5 : Tu n'as pas fait ça ?

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3 ans plus tôt, 1994

La chaleur ambiante de la salle de classe nous endort tous petit à petit. Sans se rendre compte que tout le monde commence plus ou moins à piquer du nez, le professeur de maths continue inlassablement de réciter son cours.

Une brise douce vient effleurer mon visage par la fenêtre entrouverte. J'inspire profondément cet air frais avant de devoir me repencher sur ma feuille d'exercices. 

— Rin ? me souffle Kyo, assit à ma droite. T'as compris ce calcul ? 

Mon cœur rate un battement lorsque nos regards se croisent un instant. J'essaie tant bien que mal d'ignorer cette sensation pour me pencher vers lui.

Mais la porte de la classe s'ouvre au même moment, nous faisant tous sortir de notre torpeur. Quelques uns, dont moi, sommes si surpris de la brusque apparition du directeur que nous en sursautons. 

— Mademoiselle Rin Takahashi ? m'interpelle alors ce dernier d'un ton hésitant.

Déglutissant, je lève une main tremblante pour lui indiquer que c'est moi.

— Pouvez-vous me suivre dans mon bureau ?

Je me lève sans rien dire. De toute façon, le nœud qui vient faire barrière dans ma gorge m'empêcher d'ajouter quoique ce soit. 

Je sors dans le couloir sous le regard intrigué de mes camarades. Au passage, je sens la main de Kyo effleurer la mienne, comme pour me promettre que tout ira bien.

En arrivant dans le bureau du proviseur, j'aperçois les longs cheveux roux de ma mère. Sa présence ne me dit rien qui vaille. 

Et, bien qu'elle soit assise dos à moi, j'ai la très nette impression qu'elle est en train de pleurer.

— Madame Takahashi ? dit-il d'une voix douce, bien différente de celle qu'il prend lorsqu'il s'adresse aux élèves de son collège. Votre fille est là. 

Tandis que le directeur part s'assoir derrière son bureau, je reste plantée dans l'entrée, incapable de faire un pas de plus. Toute cette scène ne fait que confirmer mon mauvais pressentiment.

Je tripote nerveusement le bas de ma jupe. Ma mère se tourne vers moi, mais en croisant ses yeux rougis, je détourne aussitôt le regard. Je ne peux pas la regarder. C'est au-dessus de mes forces. Elle est si rayonnante d'ordinaire, j'ai peur que cette vision ne vienne assombrir son soleil à jamais.

— Rin, chérie, dit-elle à mi-voix, presque chevrotante. Viens t'assoir. 

Comme un robot, j'obéis sans poser de questions. Toujours sans lever le nez du bout de mes chaussures, je prends place à côté d'elle, sous l'œil compatissant de mon directeur.

— Je suis venue en urgence, poursuit ma mère en me prenant une main.

Mais au contraire de celle de Kyo, elle ne me réconforte pas du tout.

— C'est par rapport à ton père. Je ne sais pas trop comment te l'annoncer, alors je ne vais pas passer par quatre chemins... Voilà. Il est entré en collision avec une moto ce matin et... il n'a pas survécu. Je suis désolée, Rin chérie...

Je prends un certain temps pour d'assimiler ses mots. 

Mon esprit se vide alors totalement. Comme si je sombrais lentement dans le néant, mon cerveau cesse de fonctionner. 

— En tant que directeur, je vous informe que notre collège vous apportera toute l'aide nécessaire, ajoute-t-il. Si vous avez besoin de parler à l'infirmière, ou de passer du temps chez vous, sachez que nous mettrons tout en place pour vous épauler au mieux dans cette épreuve.

Je ne comprends pas de quoi il parle. Une épreuve ? Qu'est-ce qui lui prend ? Et pourquoi est-ce que ma mère me raconte que mon père est mort ? Ça n'a pas de sens. Je sais très bien qu'il sera là quand je vais rentrer, à faire tourner ses vieilles chansons pourries sur son tourne-disque...

Mais les larmes qui se déversent inexplicablement sur mes joues viennent contredire mes pensées. 

Je sens la main de ma mère frotter mon dos dans des gestes qui se veulent réconfortants, mais c'est à peine si je m'en rends compte. Comme si tout était devenu irréel, je n'entends même plus la conversation qu'elle entretient avec le directeur. 

De longues minutes s'écoulent ainsi. Plus le temps passe, plus j'ai l'impression que quelque chose en moi se déchire, comme si on séparait mon âme, mon cœur et mon corps en deux.

En quittant ce bureau, j'ai l'intime certitude d'y avoir laissé une partie de moi. 

Aria fait claquer ses doigts sous mon nez, ce qui me ramène immédiatement à la réalité.

— Encore dans la lune ? commente-t-elle. 

— Désolée, dis-je en clignant des yeux plusieurs fois pour revenir sur terre. 

— Je te demandais si Sano t'avais bien raccompagnée hier soir. 

À l'entente de ce nom, je suis sûre d'être complètement sortie de mes songes. Je me tourne vers Aria en fronçant les sourcils.

— Tu étais au courant qu'il comptait me coincer à la sortie ? je demande, suspicieuse. 

Un sourire à la fois sournois et fier s'étire sur ses lèvres.

— Il se pourrait que quelqu'un ait accidentellement glissé ton numéro dans sa poche, aussi, ajoute-t-elle.

— Tu n'as pas fait ça ? je m'exclame d'un ton stupéfait.

J'ai parlé trop fort pour certains de mes camarades qui me regardent d'un air mécontent, mais je n'y fais pas attention. Je ne pensais pas qu'Aria voulait à ce point m'arranger un coup ! 

Elle ouvre la bouche pour me répondre, mais Shinichiro arrive au même moment.

En me voyant, il a un léger rire.

— Je ne pensais pas que tu étais du genre à faire des coups en douce, dit-il en secouant un petit papier entre ses doigts. Merci, en tout cas.

— Ce n'est pas moi qui... Aria, arrête de rire !

Cette dernière regarde alternativement Shinichiro et moi en pouffant, incapable de se contenir. 

— Oh, fait-il alors, comprenant. Dommage, ça ne venait pas de toi... mais j'ai ton numéro, alors ça revient au même. 

— Donne moi ça ! 

Je me lève d'un bond, essayant d'arracher lui papier qui contient mon précieux numéro, mais il prend un malin plaisir à lever le bras au-dessus de sa tête, et à l'agiter de droite à gauche pour m'empêcher de l'atteindre. Secoué d'un rire silencieux, il me regarde gesticuler vainement devant lui. 

— Aria, je te jure que tu me le...

— Monsieur Sano et Mademoiselle Takahashi, auriez vous l'obligeance de m'expliquer ce que vous êtes en train de faire ? me coupe alors une voix sèche et irritée.

Notre professeur nous dévisage d'un œil sévère. Avec tout ça, je ne l'avais même pas entendu entrer...

Soudain penaude et la mine coupable, je laisse retomber mon bras avant de me rassoir sur ma chaise, non sans jeter un regard noir à Aria. 

— Bien. Sortez vos manuels. 

En se penchant dans son sac pour récupérer son cahier, Shinichiro m'agite le fameux papier sous le nez, sourire narquois au coin de ses lèvres. 

Furieuse, je fais mine de rien voir du tout. Ces deux-là ne perdent rien pour attendre !

Comme une étoile (Shinichiro x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant