Près du portail, l'endroit où Thomas regardait curieusement derrière sa fenêtre de cuisine, il perçoit une silhouette. Il avait ressenti le besoin soudain de regarder à cet endroit, il ne s'attendait pas à voir une personne s'approcher. Encore moins que cette personne soit l'oncle de Louis, qu'ils n'ont pas vu depuis leur départ de l'armée. Il repense au blond qui travaille dans le potager derrière.
L'inquiétude le gagne peu à peu en voyant le lieutenant en tenue entrer dans l'allée. Il ne lui fallut que quelques secondes pour sortir et attendre devant la porte. Leur regard se croise, il n'y décèle que de la mélancolie, faisant grandir son inquiétude :
"Thomas..."
André tire son chapeau, le calant au niveau de son ventre et hochant quelque peu la tête en signe de salutation. Les lèvres du capitaine étaient retroussées, ses yeux fatigués et ses traits tirés. Des cernes étaient parfaitement visibles, aussi sombres qu'un hématome :
"Lieutenant."
Thomas répondit avec formalité bien qu'il n'en fût pas obligé. De plus, cela restait la seule famille de Louis :
"Louis est au potager si vous désirez le voir."
Il pointa la direction, mais le lieutenant se contenta de juste regarder la direction indiquée sans bouger. Il y vit le blond accroupi dos à lui. A ce même instant, Louis se relève, essuyant la sueur qui perlait sur son front :
"Je ne suis pas ici pour voir mon neveu."
Son attention revient au brun qui se sent mal à l'aise face au regard que lui lançait le plus âgé. Il comprit que quelque chose n'allait pas, que quelque chose allait tout briser en quelques mots :
"Les Allemands sont repartis. Ils ont contourné Paris, mais ils menacent avec des canons. Les soldats français diminuent à perte de vue, les dirigeants refont les comptes pour mobiliser le plus de soldats. Que ce soit dans les jeunes, les blessés ou...
-Les retraités."
C'est à ce moment que tous les puzzles se rassemblèrent dans la tête du brun. Pour la première fois de sa vie, André vit le désespoir dans le regard du grand brun, se sentant très mal. Thomas chercha à reprendre son souffle qui se perdait, retenant ses larmes au mieux :
"Ils veulent Louis aussi ?"
André tourna instinctivement la tête vers son neveu, hochant négativement la tête. Il n'avait pas su comment son neveu était passé entre les mailles du filet, mais c'était le cas :
"Ils n'ont pas dû s'arrêter sur le cas de Louis, où alors ils ont perdu les documents le concernant. Je n'en sais rien..."
D'un regard désolé, ses yeux plongeaient dans ceux du grand brun. Il savait qu'il mettait fin à des années de bonheur, que cela aurait dû rester ainsi, mais les ordres venaient de trop haut. De plus, il s'était déjà battu durant des semaines, mais le choix était fait :
"Tu es le seul que l'armée à quémander pour aider l'armée française à éloigner les allemands hors de nos frontières."
Cette phrase avait été dite sans faille, sans tremblement dans la voix. D'une simplicité qui venait rompre le cœur du blond qui était arrivé telle une petite souris. Les yeux bleutés du plus jeune s'étaient ouverts en grands, ils laissaient transparaître son incompréhension, la persuasion que ce n'était pas ce qu'il pensait.
Quand André vit Louis, le regard pétrifié, il en eut un haut-le-cœur. Ce même regard que lorsqu'il avait dû lui annoncer le décès de sa mère. Avec le peu de force qui lui restait, il tenait son rôle de lieutenant, retenant les larmes et réprimant l'envie de serrer son neveu dans les bras. Lorsque Thomas suivit le regard d'André, il se figea sur Louis :
"Je viens aussi."
Les deux plus âgés restèrent de longues secondes dans le silence, mettant en place les trois mots prononcés pour être sûr de les avoir compris. Le brun réagit en premier, il prit les épaules de son amant, la panique s'emparant dans tout son corps, s'inscrivant sur tous ses traits :
"Tu vas mourir !"
Cette fois, la colère était clairement lisible sur le visage du plus jeune. Ses sourcils étaient froncés, il ne se laisserait pas faire. Ses arguments sont déjà tous prêts dans sa tête, comme s'ils avaient toujours été là :
"Et alors ? Je devrais te laisser aller mourir sur le champ de bataille ? Tu as pensé à moi ? Je ne veux pas faire partie de toutes ces femmes qui pleurent leur mari mort ou celle qui attendent d'avoir le fin mot, se faisant les pires scénarios tous les soirs. Je suis un homme, un soldat français et si on te veut sur le champ de bataille, j'y serais à tes côtés. Aucun de vous deux ne me fera changer d'avis."
Sa voix était fière, son torse bombé. Il ne laisserait passer aucune excuse pour le laisser croupir ici, dans la solitude et l'inquiétude. André était plus que confus, Louis venait tout simplement d'avouer haut et fort le type de relation qui le reliait au brun. Il savait déjà pourtant c'est comme s'il devait digérer une seconde fois la nouvelle. C'était la réalité, par amour son neveu irait lui aussi mourir sur le champ de bataille. Il allait perdre la seule famille qui lui restait :
"Louis, je t'en prie..."
Le blond hocha simplement la tête de gauche à droite. Les traits de son visage étaient toujours fermés à toute proposition. C'était soit Thomas et lui ici, soit Thomas et lui sur le champ de bataille. Aucune autre alternative n'était envisageable.
Défaitiste et sachant que rien ne le ferait changer d'avis, les bras du grand brun tombaient le long de son corps. Il était déboussolé tant bien qu'heureux. Ils allaient partir ensemble :
"Vous partirez demain... Je viendrais vous récupérer au point culminant du soleil."
André remit son chapeau. Il n'eut pas le courage d'en dire plus, se mordant l'intérieur de la lèvre pour retenir ses reniflements. Il accorda une légère révérence au couple avant de faire demi-tour, ne leur adressant plus un seul regard par crainte de craquer. Il est devenu la tornade qui emportait la maison, et il en avait parfaitement conscience.
Une fois André trop loin pour être perçu, les deux qui fixaient l'horizon finirent par se regarder mutuellement. Il n'eut besoin que de quelques secondes avant de se jeter dans les bras de l'un et de l'autre, plus chamboulé que jamais. Leur bonheur allait prendre fin si vite, ils n'avaient pas eu le temps de faire tout ce qu'ils désiraient.
L'heure ne pouvant être à la tristesse, ils se reprirent après cet échange mélancolique. Ils devaient tout préparer. Demander à leurs voisins les plus proches de venir s'occuper ne serait-ce que des bêtes pendant leur absence. Thomas fut le premier à réagir, il partit directement dans l'écurie pour aller seller Marquis, son étalon bai. En voyant son partenaire partir, Louis finit par poser ses yeux sur sa bague toujours à son annulaire. Les larmes le prient aussitôt, il retenait ses pleurs bruyants avec sa main plaquée sur sa bouche. Se recroquevillant sur lui-même, la main contre la poitrine. La douleur était intense, il ne pouvait la contenir plus longtemps.
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C'est toi que je ne déteste pas
Ficción GeneralUn jeune homme est envoyé à la guerre. Contre tout attente, il va intégrer une escouade d'arrière-garde chargée des évacuations. Dans cette nouvelle troupe, il va rencontrer d'autres hommes, dont un. Au départ, une tension négative planait entre le...