chapitre 25: Eline

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J'ai dix-neuf ans, et cela faisait dix-neuf ans que je la connaissais... Depuis ma naissance, elle a eu une place importante dans ma vie. Même si Éline aura vécu une belle vie heureuse ici avec nous, je ne peux pas m'empêcher d'être triste. Cette nouvelle inattendue m'a brisé le cœur, et dire que je n'ai pas pu lui dire au revoir...

Ses derniers souffles se sont faits alors que je dévalais l'allée de cailloux qui donne sur la ferme, dans l'espoir de pouvoir la voir vivante une dernière fois...

Certains pourraient me prendre pour une folle, car me voilà à pleurer pour une vache, mais c'était plus que ça. Nous avons grandi ensemble, et j'ai passé tellement de temps avec elle dans son enclos, pour lui porter compagnie, pour la nourrir autant qu'elle le souhaitait, pour la réconforter quand son regard portait de la tristesse. Elle faisait partie de la famille.

Je savais que c'étaient ses derniers jours, il est vrai qu'elle n'était pas très en forme, et pourtant je n'ai pas profité d'elle, pour ses derniers instants. Personne ne peut vraiment s'y attendre.

Petite, nous courions toutes les deux dans les champs, parfois je montais sur son dos lorsqu'elle était d'humeur, et je me souviens à quel point ces moments étaient précieux, et qui paraissent désormais si lointains.

Lorsque mes parents m'ont appris la nouvelle, une partie de moi avait deviné dans leur affolement qu'Éline venait de mourir, mais l'autre partie refusait de l'admettre, et priait pour que ce soit autre chose, n'importe quoi .

J'ai couru, du mieux que j'ai pu, les larmes coulant à flots sur mes joues, mais je ne suis pas arrivé à temps. Elle était allongée sur le gazon, les yeux fermés, le visage détendu, sa tête réfugiée entre ses deux pattes, posées sur le sol, en paix avec elle-même.

J'ai effectué de grands gestes afin de faire disparaître ces satanées mouches qui n'ont cessé de la coller depuis le jour de sa naissance, puis je me suis assise, le dos collé contre son ventre, les jambes pliées, le regard dans le vide.

Je ne savais que dire, ni que faire. Mais je suis restée là, immobile.

Au moins, elle aura eu le droit à de beaux jours, au lieu de s'être fait tuer jeune dans un abattoir pour amasser de l'argent et de la nourriture, abattue tel un monstre. Certains n'ont pas eu cette chance d'être un animal bien traitée et chérie comme elle l'a été.

La main rassurante de Diego était là, posée sur mon épaule droite, que je n'avais pas remarqué directement, perdue dans mes pensées. Il ne disait rien, mais le simple contact de sa main me rassurait. Pourquoi ? Je n'en ai aucune idée. Il aurait très bien pu partir, me laisser endurer cette étape seule, mais il a entendu la nouvelle, et sans doute a-t-il eu de la peine pour moi. Je lui avait presenté Eline...

Mais je le hais d'être resté, me voir pleurer, faible, tout ça pour un animal, doit-il se dire. Éline était un rayon de soleil, ma meilleure amie, car même à défaut de ne pas savoir parler, ses yeux et son attitude, en disait long sur sa pensée, et elle a tout de même su, elle aussi, me réconforter simplement par sa présence dans des moments où ça n'allait pas dans ma vie.

Maintenant, je vais devoir m'habituer à rentrer dans l'enclos des vaches, sans la voir, sans la voir courir vers moi pour me saluer, sans subir sa bave sur tous mes vêtements et sur mon visage, tant elle était heureuse de me revoir.

Il n'y aura plus rien de tout ça.

Les animaux sont si gentils, agréables, compréhensifs sans même comprendre notre langue, dépourvus du vice et des méchancetés humaines, mais malheureusement, eux aussi sont destinés à une fin tragique. Personne n'y échappe, pas même les cœurs les plus purs.

Trois jours se sont écoulés, et autant dire que j'ai passé mes journées à dormir. Je n'ai pas l'envie de faire quoi que ce soit, je préfère me noyer dans mon chagrin seule, à alterner, dormir et manger. Ce n'est pas si mal comme mode de vie. Ça permet d'oublier quelques instants les derniers évènements.

–Coucou, dis-je d'une voix monotone, à mon amie, perchée sur un arbre afin de ramasser les fruits saisonniers.

La brune au carré plonge ses yeux verts dans ma direction, l'expression enjouée, mélangée à une lueur de "je sais ce qu'il s'est passé, je suis désolé", et de "je te vois enfin !".

Dès que j'ai appris la nouvelle, j'ai préféré être seule, je ne suis pas allée la voir, même si j'aurais dû, parce que cette fille a toujours les mots pour me réconforter, pour m'aider quand ça ne va pas. Mais j'étais trop bouleversé, (et je le suis encore, mais un peu moins) alors, j'ai préféré me réfugier dans le sommeil et dans les gâteaux sans personne.

Aujourd'hui, j'ai décidé de sortir de ma grotte pour lui faire un petit coucou, pour discuter de tout et de rien, pour profiter de ses talents de psychologue qui me font oublier ou parfois disparaître mes problèmes. J'ai conscience que mon problème actuel ne peut pas être oublié, une nouvelle pareille ça secoue, mais la joie et la bonne humeur d'Ambre me changeront les idées.

–Ça va mieux toi ? Dit-elle, perchée sur une grosse branche, les yeux rivés vers l'orange entre la vie et la mort à un mètre d'elle qui menace de s'éclater sur le sol.

Je grimpe l'oranger avec le peu de force qu'il me reste, puis je m'assois une branche en dessous d'elle, n'ayant pas assez de puissance pour monter au niveau supérieur.

–Bof, je réponds les yeux plissés à cause du soleil éblouissant.

–Ça m'attriste tout autant que toi qu'elle soit partie, tu sais, je me suis beaucoup occupée d'elle, mais dis-toi qu'elle aura eu une belle vie, c'est le principal. Elle est morte de vieillesse, elle ne pouvait pas continuer à vivre alors qu'elle peinait à se déplacer.

–Je sais, je murmure, les jambes dans le vide qui bougent dans tous les sens, tandis que mes yeux sont cette fois dirigés vers le sol.

–Tu devrais faire quelque chose, au lieu de rester enfermée dans ta chambre à dormir. Amuse-toi, tu en as grandement besoin.

M'amuser à faire quoi ? Je ne m'amuse jamais. À la rigueur, je pourrais aller peindre, mais je n'en ai pas envie. Toutes mes pensées mènent à Éline, aux bons moments passés avec elle, ça ne veut pas partir de mon esprit. Or, la concentration est l'élément phare dont j'ai besoin pour exercer mon art, et je ne l'ai pas entièrement, depuis ces trois derniers jours, alors ça n'en vaut pas la peine...

–Il n'y a rien à faire.

–Tu devrais peindre !

–Je n'en ai pas envie.

– Va t'occuper un peu des autres animaux alors, t'adore t'en occuper !

–Je n'en ai pas la force.

–Et Diego ? Vous vous entendez bien maintenant. Tu devrais lui proposer de te voir !

Dans ses rêves. Ce guignol était sorti de mon esprit, mais il faut qu'elle le fasse revenir. Ambre a peut-être raison sur une chose : je dois m'aérer l'esprit, mais pas avec Diego. Je n'ai pas besoin de son aide, surtout à présent qu'il est reparti dans son palais. Plus il est loin, mieux, je me porte.

–Jamais de la vie, je réponds en la regardant, l'expression écœurée.

Hier, Diego m'a envoyé un message, plutôt surprenant, tard dans la nuit. Il voulait me proposer de venir à sa fête qui se tient ce soir, chez lui, mais je n'ai pas répondu. D'autant plus que je ne vois même pas pourquoi il m'a proposé ! Nous ne sommes pas amis, j'en ai rien à cirer de sa vieille fête tout pourrie.

Je ne suis pas désespéré à ce point pour aller à une soirée à laquelle il n'y aura que des inconnus. Et, je n'ai jamais été à une soirée...

–Et alors, raison de plus pour y aller ! Ça va te faire du bien !

–Attends, je viens de parler à voix haute ?

–Oh que oui, et j'en ai assez entendu. Ce soir, tu sors !

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Coucouuu !!

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Kiss <3

𝙒𝙝𝙚𝙣 𝙩𝙬𝙤 𝙬𝙤𝙧𝙡𝙙𝙨 𝙘𝙤𝙡𝙡𝙞𝙙𝙚Où les histoires vivent. Découvrez maintenant