Chapitre 10

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« This place will burn you up »

- House of Ballons, THE WEEKND

    Je réfléchissais encore aux difficultés que j'avais rencontrées avec Arsène hier, en exécutant nos scènes de l'acte II, lorsque j'enfilai mes pointes pour la première fois. Je trépignais d'impatience à l'idée d'enfin pouvoir danser avec mes pointes. Même avec des protections, je trouvais toujours la douleur particulièrement désagréable, mais aujourd'hui plus que d'habitude. Les bouts de mes orteils me brûlaient alors que je n'étais pas encore montée dessus. Avais-je déjà un ongle incarné ? Ce serait un comble, je ne les avais pas encore enfilé une seule fois pour répéter depuis la rentrée. J'enlevais l'unique chausson que j'avais enfilé pour observer les dégâts de mes propres yeux.

    À la vue du sang, je lâchais un cri d'effroi incontrôlable. La douleur physique, je pouvais la supporter mais voir du sang me faisait tourner de l'oeil en une fraction de seconde. D'autant plus que mes orteils ne pouvaient pas saigner autant à cause d'un simple ongle incarné, si ?

    Oh mon Dieu, il faut que je respire sinon je vais m'évanouir.

- Rubis ? J'ai entendu du bruit, je pensais que...

    Arsène poussa la porte du vestiaire doucement, avant de s'immobiliser. J'avais encore les mains crispées sur le rebord du banc et certainement le visage d'un mort. Je ne me sentais pas bien, pas bien du tout même. Je ne pouvais pas affronter dignement Arsène alors que je pouvais faire un malaise à tout instant.

- Ne bouge pas, l'entendis-je dire d'une voix ferme.

    Pendant une fraction de seconde, ma vision se brouilla. Quand je clignai des yeux pour reprendre contenance, il se trouvait accroupi, à mes pieds. Dieu, je n'aurais jamais imaginé pareil scénario.

- Arsène, je crois que je vais...

- Chut. Laisse-moi regarder et ferme les yeux.

    Venait-il sérieusement de me dire de me taire ? Je réagis à peine, incapable de fermer les yeux alors qu'il était si proche de moi. Il prit mon talon droit dans sa main pour observer ce que je savais être mon bout de pied sanglant. Dans d'autres circonstances, j'aurais trouvé cette scène incongrue et trop intime. Mais Arsène analysait méthodiquement mes orteils et je faisais des efforts inhumains pour garder contenance.

- Qu'est-ce que tu as fait ? Demanda-t-il en fronçant les sourcils. Il y a des éclats de verre dans ta peau sur toute la longueur de tes orteils.

    J'eus un frisson d'horreur, des éclats de verre dans mon pied ? J'allais décidément m'évanouir.

- Je ne sais pas, admis-je d'une voix rendue laborieuse par l'angoisse. J'ai juste... enfilé mes pointes.

    Le frottement doux de son pouce au creux de mon pied me fit presque momentanément oublier mes vertiges.

- Il va falloir les retirer pour que ça cicatrise.

- Mais Arsène, on doit répéter.

    Il leva les yeux vers moi, j'avais toujours l'estomac qui se retournait lorsqu'il osait me regarder directement dans les yeux, avec insistance et intérêt.

- Rubis, tu ne peux pas répéter dans cet état.

    Son ton était doux, son regard imperturbable. Ça m'excédait.

- Est-ce que tu as une trousse de premier secours ?

- Dans mon casier, répondis-je en le désignant du doigt.

l'Opéra : le lac des cygnes (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant