Chapitre 3

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Malinda - fearless


La nuit est tombée tôt. Le fait que les nuages noirs et lourds de la journée soient en train de partir en direction du Nord n'aide pas à garder la lumière du jour. Il n'y a pas d'étoiles, juste la chaleur lourde et orageuse de la journée qui plane encore entre les murs de l'hôtel de police.

La commandante Sainte-Rose est déjà partie depuis un moment, en pleine discussion avec un homme corpulent portant une chemise hawaïenne. Sand ne le connaissait pas.

Aurélien avait un entraînement de boxe en fin d'après-midi alors il lui a laissé son bureau en sortant il y a environ une heure et demie. Beaucoup des officiers sont déjà rentrés chez eux et le lieu est très calme, permettant à Sand d'avancer assez vite dans son travail.

Gaëlle est venue s'installer à son ordinateur depuis une quarantaine de minutes, et les deux femmes ne se sont adressées qu'un simple salut avant que la pièce ne replonge dans le silence.

Il n'y a que le son des touches du clavier de Sand qui résonnent entre elles alors que Gaëlle ponctue le temps de soupirs las, visiblement peu emballée à l'idée de remplir sa pile de rapports en retard. De ce que Sand a pu comprendre, le commissaire à fait la morale à Crivelli une énième fois, ne lui laissant pas d'autre choix que de prendre du temps supplémentaire pour terminer ses rapports de mission du mois.

Petit à petit, Sand commence à trouver sa place à son nouveau poste, bien que son intégration dans la petite équipe ne soit pas encore évidente. En dehors du travail, elle ne connait presque personne sur l'île et n'a gardé aucun contact avec ses anciens collègues de métropole. Sa vie se résume donc à sa commandante accueillante, le commissaire avare en compliments, Aurélien et sa façon de toujours la mettre à l'aise, et pour finir, Gaëlle, qu'elle n'arrive toujours pas à bien comprendre.

Cette arrivée aurait donc pu être bien pire.

Les pages sur l'ordinateur de Sand s'allongent et la pile de rapports de Gaëlle diminue lentement alors que l'heure tourne. Pour la centième fois, cette dernière se prend la tête entre les mains, plongée dans une réflexion intense.

-Sand, finit-elle par soupirer, comment tu dirais de manière polie et officielle que cet homme était chiant, méritant la mort pour ses idées concernant les femmes et d'un ennui absolument terrifiant ?

Avant de réfléchir sérieusement à la question, Sand regarde Gaëlle avec un rire montant lentement dans la poitrine. Elle devine assez facilement de qui parle la capitaine et approuve ses propos, même si elle ne le dira pas de vive voix.

Pendant une seconde, elles se regardent sans un mot, essayant de deviner qui cèdera la première, avant de finalement rire les deux en même temps.

Match nul.

-Un homme aux idées misogynes qui fait preuve d'une arrogance assez ciblée ? propose Sand en retrouvant un peu de sérieux.

Gaëlle amène le bout de son stylo bleu entre ses lèvres, le fait lentement tourner alors qu'elle évalue l'option. Satisfaite, elle note distraitement les mots sur son rapport, griffonnant la fin en vitesse.

-Pas mal, commente-t-elle en refermant la pile.

Sand sourit alors qu'elle termine sa phrase, refermant les fenêtres de l'ordinateur à son tour. Quand elle éteint l'écran, elle remarque que le bureau d'Aurélien est décoré de diverses photos de championnat, sans nul doute des élèves de son école de boxe. Il y en a une autre scotchée contre le premier tiroir, sur laquelle Sand reconnaît la petite équipe.

Aurélien est sur la droite, souriant sérieusement, à côté de l'homme en chemise fleurie qu'elle a remarqué un peu plus tôt. Ce dernier porte des lunettes aux verres colorés et regarde l'objectif avec fierté. Droite comme un i, la commandante se trouve sur la gauche, un bras passé autour de son épaule, et l'autre autour de celle qui se trouve presque au milieu de la photo.

Bien sûr, Gaëlle est la plus visible malgré sa petite taille. Son tee-shirt rouge aux ambiances rock'n'roll se détache de la photo, et elle est occupée à rire aux éclats. Avec un peu de recul, c'est sûrement la commandante qui en est la raison, car elle regarde l'objectif, mais semble en train de dire quelque chose.

Sand sourit un peu en détaillant le bout de papier jauni. Il a déjà quelques années. Sur la photo, la commandante ne devait pas être là depuis plus d'un an, et Gaëlle porte ses cheveux coupés courts, les mèches se dressants fièrement sur sa tête.

Saisissant son sac, Sand va chercher son casque de vélo dans le coin de la pièce tandis que sa collègue est toujours occupée au bureau. Bien qu'elle aimerait pouvoir s'attarder un peu plus longtemps sur les clichés, il est tard et elle ne peut pas se permettre de rester trop longtemps. Après avoir enfilé les lanières éliminées autour de ses épaules, la capitaine salue Crivelli.

Cette dernière répond sans relever la tête mais son ton a quelque chose de presque amical, alors Sand s'en contente largement. Elle remarque tout de même que contrairement à Aurélien, le bureau de sa collègue est assez encombré de papiers, de stylos ou encore de clef USB. Pourtant, il ne s'y trouve au contraire rien de personnel.

Pas de photos, de petites décorations ni de post-it à déchiffrer.

Tournant les talons, Sand sort dans le couloir sans rien ajouter. Gaëlle est à la fois si ouverte et si mystérieuse qu'elle se perd un peu à essayer de la cerner. C'est ce petit truc qui fait que les cases pré-faites dans lesquelles elle aime bien ranger les gens pour mieux les aborder ne marchent pas avec elle.

Sainte-Rose est le genre de personne qui aime le professionnalisme et le sérieux mais sait tout de même montrer son attachement en laissant voir ses sentiments de temps en temps. Aurélien est plutôt du genre impulsif silencieux, une épaule sur laquelle savoir que l'on peut s'appuyer peut importe quand. Quelqu'un qui se soucie beaucoup de ses amis.

Quant à Gaëlle, eh bien, Sand ne sait pas.

Un mélange de sarcasme, d'humour et de fougue, et pourtant toujours cette petite introversion. Quelque chose qui pousse la coquille des crustacés à se refermer sans raison, a éviter soudain le monde. C'est comme ça que la voit Sand.

Mais aucun de ces traits ne vont ensembles, ce qui la perd encore et encore. Elle ne sait pas comment agir avec elle, ne sait pas ce que Gaëlle attend d'elle.

Laissant tomber le fil de ses pensées, Sand se dirige tranquillement vers son vélo, contournant la Jeep garée sur la place juste devant. Elle enfourche la selle et prend la route en allumant les petits phares à piles fixés sur le cadre, observant le ciel d'un sang d'encre.

Et si c'était elle ?  -    [Romance Lesbienne]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant