PROLOGUE

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Port de la Nouvelle-Orléans Mardi 9 décembre 23H00


Il y a bien un moment où le bateau doit toucher terre. Où la machine tragique doit s'enclencher.

C'est maintenant. Ici, pas ailleurs. Aujourd'hui, pas demain. Dans cette réalité, pas dans une autre.

Le danger se matérialise dans le vent marin qui s'infiltre dans les vêtements: comme une malédiction. Tout le monde ici en a conscience, la petite dizaine d'hommes qui attendent sur le quai le sait. C'est mal éclairé, ça pue le poisson décomposé, c'est austère, laid, sublime...

Le bateau s'arrime enfin. Trois hommes y montent tandis que les autres attendent près des camions.

Celui du milieu est encore jeune, dans la quarantaine. Des tatouages recouvrent son cou qu'il tient dignement élevé. Les deux qui l'entourent sont plus novices et grands comparés à lui. Des gardes du corps.

Un membre de l'équipage dans la cinquantaine sort de la cabine. Il a les mêmes traits orientaux que l'autre mais émaillés, creusés.

"Goro Tanaka, s'exclame il, ça fait un bail.

Mais l'heure n'est pas aux accolades.

—La marchandise. T'as une semaine de retard.

Le chef continental n'aime pas le marin mais est forcé de travailler avec lui dans le cadre de son réseau. C'est ça ou traiter avec les cubains, option inenvisageable.

—J'ai pris du temps à les trouver celles-là, c'est vrai, s'excuse le marin. Mais tu verrais comment elles sont bandantes, et bonnes vivantes, enfin plus trop. Je voulais t'en ramener une en cadeau mais elle a pas survécu au trajet, faut dire qu'on s'est pas privé.

Il ricane.

—Le golf du Mexique ne vaut pas ce qu'on en dit, poursuit-il. On est toujours mieux au pays, à part leurs femmes ils n'ont pas grand chose, et c'est nous qui les avons maintenant.

Ils ordonnent aux membres de l'équipage d'ouvrir la trappe où est entassé la "marchandise". Une vingtaine de femmes sont poussées sur le pont du bateau. Leurs vêtements sont en haillons et elles grelottent. Leurs regards vides ne reflètent déjà plus la vie, leurs âmes sont mortes, seuls leurs corps bougent encore.

—Tu as bien suivi les consignes ? le questionne le continental. Pas de marques ? Elles sont clean?

—Tu me prends pour qui ? Elles ont toutes eu leur rendez-vous médical. Il n'y a aucun problème, tu n'as plus qu'à les livrer.

L'autre fait un signe aux hommes sur le quai, l'un d'entre eux accourt avec un grand sac noir. On l'ouvre pour vérifier le contenu et on sort une machine pour la somme. Seul le bruit des billets qui traversent le mécanisme comble le silence.

—Il en manque deux millions, siffle le nomade.

—Pour les deux millions que j'ai perdu avec ton retard, ne la ramène pas.

L'autre serre les dents mais ne dit rien.

—Très bien, ce sera pour la putain que je devais t'offrir, considère ces deux millions comme un cadeau de ma part.

Ils se serrent la main, les femmes sont acheminées jusque dans le camion à coup de "Bougez-vous les salopes !".

Une fois la transaction effectuée, les hommes balancent le sac de billets dans la cale où étaient plus tôt les filles. La machine est lancée, la tragédie enclenchée. Le bateau part.

Oyabun, elles sont toutes dedans.

Il n'écoute pas.

—Ce connard m'offre les deux millions de son retard comme cadeau, grince il. Vous avez eu le temps de tous les mettre?

Fated to hate (T.2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant