Chapitre 8 - Partie 2

804 50 1
                                    

2

Bad liar – Imagine Dragons

La pièce face à elle est sans nul doute ce qui fait office de salon et de chambre. Elle est petite, très peu meublée, et un canapé lit en occupe la majorité de l'espace. Pour quelqu'un comme la commandante ou Aurélien, habitués à de grandes maisons, ce serait absolument minuscule. Pour Gaëlle, qui vit sur un voilier, c'est déjà assez spacieux.

Le parquet en bois foncé grince sous les pas de Sand qui est agenouillée devant la banquette repliée. Les volets sont ouverts par petites interstices, et l'appartement est plongé dans la pénombre. Il n'y a pas grand-chose de personnel que Gaëlle pourrait attribuer a sa collègue en un seul regard.

En revanche, sur la table basse s'amoncellent des livres de lycée, stylos et crayons de couleurs éparpillés sur des feuilles chiffonnées. Une tasse de thé à moitié vide est encore posée sur un dessous de plat, la ficelle de l'infusion jaunie par le liquide séché.

Une odeur de bougie aux fruits rouges persiste dans l'air bien que Gaëlle n'en trouve aucune dans son champ de vision direct. Ce parfum est pourtant ce qui lui prouve qu'elle est dans le bon appartement, bien qu'elle ne se rappelle pas comment l'odeur de Sand a pu un jour la marquer.

Et face à Sand, assise au bout du canapé, une pré-adolescente tremble, ses cheveux blonds clairs masquant son visage à Gaëlle derrière un rideau de mèches lisses. Elle porte un jean large, troué au niveau des genoux comme tant de jeunes filles aiment se vêtir dans le lycée de Thaïs. Sa peau pale visible à travers le tissu montre de fines veines bleutées.

-Hé, regarde-moi, continue à murmurer Sand à voix basse.

Gaëlle se rend compte que la capitaine parle à l'adolescente depuis qu'elle est arrivée, mais plongée dans l'ambiance de la pièce elle ne s'en était pas encore aperçue. Ses yeux bleus sont assombris par l'inquiétude, et cette même expression fermée qu'elle a déjà arboré lors d'une conversation avec la commandante.

-On va aller à l'hôpital, poursuit Sand, et il referont des examens. Je sais que ce n'est pas agréable, mais il faut trouver le bon traitement, d'accord ?

Gaëlle voit la tête de l'adolescente hocher lentement en silence, ponctué seulement par les paroles de Sand et les respirations essoufflées de son interlocutrice.

-Le voisin va nous emmener, ils finiront bien par te stabiliser, soupire Sand en fermant les yeux un instant.

Dans la pénombre de la pièce, elle a soudain l'air épuisée, comme si les ombres creusaient les lignes de son visage inquiet, mettant en valeur ce qui ne se voyait pas en plein jour. Un sourire rassurant teinte ses lèvres blêmes alors qu'elle se retourne et attrape un sac en bandoulière déposé au pied du canapé-lit. Son aspect rembourré indique clairement qu'il était placé stratégiquement, et que ce n'est pas la première fois qu'il fait l'allé retour aux urgences.

Le cœur de Gaëlle se serre inconsciemment et elle remue, de nouveau mal à l'aise.

Tandis que Sand lui tourne toujours le dos, la tête de la jeune fille blonde se lève dans sa direction, ses longs cheveux dégageant son visage alors qu'elle se tourne vers l'intruse.

Et Gaëlle est frappée par la révélation.

Bien sûr, la jeune adolescente qui la fixe avec incrédulité n'est pas la fille de Sand. Si on avait demandé à Gaëlle d'imaginer cette dernière bien plus jeune, elle aurait sans doute servi un portrait de la petite lycéenne qui lui fait face.

Des yeux bleus clairs, de longs cheveux titanes et une peau pâle.

Ce n'est pas sa fille, c'est sa sœur.

Des perles de sueur brillent sur le front de cette dernière mais elle se contente de garder le silence en fixant Gaëlle dans les yeux. Une douceur dans son regard force la capitaine a esquisser un sourire qu'elle veut amical, bien qu'elle ne sait toujours pas si sa présence ici est une bonne idée.

Quand la jeune fille sourit à son tour, elle ne peut s'empêcher de se sentir un peu plus soulagée. Jamais elle n'aurait pensé que Sand avait une petite sœur. Mais après tout, ce n'est pas si irréel. Ce qui l'est plus, c'est qu'elle est plongée dans un face à face silencieux avec elle tandis que derrière, Sand continue à parler, toute seule cette fois-ci.

-Je demanderai au cardiologue de faire une échocardiographie, pas juste son graphique de la dernière fois. Je savais bien qu'il manquait quelque chose, c'est pas les pauvres cachets qu'il t'as donné qui feront quelque chose. Non, il faudrait un vrai suivi, mais bien sur ils sont trop débordés, hein.

Malgré son air malade, le rire silencieux qui secoue le corps de la plus jeune face au désespoir de Sand amuse un peu Gaëlle. Elle se demande si elle devrait avancer pour montrer sa présence à sa collègue, mais cette dernière semble plongée dans une intense concentration, occupée à ranger ses affaires de travail en vitesse.

Alors elle reste appuyée dans le cadre de la porte, à échanger sans un mot avec la jeune fille assise au bout du canapé. Malgré sa peau trop blanche, la sueur sur son visage et ses traits émaciés, on pourrait presque dire que tout est normal chez elle.

Mais Gaëlle n'est pas de la police pour rien, et elle peut dire qu'il y a un problème de santé derrière ce sourire. Un problème qui est connu des deux filles qui occupent l'appartement.

-Bon, c'est bien, reprend Sand en passant le sac sur ses épaules, je vais aller prévenir le voisin et je reviens te chercher tout de suite. Si jamais il y a...

Elle se fige, sa phrase tombant comme le silence de la pièce quand elle remarque la silhouette de la femme à l'entrée de son appartement. Ses sourcils se froncent et la colère glaciale qui nait au fond de ses yeux donne envie à l'occupante de disparaitre sous terre.

-Je peux savoir ce que tu fiches ici, par tous les diables ?!

Gaëlle hésite, ouvre la bouche avant de la refermer. Elle qui a toujours une réplique ironique au bout des lèvres se trouve pour la première fois à court de réponse. Elle ne cherche pas le combat, mais quelque chose dans l'expression de Sand lui indique que la guerre n'est pas loin d'arriver à elle si elle ne dit pas quelque chose.

-Le voisin est parti il y a deux minutes, bégaye-t-elle.

C'est tout ce qui lui a traversé l'esprit et elle se maudit un instant pour sa stupidité. Si elle s'était simplement occupée de ses affaires...

-Mais il parait que je suis un bon taxi, poursuit-elle sans contrôler sa bouche. Et je connais le chemin de l'hôpital.

Et voilà, avec ça si elle ne fini pas la journée avec un sac en bandoulière serré autour de sa trachée...

Pourtant, sans se départir de sa fureur silencieuse, Sand jette un œil à sa sœur avant de revenir à Gaëlle. Elle pince les lèvres.

-Mallory, la capitaine Crivelli va nous emmener, informe-t-elle d'une voix dénuée d'émotions. Mais j'aurai deux mots à lui dire plus tard.

Et si c'était elle ?  -    [Romance Lesbienne]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant