Chapitre 35

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"Dépêchez-vous de les amener au centre de soin ! Ceux qui peuvent y retourner, on les renvoie !"

Sans une minute de répit, Thomas et Louis aident aux évacuations sous les bombardements des allemands. Ils récupèrent avec plusieurs autres soldats les blessés qui reviennent dans la tranchée, où ceux qui sont ramenés. Ils ne cessent de faire des allers-retours entre le centre et la ligne de front. Devant se protéger des obus qui explosent tout près de la tranchée. Les mitraillettes produisent un boucan infernal, mais le pire reste les hurlements de douleur.

Le blond n'en pouvait plus. A bout de force, il se baisse afin d'éviter les conséquences d'un obus qui a explosé quelques mètres plus loin sur la ligne de front. Le brun arrive derrière, redressant son amant pour le booster et retourne avec un brancard récupérer les blessés.

Certains agonisaient de blessures beaucoup plus graves que d'autres, même si cela était visible, ils n'avaient pas le temps de faire le tri. Thomas se baissa pour ramasser un soldat dont la jambe avait volé en éclats. Des morceaux de métal s'enfonçaient dans son ventre.

La vue tordait les boyaux du plus jeune, il se sentait dévasté. II est revenu face à cette terreur. Cette même peur que lors des bombardements dans les villages d'il y a 4 ans. Il devait essayer de passer outre les nausées, les tremblements et l'immobilisation à cause de la terreur.

Se précipitant, leurs bottes s'enfonçant dans la boue, ils ramenaient ce blessé au centre de soin quelques mètres plus loin derrière. Un rat se faufila entre les pieds de Louis qui sursauta, sa botte s'enfonçant davantage dans une crevasse pleine de boue. Il perd l'équilibre, certains ne se gênent pas pour le bousculer et l'embourber plus qu'il ne l'est déjà dans cette boue déroutante.

C'était la goutte d'eau qui fit déborder le vase, se retrouvant face au visage du blessé qu'il venait de faire tomber. Celui-ci gémissait sa douleur dans des cris stridents et des pleurs à flots.

Thomas dut lui aussi déposer sa partie du brancard pour aller aider son partenaire à se relever. Louis saisit sans hésitation la main tendue, la force du plus vieux l'aidant à se relever facilement. Il était désormais sale, dans le plus grand des mal-êtres :

"Louis, il faut tenir encore quelque temps."

Le blond se mordit la lèvre avec férocité. Il avait conscience que son compagnon avait raison, que cela aurait une fin. Prenant son courage à deux mains, il reprit le brancard en usant de ses forces en réserves. Ils parviennent à déposer le blessé parmi tous les autres au centre. Celui-là au vu de son état fut vite pris en charge, bien que les infirmières semblaient défaitistes.

Louis fixa un long moment le corps s'éloigner dans la tente, reprenant son souffle :

"Ce sera nous demain ou après-demain."

L'attention du brun lui vint, celui-ci fut d'abord pris au dépourvu. En analysant le regard de son amant, il perçoit toute cette peur :

"Tant mieux. J'espère qu'on y sera ensemble."

Louis ne s'attendait pas à cette réponse. Il dressa sa tête pour interroger Thomas qui souriait bêtement, les dents bien visibles :

"Si nous sommes blessés et que nous survivons, nous pourrons retourner dans notre ferme."

Cette logique dépassait toutes les limites, laissant Louis perplexe. Il avait raison, s'ils se blessaient avec impossibilité de retourner sur le champ de bataille, ils seraient forcément de nouveau envoyés à la retraite. L'espoir renaît dans tout le corps et l'esprit du jeune blond. Il fallait impérativement qu'ils se blessent, pas trop gravement pour survivre.

Ils furent rapidement repris dans leur pause improvisée. Un lieutenant les fixant sévèrement. Ils retournèrent donc chercher des nouvelles victimes de cette guerre effroyable qui semblait ne jamais se finir.

***

Assis dans cette même tanière, ils reprennent leur force en mangeant la nourriture infâme de l'armée. La pâte visqueuse n'avait aucun goût, elle était fade et coulait d'une façon étrange dans la gorge. Heureusement, le pinard aidait à faire descendre le tout plus facilement tout en ajoutant du goût :

"Je pensais que tu n'aimais guère l'alcool.

-Je m'y suis habitué, c'est meilleur ainsi."

Il n'en abusait pas afin d'éviter de finir saoule pour ses dernières heures avant d'aller sur le terrain. Les combats avaient cessé depuis quelques heures maintenant puisque la nuit était tombée. Il reprendrait à l'aube et ils feraient partie des soldats condamnés à monter l'échelle.

Cette dernière nuit, ils se blottirent l'un contre l'autre, dans l'obscurité ils se tenaient la main fermement. Louis songeait, se fatiguant et perdant ses forces pour des choses futiles. Pour Thomas c'était encore pire, sa réflexion était en pleine essor pour trouver des solutions afin de protéger son amant au mieux.

Dans ce silence, ils pouvaient entendre la respiration, mais aussi les battements de cœur de l'autre. C'était déjà arrivé des centaines de fois, cette fois-là fut pourtant plus marquante. Ce sera probablement la dernière fois. Louis croyait fortement qu'ils allaient s'en sortir, reprenant espoir, ou plutôt s'y forçant.

Soudainement, une idée lui vint comme une ampoule qui se serait allumée. Il se redressa afin de chercher à regarder de face la silhouette sombre que formait Thomas dans l'obscurité :

"Blessons-nous maintenant."

Thomas quitta sa réflexion, il lui fallut plusieurs secondes pour être sûr d'avoir compris ce que venait de marmonner son partenaire. Il parvenait à percevoir les mèches blondes quelque peu éclairées par la torche extérieure :

"Comment ça ?"

Il avait parfaitement compris la demande, mais il cherchait à affirmer pour être sûr. C'était improbable que Louis propose cela, il désirait s'assurer que cela venait bien de sa bouche, que ces mots avaient été formulés avec ses lèvres :

"Blessons-nous comme ça nous n'irons pas sur le front."

Le mélange d'espoir et de désespoir marquait cette voix tremblante. C'était désormais certain, Louis était bel et bien l'auteur de cette proposition impossible à réaliser :

"Nous ne pouvons pas...

-Pourquoi ?! Nous pourrions partir et retourner à notre vie d'avant !"

Les larmes montaient sagement dans ses yeux bruns, il se sentait désolé face à la frénésie de son amant. Il devait rompre tous ses espoirs car cela n'était pas possible. Il connaissait trop bien le fonctionnement de l'armée :

"Nous serons exécutés... Ils nous prendront pour des traîtres."

Comme prévu, les espoirs qui étaient nés en force dans l'esprit de Louis s'effondrent tout aussi vite. Les larmes lui échappèrent, Thomas put les observer rouler silencieusement le long de la joue, ce trait lumineux faiblement éclairé :

"Tu as raison, c'était idiot. Il faudra espérer l'être demain sur le terrain."

Sans comprendre pourquoi, Thomas ressent le besoin irrépressible de prendre son compagnon dans ses bras. Avec le peu de lumière présente, ceux qui dorment, il se permit une dernière fois d'enlacer la taille du jeune blond. Il le serrait le plus fortement possible contre lui, espérant ne jamais être détaché. Priant de se réveiller dans leur lit, que tout cela ne soit qu'un cauchemar. Sa main se baladait dans ses cheveux abîmés et salis par la boue.

Dans cette position, il ressentait tous les sursauts que Louis faisait en pleurant silencieusement.

Peut-être était-ce leur punition pour avoir quitté l'armée il y a de cela presque quatre ans. L'espoir étant leur seul rempart pour espérer revivre comme ils le faisaient avant. Comme si la guerre n'avait jamais existé.

C'est toi que je ne déteste pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant