponds d'un ton égal.

— Hmm..., fait-elle, sceptique. Tu sais que je disais exactement la même chose de ton père, au début ?

Je la regarde, l'air interdit, mais ne trouve rien à répliquer. Voyant que je ne dis plus rien, elle m'adresse un sourire narquois avant de tourner les talons en direction du salon.

Je sais que cela a dû lui faire plaisir de me voir accompagnée par un garçon, mais elle se voile la face le concernant. Shinichiro est et restera juste un type de ma classe.

D'autant plus que j'ai cessé toute relation amoureuse depuis le décès de mon père, et je n'ai jamais réellement envisagé que cela change, comme une petite fille qui s'accroche désespérément aux souvenirs. Parfois, j'ai l'impression d'être restée bloquée 3 ans en arrière, à prier encore et encore que cela ne soit qu'un mauvais rêve, et que mon père m'attend derrière la porte de ma chambre.

Mais cette prière ne s'est bien évidemment jamais réalisée. Depuis, j'ai grandi sans vraiment comprendre comment mon corps en avait encore le courage.

Perdue dans mes propres pensées, je rejoins ma mère d'un pas traînant avant que mes yeux ne se posent sur sa nuque.

Je me rapproche d'elle pour m'assurer de ne pas avoir halluciner. J'ai toujours vu ce tatouage sur elle, mais je n'avais jamais fait le lien...

— Ton papillon rouge, c'était le signe du gang que tu avais quand tu étais jeune ? j'interroge.

Surprise de ma question, elle laisse tomber son éponge dans le lavabo. Quelques gouttes de liquide vaisselle viennent éclabousser ses cheveux roux.

— Je ne t'en avais jamais parlé ? s'étonne-t-elle. Oui, c'était le symbole que j'avais attribué.

— Pourquoi un papillon ?

— Je ne sais plus, m'avoue-t-elle, après un certain temps de réflexion. Peut-être que j'avais choisi ça juste parce que je trouvais que ça en jetait... Va savoir.

Avec un sourire nostalgique, elle se détourne de moi pour reprendre une assiette avant de la frotter d'un air distrait.

— Tu vas te décider à me raconter comment ce garçon a réussi à te raccompagner ? reprend-elle alors.

J'ai un petit rire résigné. Je vois que je n'ai pas d'autre choix que de tout détailler...

Comme une étoile (Shinichiro x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant