l'Opéra : le lac des cygnes (Terminé)

Chapitre 21

« J'entends ta voix dans tous les bruits du monde »

- Paul ÉLUARD

Je voulais rendre à Juliette la monnaie de sa pièce et j'eus presque l'idée du siècle en complotant contre elle. J'allais remplacer sa laque par du décolorant. Juliette tenait à sa tignasse rousse comme à la prunelle de ses yeux, ce ne serait que justice de les abîmer un petit peu. Ça la ferait bouillir de rage à coup sûr.

Néanmoins, je n'avais pas bien anticipé son heure d'arrivée dans les vestiaires. J'eus tout juste le temps de remplacer sa laque par une bouteille physiquement identique avant d'entendre sa voix dans le couloir. Je ne pouvais pas sortir, moins encore rester plantée au milieu de la pièce et révéler ma présence. Je savais comment finirait une discussion entre nous. Je fis la chose la plus stupide qui soit : me cacher dans le placard à costume. Personne n'y prêtait attention. Je n'aurais qu'à sortir et rejoindre le studio quand Juliette aurait quitté la pièce.

- Elle ne peut pas lui plaire assez pour qu'il ait accepté, argua une voix troublée.

Je croyais reconnaitre les tonalités de Rose, mais cachée comme je l'étais, je ne pouvais pas en avoir la certitude. Leurs voix me parvenaient étouffées et je ne voyais pas du tout leurs visages.

- Détrompe-toi. Il a même accepté beaucoup plus vite que ce que j'avais anticipé.

- Et si un jour elle l'apprend ? Elle lui en voudra.

- Ce n'est pas notre problème. Tant que j'ai ce que je veux, le reste ne m'importe pas.

- Et si ça ne fonctionne pas ?

Un silence de plusieurs longues secondes s'installa. Je pouvais presque sentir les émotions de Juliette irradier dans l'espace autour de nous.

- Je trouverais autre chose, finit-elle par répondre, crispée.

- Tu n'as pas essayé de lui en parler ?

- Tu sais comment il est.

- Justement. Tu ne peux pas continuer sur ce chemin, Ju.

- Tu as promis de ne plus ramener ça sur le tapis.

- Oui, j'ai promis. Mais je ne t'aiderai pas à te ruiner le moral, seulement à récupérer le plus important pour toi. Et ce n'est pas lui.

- Et qu'est-ce que tu en sais ? Je ne...

- Juliette... Tu as fait une erreur qu'il ne te pardonnera jamais. Il n'est pas du genre à revenir sur sa parole. Viens, on va être en retard en cours.

La porte se ferma derrière elle et le silence revint. Il me fallut quelques instants avant de m'extirper de ma cachette. De qui parlaient-elles ? Arsène ? Quelle erreur a-t-elle faite ? Arsène ne m'avait jamais parlé de leur rupture, ni les raisons pour lesquelles il avait décidé d'avorter leur relation au bout de cinq mois. La décision venait de lui, ça tout le monde le savait, mais le motif ? Si, bien entendu, elles parlaient bien de lui. Mais qui cela pourrait-il être d'autre ? Et qui a accepté quoi ?

En retard en danse contemporaine, Laure me fit les gros yeux, et je ne parvins pas à me concentrer. Juliette manigançait quelque chose, et il fallait que je découvre quoi. Je n'arrivais même pas à savoir si elle avait parlé d'un seul et même il, ou s'il y en avait plusieurs. Pourquoi aucune d'entre elles n'avait prononcé de nom ?

- Rubis, tu es en retard ! S'exclama Laure, me faisant sortir brutalement de mes pensées.

J'avais effectivement trois temps de retard sur la chorégraphie. Juliette me lança un regard vicieux, toujours aussi satisfaite par mes erreurs. Je l'ignorai et me calai sur le rythme des autres. Je suivis les mouvements de Noah, devant moi, en évitant de laisser mon esprit vagabonder à nouveau.