« C'est une folie de haïr toutes les roses parce qu'une épine vous a piqué »
- Antoine de SAINT-EXUPÉRY
L'école vivait autant la semaine que les weekends, peu des internes rentraient chez eux et nombre d'entre eux s'exerçait en solo dans les studios ou organisait des sorties le samedi soir pour se détendre. J'espérais ne croiser personne en rejoignant Arsène pour notre entrainement, et surtout pas Juliette. Elle me haïssait d'autant plus depuis que je travaillais quotidiennement avec Arsène et par conséquent nos querelles se multipliaient et risquaient, à tout moment, de dégénérer. Je pouvais au moins lui reconnaitre qu'elle était tout aussi têtue et bornée que je pouvais l'être.
Je me faufilai dans les couloirs, moins bruyants que d'habitude, jusqu'au studio où j'avais prévu de répéter avec Arsène. Les plafonniers allumés et le son des enceintes me disaient qu'il s'échauffait déjà, à ma plus grande surprise. Il avait pris une certaine avance sur l'heure de rendez-vous et sachant qu'il ne vivait pas à l'école, il devait être ici depuis longtemps.
- Salut, dis-je simplement en refermant la porte derrière moi.
Je posai mon sac de sport sous la barre qui longeait le mur, détaillant inconsciemment la silhouette élancée d'Arsène dans le miroir. Il exécutait des pirouettes avec un degré de perfection surnaturel. Je me laissai facilement distraire par son aisance physique, c'était l'une des choses qui m'agaçait chez lui, parmi tant d'autres...
- Salut, lança-t-il lorsqu'il eut terminé ses pirouettes fouettées sans même une once de fatigue.
Je troquai mes baskets contre mes chaussons et mon sweat-shirt contre un léger pull, plus adéquat pour un échauffement. Arsène continua ses petits exercices au centre de la salle sans plus faire attention à moi tandis que je m'échauffais méticuleusement à la barre avec des pliés, des ronds de jambes, et des fondus. S'il n'y avait pas la musique pour combler l'espace et le silence entre nous, j'aurais probablement crié de désespoir. Ce soin qu'il prenait à ne pas poser les yeux sur moi me tourmentait plus que de raison, pourquoi fallait-il que ça m'importe autant ? De toutes les personnes de notre division, il était le seul pour qui je voulais être vu et le seul qui ignorait si magnifiquement mon existence.
En tirant plus sur mon talon pour étirer ma jambe à côté de mon visage, je récapitulai une fois encore les dizaines de raison pour lesquelles s'intéresser à Arsène et éprouver des sentiments pour lui me rendaient plus ridicule que jamais et ne m'aideraient nullement à atteindre mes objectifs. Il n'était qu'une embuche sur ma route, et j'allais devoir l'enjamber pour continuer sereinement mon chemin. Oui, inutile de se prendre la tête pour si peu.
À mesure que je me détendais et retrouvais cette implacable et délicieuse sensation de pouvoir écraser tout le monde, je surpris ses iris mordorés me décortiquer des pieds à la tête. Je me sentis attaquée par l'intensité de son regard. Essayait-il de m'intimider ? Il me semblait pourtant clair que je ne démontai pas aussi facilement, encore moins lorsque j'étais poussée dans mes retranchements, et cela même si je me trouvais en face du garçon le plus séduisant qu'il m'ait été donné de côtoyer.
- Quoi ? L'interrogeai-je en cessant de martyriser ma jambe pour la reposer sur le sol.
Il me jaugea des pieds à la tête, s'arrêtant néanmoins plus longuement sur mes chaussons beiges.
- Pourquoi tu ne portes jamais tes pointes lors des répétitions ? S'enquit-il, d'une voix qui sonnait réellement intéressée.
La surprise passée, je réfléchis à une réponse qui ne trahirait pas ma colère à l'égard d'Ivanovich ni l'angoisse qui me gangrenait depuis que j'étais blessée.
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l'Opéra : le lac des cygnes (Terminé)
RomanceRubis se démène pour devenir la meilleure étoile de tous les temps ; difficile quand sa mère est déjà considérée comme telle. Plongée dans l'univers cruel et sans pitié du ballet, Rubis sait à quoi s'en tenir lorsqu'elle entame sa dernière année à l...