22 : Cliché

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Cela fait maintenant plusieurs semaines que le cadeau de Shinichiro est acheté et précieusement emballé dans du papier de soie. 

Le mois de Décembre est arrivé avec la bise hivernale et la neige qui vont avec. Au cours de ces derniers jours, j'ai eu des centaines d'occasion de lui offrir ; mais pour ça, il faudrait en avoir le courage. Moi qui ai toujours eu un peu de caractère, je m'étonne de me défiler aussi facilement. Mais lorsqu'il s'agit de Shinichiro, tout est différent. 

Nous avons fini par devenir de réels bons amis, bien que les nombreuses railleries d'Aria à ce sujet essaient de me prouver qu'il n'y a pas que de l'amitié qui s'est installée entre nous. 

Quant à Aria et Wakasa, Shinichiro et moi ne manquons pas de les charrier chaque fois que nous en avons l'occasion. Les techniques lamentables de drague de Wakasa semblent avoir eu raison de mon amie qui, à présent, ne parle plus que de lui à longueur de journée. 

La date du 31 Décembre arrive à une vitesse affolante. Bien entendu, je n'ai pas oublié la proposition de Shinichiro ; d'ailleurs, il me la rappelle dès qu'il le peut. Plus le nouvel an se rapproche, plus je sens du stress mélangé à de l'adrénaline monter en moi. Fêter la nouvelle année avec quelqu'un d'autre que mes parents, c'est une première ! D'autant plus que ce ne sera pas avec n'importe qui...

Pour couronner le tout, j'ai prévu de lui donner mon cadeau ce jour-là, ce qui rajoute une appréhension supplémentaire. 

Je tourne distraitement les nouilles restantes de mon bol de ramen. Poussant un soupir, je finis par poser mes baguettes sur le rebord.

— Tu le finis pas ? s'étonne ma mère. C'est plus ton plat préféré ?

— Si si, j'assure en reprenant lentement mes baguettes. Je n'ai pas très faim, c'est tout.

Elle fronce les sourcils, comprenant immédiatement que quelque chose cloche.

Dès que je pense au 31 décembre, mon estomac se noue inexplicablement. Impossible pour moi de manger quoique ce soit après ça. 

— C'est ton Shinichiro Sano, c'est ça ? questionne-t-elle avec un sourire en coin.

J'avale mes nouilles de travers. Toussotant, les yeux brillants de larmes, je mets un certain temps avant de lui répondre ;

— Comment tu as deviné ?

— Je ne suis pas stupide, rétorque-t-elle. J'ai été amoureuse avant toi, Rin.

— Je ne suis pas amoureuse ! je m'exclame entre deux toux.

Ma mère lève les yeux au ciel en se levant pour poser son bol dans le lavabo. 

Même si je m'évertue à prétexter le contraire, en réalité j'ai déjà envisagé cette probabilité. Mais tout ce que je ressens à l'égard de Shinichiro est différent de ce que j'éprouvais pour Kyo. Dans ce cas, comment savoir pour lequel des deux mon cœur a-t-il réellement cédé ? 

Incapable d'avaler une bouchée de plus, je pousse les restes de mon repas sur le côté de la table.

— Comment tu as su que tu étais amoureuse de papa ? je demande.

Autant poser la question à quelqu'un qui est déjà passé par là...

— Ah, çà ! soupire ma mère avec un sourire. Ça te dit que je te raconte comment ça s'est passé entre nous ? Je crois que je ne te l'ai jamais expliqué.

Soulagée d'orienter la discussion sur autre chose, j'acquiesce d'un signe de tête. Avec de la chance, peut-être même que son récit sur sa rencontre avec mon père m'aidera à démêler mon cerveau. 

— Ton père et moi étions les parfaits opposés, raconte-t-elle. De mon côté, j'étais cheffe d'un gang de filles, j'aimais passer des nuits blanches avec elles pour mettre des raclés à des tocards, transgresser les règles, sécher les cours, faire des frayeurs à mes parents, ou rouler des heures sur la bécane que j'avais à cette époque. Ton père, lui...

Perdue dans ses souvenirs, elle baisse la tête avant de la relever avec un sourire nostalgique.

— C'était un cliché ambulant. Il avait des bonnes notes, ne manquait jamais aucune journée de classe. Il était droit, bon et naïf. Comme si cela ne suffisait pas, il portait des lunettes carrées. Et ça lui allait vraiment mal.

— Mais comment vous vous êtes rencontrés ? je m'effare. Je suis d'accord pour dire que les opposés s'attirent, mais vous étiez vraiment aux antipodes l'un de l'autre !

— Les rares fois où j'allais en cours, j'étais toujours assise à côté de lui. J'arrivais la dernière et c'était la seule place restante. Au début, il me méprisait et c'était tout à fait réciproque. Je le traitais de nerd...

Ma mère marque une pause pour reprendre son souffle. Elle rejette ses cheveux roux en arrière avant de poursuivre ;

— Mais un soir, je l'ai croisé dans la rue alors que je rentrais de mes tours habituels de moto. Comme d'habitude, on s'est lancés des piques... Mais ensuite, la discussion a changé de ton. Au final, on a parlé jusqu'à ce que le soleil soit totalement levé. On ne s'est plus jamais quittés après ça.

— Je comprends que dalle, dis-je en me renfrognant.

— Je ne peux plus te rapporter avec exactitude tout ce qu'on s'est dit. Je sais juste qu'on a commencé à parler de nos vies, de ce qu'on aimait et de ce qu'on détestait... Comme je te l'ai dit, ton père était droit, bon et naïf. Moi, je ne faisais qu'écouter mes caprices. Si lui était le cliché du fils de bonne famille, moi j'étais celui de l' "ado rebelle".
Je crois qu'on a tous les deux trouvé en l'autre ce qui lui manquait cruellement. J'avais besoin d'être recadrée et apaisée, lui avait besoin de s'amuser et de sortir la tête de ses cahiers. 

— Mais comment les filles de ton gang ont réagi quand elles ont vu qui tu fréquentais ?

— Pas très bien, sourit-elle avec tristesse. Certaines d'entre elles l'ont accepté, mais d'autres ne comprenaient pas pourquoi je sortais soudainement avec le premier de la classe que je passais mon temps à dénigrer.
Mais j'ai trouvé en ton père tout ce que j'avais toujours profondément désiré sans jamais me l'avouer. Je croyais que j'aimais cette vie instable et incertaine, mais c'était une connerie. Ce que je voulais réellement, c'était un foyer. Quand j'ai compris tout ça, j'ai dissout le gang du Papillon Rouge qui avait fait toute ma jeunesse. 

J'ouvre la bouche mais aucun son n'en sort. Si je m'attendais à ça ! 

J'ai toujours remarqué que mes parents étaient différents l'un de l'autre, mais pas à ce point là... 

— Pour en revenir à la question initiale, reprend-elle, je pense que c'est inutile que je te rapporte une liste de symptômes physiques que tu peux éprouver en la présence de la personne que tu aimes. Le cœur qui s'emballe, les jambes soudain cotonneuses, les pensées qui deviennent brouillonnes... Ça ne sert à rien de cocher toutes ces cases, même si elles sont essentielles pour déterminer si oui ou non tu es amoureuse.

— Alors comment...

— Quand tu te sentiras en paix et en sécurité à ses côtés, me coupe-t-elle. Quand tu auras l'impression que rien ne peut vous atteindre, et que peu importe ce qui peut arriver, tu auras le courage de l'affronter du moment qu'il est à tes côtés. Et surtout, dès l'instant où tu chériras chacun des instants passés avec lui, alors là... Ça voudra dire que tu l'aimes. 

Toujours souriante, elle se lève et se dirige vers le lavabo pour commencer la vaisselle, me laissant muette. Mon cerveau se remet à tourner des milliards d'interrogations. Pourtant, le récit de ma mère semble avoir éclaircit bien des choses... Difficile pour moi de me voiler la face, à présent.

Car n'est-ce pas moi qui garde secret tous les moments partagés avec Shinichiro, à les contempler et à les chérir comme un trésor ? 

Comme une étoile (Shinichiro x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant