Chapitre 20

89 6 0
                                    

« Trop de fierté ou pas assez de courage ? »

- unknown

Mon sac heurta le parquet parfaitement ciré du studio sans délicatesse. J'étais à vif, et Arsène en était la cause principale. Ses yeux rencontrèrent à peine les miens dans le miroir. J'entendais sa voix, en boucle et en boucle, dans ma tête. Et j'aimerais la mettre en pause. L'évincer de mes pensées pour ne plus entendre l'agacement dans les tonalités de sa voix, le goût d'honnêteté amer dans ses paroles.

Non. Je suis jaloux. Je n'aime pas qu'Adam s'intéresse à toi. Je n'aime pas que tu ne l'envoies pas promener. Je n'aime pas ça du tout, mais je sais que je n'ai pas mon mot à dire et je sais que je ne devrais pas m'en soucier.

C'est mauvais ça ?

Très mauvais, Rubis.

Pourquoi ? Pourquoi fallait-il qu'il joue avec mes sentiments ? Pourquoi ne pouvait-il pas être clair avec moi et avec lui-même, qu'est-ce qui le retenait ? Je n'avais pas rêvé ses révélations, et je lui en voulais de ne pas les assumer jusqu'au bout. Sa jalousie était forcément reliée à des sentiments, je ne pouvais pas inventer une telle chose.

- Salut, lançai-je, me débarrassant de ma veste pour m'échauffer rapidement.

Il avait promis à Ivanovich de répéter avec moi pour que l'on rattrape le temps perdu lors des répétitions que j'avais ratées, mais je n'avais pas imaginé qu'il avouerait, la veille, être jaloux d'un de nos camarades de promo à qui j'accordais tout juste de l'attention. Je devais avoir parlé à Adam une vingtaine de fois depuis mon entrée à l'école ! Il n'était pas plus menaçant que le serait une mouche pour Arsène.

- Tu es en retard.

- Il y avait de la circulation, répliquai-je instantanément en l'assassinant du regard.

Comment osait-il me reprocher mon retard ? De tout ce qui pouvait sortir de sa bouche à cet instant, était-ce vraiment sa seule préoccupation ? Je refrénai l'envie étouffante de lui assener une bonne gifle.

Je m'échauffai à vitesse grand V avant d'enfiler mes pointes, de pratiquer une poignée d'exercices pour chauffer un peu plus mes chevilles, et de dire à Arsène que j'étais prête à commencer. Nous avions deux actes à revoir en intégralité, et si d'habitude j'adorai danser avec lui, aujourd'hui je rêvai de l'encastrer dans le mur le plus proche, et de le traiter de tous les noms possibles et imaginables.

- On enchaine tout, sans interruption ? M'enquis-je en levant les yeux vers mon partenaire.

J'observai à peine ses pupilles avant qu'il ne détourne le regard.

- Oui.

La musique lancée, on passa tranquillement au travers des premières scènes du deuxième acte. J'éprouvai des difficultés à jouer l'idiote écervelée qui tombait amoureuse du prince, et je le devais à la colère que je ruminai dans un coin de mon esprit. Je ne prenais même pas autant de plaisir à danser qu'auparavant. Et Arsène manquait aussi d'investissement dans ce rôle, une première pour lui. Ses yeux ne faisaient que m'effleurer alors qu'ils devraient se noyer dans les miens.

- Regarde-moi, tempêtai-je à l'intention d'Arsène.

Il ne le faisait déjà pas beaucoup d'habitude, mais c'était pire aujourd'hui. Devais-je relier son comportement à ce qu'il m'avait dit hier soir ?

- C'est ce que je fais, se défendit-il.

- Oh non, ricanai-je faussement en me laissant guider pour les pirouettes. Tu fais croire au spectateur que tu me regardes mais tu ne le fais pas vraiment. C'est ça ta faiblesse, Arsène. Tu ne dois regarder que moi, moi et rien d'autre. Le prince n'a d'yeux que pour Odette. Alors, regarde-moi, réclamai-je sèchement.

l'Opéra : le lac des cygnes (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant