28 : Ça craint grave

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— Aujourd'hui, c'est toi qui montes devant !

Je dévisage Shinichiro, attendant qu'il me dise que c'était une blague. Mais en le voyant s'installer à l'arrière de sa moto, l'espoir n'est plus permis ; il est très sérieux.

— Je vais t'apprendre, reprend-il avec un sourire. C'est inadmissible que ma copine ne sache pas conduire une bécane.

Mal à l'aise, j'enjambe sa moto sans un mot tandis qu'il met son casque. Je l'enfile à mon tour avec des gestes un peu tremblants, puis serre un peu plus que d'habitude la sangle sous mon menton.

Je fixe le guidon qui me fait face avec appréhension. Je suis montée beaucoup de fois derrière Shinichiro, et pourtant je n'ai jamais fait attention à la manière dont il manipulait l'engin.

Ce que je regrette amèrement aujourd'hui.

— L'embrayage est là, m'indique-t-il en plaçant mes doigts sur le levier gauche. Le frein est de l'autre côté. Pour accélérer tu tournes la poignée droite. Dès que t'auras atteint le point de patinage, tu accélères.

— Si je suis aussi douée pour patiner que pour conduire ta moto, on rentrera pas vivants, je maugrée.

Il éclate de rire avant de se coller à moi.

— Je vais t'aider à démarrer.

Prenant les rênes, Shinichiro pose ses mains sur les miennes pour me montrer quels gestes effectuer. Il me fait tourner la poignée droite tout en tenant fermement ce qu'il m'a dit être l'embrayage... et la moto démarre.

J'écarquille les yeux et mon estomac se contracte. C'est touchant de sa part qu'il me fasse confiance, mais dans ce cas précis, il ne devrait pas.

— Tu vois tu y arriv...

Mais il n'a pas le temps d'achever sa phrase ; l'engin se stoppe net et le moteur s'éteint en même temps. J'ai tout juste eu le temps de faire quelques mètres.

— C'est pas grave de caler, me réconforte Shinichiro, toujours souriant. Réessaie, cette fois c'est la bonne.

Il m'aide de nouveau en replaçant ses mains, et redémarre. Cette fois, il a donné un grand coup d'accélérateur qui manque de me projeter vers l'avant.

Je me mets à prier le ciel quand il enroule ses bras autour de ma taille et colle sa joue contre la mienne.

— Tu gères ! me félicite-t-il au bout d'un certain temps. Maintenant augmente ta vitesse.

— 30 km/h, ça me convient très bien.

— T'es à 20, contredit-t-il. Accélère, on va pas coucher ici.

Je sursaute en voyant une voiture passer tout près de nous. Heureusement qu'il a choisi un dimanche pour me donner une leçon de conduite !

— Rin.

— Quoi ? dis-je d'un ton innocent.

— Accélère.

J'ignore de nouveau son ordre, feignant une surdité soudaine.

Mais c'était sans compter sur Shinichiro qui reprend la poignée droite et me force à accélérer pour de bon. Je me retiens de fermer les yeux en voyant le nombre de km/h grimper sur le compteur.

— Allez, je sais que tu peux le faire ! m'encourage-t-il avec bienveillance.

Réconfortée par ses paroles et sa présence, je me force à me détendre. Après tout, j'ai toujours adoré les trajets en moto, les rôles sont simplement inversés pour cette fois.

Je commence à perdre la notion du temps, me laissant totalement guider par le hasard. Sans m'en rendre compte, nous atteignons bientôt le vieux port, entouré par de nombreux conteneurs rouillés.

Je reconnais aussitôt l'endroit ; c'est le lieu du rassemblement du Black Dragon. C'est étrange que je sois arrivée ici de moi-même...

Maintenant que j'ai enfin compris la mécanique, je peux freiner pour m'arrêter complètement.

Victorieuse d'avoir survécu à mon premier trajet en moto en tant que conductrice, je me tourne vers Shinichiro. Cependant, j'ai l'impression d'apercevoir du mouvement derrière lui, ce qui me fait oublier ce que je voulais dire.

Un frisson me parcourt l'échine. Mon instinct se met à me hurler de fuir mais je ne bouge pas d'un pouce. Comme le soir de l'unique baston à laquelle j'avais assistée, je suis paralysée.

— Qu'est-ce que t'as ? s'inquiète-t-il face à mon mutisme.

— Shinichiro..., je murmure. Derrière toi...

Il se retourne à son tour.

Une bonne centaine de femmes en uniforme rouge sombre marchent en notre direction. Leur long manteau frappe leurs chevilles au rythme de leurs pas, ponctués par le bruit de leurs talons. En voyant un papillon brodé en blanc au bout de leurs manches, le doute n'est pas permis.

C'est la seconde génération du Papillon Rouge.

— Vous devriez faire plus attention à ce qu'il se passe autour de vous quand vous roulez.

Shinichiro quitte sa moto et tend son bras devant moi en signe de protection.

J'ai déjà entendu cette voix. Je la connais.

Le nouveau leader du Papillon Rouge se détache des rangs, puis s'avance vers nous de quelques pas. Des cheveux bruns parsemés de mèches nouvellement teintes en blondes, un bandage entourant son buste et des yeux d'un bleu profond... Il m'est impossible de nier l'évidence.

— Aria ?! je m'effare en essayant vainement de passer devant Shinichiro. Qu'est-ce que tu fiches ici ?

Tandis qu'un sourire narquois se dessine sur les lèvres de cette dernière, Shinichiro me donne son portable. Son visage fermé n'a jamais paru aussi sérieux.

— Appelle Takeomi et dis lui de rassembler le Black Dragon au même endroit que d'habitude.

Il se tourne vers moi une seconde, juste assez pour me laisser le temps de croiser ses yeux noirs, troublés par l'inquiétude. Sa malice a complètement disparue.

— Et demande lui de se grouiller parce qu'ici, ça craint grave.

Comme une étoile (Shinichiro x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant