chapitre 11: Les flyers

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Le regard fixant le vide, je déjeunais tranquillement quelques granola accompagné d'un verre de lait, en attendant de pied ferme que mes parents se réveillent. J'ai besoin de savoir si ce que Diego m'a raconté est vrai. J'ai besoin de savoir si mes parents sont de mèche pour m'envoyer dans la gueule du loup.

C'était tellement étrange ce qu'il s'est passé hier, et bon sang, qu'est-ce qu'il est cinglé Diego. Il a failli bousiller nos plantations, simplement pour cette histoire de faux couple. Je devrais en parler à mes parents ? Non non, ils ont déjà une mauvaise image de lui, pas besoin d'en rajouter. Ça pourrait allumer quelques tensions entre mes parents et Karine et Antoine.

Je me souviens de ses yeux braqués sur moi, lorsqu'il avait encore sa cagoule. J'avais eu si peur. Parfois, je m'en veux d'être si gentille, si timide, je n'arrive pas à m'imposer face à lui. Le pire ? C'est qu'il a aimé me faire peur. J'en ai fait des cauchemars cette nuit, tout ça à cause de lui. Il a ce don de m'intimider, et je n'arrive pas à m'en défaire.

Le doux baiser de ma mère sur mon front me fit sortir de mes pensées.

—Coucou ma puce, tu as bien dormi ?, me dit-elle, tendrement, dans le creux de mon oreille.

Je lui répondis simplement par un petit sourire.

—Maman, y a quelque chose que tu ne m'aurais pas dit ?

—Non, je ne crois pas. Pourquoi ?

—Diego m'a dit que ses parents ont eu la somptueuse idée de nous mettre en faux couple lui et moi, pour faire le "buzz", je mime avec mes doigts.

Ma mère prend un air confus, puis s'assoit sur la chaise face à moi.

—Il t'a dit ça ?

Je hoche juste la tête, l'air ferme.

—Je n'étais pas au courant, je t'assure.

—C'est vraiment nécessaire ? Je veux dire, tu sais à quel point je ne peux pas voir Diego, tout ce qu'il m'a fait... Je marque une pause, j'avale ma salive.

—Tout ce qu'il m'a fait...

—Ma puce, on ne va pas te forcer à faire quoi que ce soit. Antoine et Karine ont divers plans pour les bénéfices du restaurant, mais sur ce point, je ne suis pas d'accord avec eux. Ce n'est pas comme si vous êtes des célébrités et que quelqu'un en a quelque chose à faire si vous êtes en couple ou non. Nous devons promouvoir notre cuisine, pas mettre en avant nos enfants.

Le regard de ma mère est si bienveillant que cela fait redescendre ma tension. J'avais peur qu'elle soit d'accord avec cette idée absurde. D'un sens, elle a raison, en quoi créer un faux couple entre Diego et moi ça apportera du public à leur restaurant ? Karine et Antoine misent énormément sur les réseaux sociaux, ils savent comment faire de la pub, mais cette idée n'apportera aucun client, c'est stupide.

Nos familles sont connues dans la région, et nos photos de la dernière fois pour promouvoir l'ouverture du Palais des sens avaient séduit plus d'une personne. Nous mettre en couple pour de faux n'a aucun rapport avec leur restaurant pour le coup.

—J'en parlerai à Karine et Antoine, ne t'en fais pas. Tu n'auras pas à faire ça.

—Merci, maman.

—Au fait, ton père et moi auraient besoin que tu affiches quelques flyers dans la ville.

—Pourquoi ?

—On a rajouté quelques plats au menu, et on a ouvert dans le restaurant des jeux pour enfants.

—C'est cool ça, c'est parfait pour les enfants.

—C'est Diego qui a eu l'idée de construire ça, figure-toi. Ce n'était pas forcément quelque chose qu'on voyait dans le restaurant, ton père et moi, on imaginait plus des adultes dégustant de bons plats français dans un décor très paysan, je dirais. Maintenant, notre restaurant accueillera petits et grands, alors ce n'est pas une idée stupide finalement.

Diego qui s'intéresse à notre auberge ? Et qui propose une bonne initiative ? Ce n'est pas possible, je dois rêver. C'est une idée banale, mais pourquoi pas, moi-même, je n'y avais pas pensé. Ma mère paraît ravie, et un peu fière de lui, et ça me déplait fortement. Parfois, j'ai l'impression que mes parents oublient ce qu'il m'a fait. Le nombre de fois où j'ai pleuré dans leur bras, elle semble l'oublier.

Tout d'un coup, j'ai envie de lui raconter l'incident de cette nuit, juste pour lui rappeler que Diego n'est pas quelqu'un de bon. Ça me fait mal que ma mère ne soit pas énervée contre lui, parce qu'elle devrait l'être.

Finalement, je me résolus à ne rien dire, c'est vrai qu'il n'a rien fait, parce que je l'ai stoppé aussi. Elle a tourné la page, et je devrais faire comme elle, mais c'est plus facile à dire qu'à faire. On n'oublie pas plusieurs années de harcèlements facilement. On n'oublie pas en claquant des doigts des années d'humiliation.

Je pourrais le pardonner, sans doute, s'il daigne s'excuser, ce qu'il ne compte pas faire de si tôt. Il a dix-huit ans, mais rien dans le cerveau. Je me sens incapable de tourner la page comme mère, puisqu'il continue d'agir méchamment avec moi.

J'enfile une petite veste au motif de fleurs, puis je sors avant d'embrasser ma mère et d'emporter les flyers. Je vais prendre la matinée à coller ces affiches, ça s'annonce super. À travers les petites ruelles et les rues les plus empruntées, je colle les affiches sur les grands lampadaires, devant les bars du centre-ville...

La rue de la Joie, une rue que je hais emprunter. Cette petite rue comporte quelques maisons, mais principalement des arbres et des fleurs, ainsi que des bancs pour quelques passants qui ressentiraient le besoin de s'asseoir. C'est une rue peu empruntée par les voitures, puisqu'elle est en quelque sorte un passage pour les passants pour arriver plus vite au centre-ville.

Cette rue contient des souvenirs désagréables, comme Diego et moi empruntions ce même passage de la primaire au lycée.

Après avoir marché un bon moment, je m'autorise une pause, en m'asseyant sur l'un des bancs à l'ombre. Il ne me reste plus beaucoup de flyers, j'ai bientôt terminé. Je décide tout de même de les compter. Un, deux, trois ! Parfait, j'en collerai deux dans les deux prochaines rues, et une devant le bistro qui est juste à côté de notre restaurant. C'est là où travaille Miguel, le meilleur ami de Diego.

—Alors Jeanne, tu fais la boniche de service ? Dit quelqu'un que je connais si bien au volant d'une belle voiture noire, en sortant sa tête de la vitre.

—J'aide simplement.

—Oui, c'est ça. Tu fais ce que papa et maman te demandent de faire quoi.

—Tu gênes les voitures derrière-toi, dis-je d'un ton neutre, puisqu'une pile de voitures derrière lui klaxonnaient, criant des injures, comme si c'était la fin du monde de devoir attendre quelques secondes qu'une voiture avance.

—Amuse-toi bien la boniche à coller les affiches, dit-il en enlevant ses lunettes de soleil pour m'offrir un clin d'œil.

Lorsqu'il partit, je pris la peine de lui offrir mon beau doigt, mais c'était trop tard, il était déjà parti. C'est ce que je vous ai dit, il me rend faible, qu'est-ce que ça m'énerve...

𝙒𝙝𝙚𝙣 𝙩𝙬𝙤 𝙬𝙤𝙧𝙡𝙙𝙨 𝙘𝙤𝙡𝙡𝙞𝙙𝙚Où les histoires vivent. Découvrez maintenant