Chapitre 23

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Florent Pagny – Un jour une femme

Sand est assise sur le lit de Mallory en silence. Les draps bleus clairs entortillés entre ses doigts sont comme du papier de verre, rêches et épais. Elle ne sait pas quoi dire, se contente de fixer ses pieds, observer sombrement partout sauf dans les yeux clairs de Mallo qui l'implorent de le faire.

-Ils m'ont expliqué, tu sais, soupire finalement la plus jeune en se redressant un peu. Je ne suis plus un bébé Sand, je suis assez grande pour comprendre. Arrête de faire comme si c'était la fin du monde.

La capitaine pince les lèvres si fort qu'elles disparaissent en une fine ligne pendant deux secondes, avant de démêler ses doigts du tissu désagréable.

-Arrête de parler comme si la fin était une option envisageable, rétorque-t-elle plus durement que prévu.

-Mais c'est le cas ! proteste Mallo. Tu le sais, on en a déjà parlé. J'ai pas envie de souffrir comme ça jusqu'à la fin de ma vie parce tu essaies de me soigner coûte que coûte.

Elle se tait, attendant sans doute une réaction, une parole, un réconfort. Mais Sand garde les yeux baissés sur ses genoux, sa lèvre inférieure toujours coincée entre ses dents.

-Je m'en fiche moi, soupire sa petite sœur à nouveau. Tout ce que je veux, c'est passer du temps avec toi. Je ne veux pas qu'on me regarde comme on regarde les autres, ceux qui ne passent pas leur temps à l'hôpital. Je ne serai jamais comme eux, et c'est comme ça. Tant pis pour le regard des gens.

Mallory remue sur le lit médical, se mettant assise contre l'oreiller trop dur. Après s'être remise un peu plus à l'aise et avoir détaillé le mur impeccable face à elle, elle reprend.

-Tout le monde doit mourir un jour, non ? Le principal, c'est que j'aie le sourire aux lèvres.

Sa phrase, lui paraissant pourtant anodine semble secouer quelque chose chez sa sœur. Elle voit ses épaules se tendre sous sa veste, et la blonde relève brusquement la tête, croisant le regard de la plus jeune pour la première fois depuis son entrée dans la pièce.

Mais ce qui l'étonne le plus, c'est ce qu'elle peut y lire. Il y a une étincelle, une résistance que Mallory n'a jamais vu auparavant. A travers la couche brumeuse formée par les larmes qui menacent de céder, elle voit la colère monter rapidement.

-Comment tu peux dire un truc pareil ? explose Sand avec un sanglot avorté dans la voix.

La bouche de sa petite sœur s'ouvre et se referme un instant. Face à Sand qui la fusille du regard, elle se demande ce qu'elle a pu dire de mal sans comprendre.

-Parce que je le pense ? essaie-t-elle doucement. Personne n'est éternel, moi encore moins que toi... Si les médecins ne trouvent pas comment faire pour-

-Mais ils vont trouver ! coupe durement la capitaine. C'est leur travail, non ? Ils vont trouver et tout ira bien, parce qu'ils sont là pour ça !

Mallory ne répond pas tout de suite, estomaquée par la réaction vive de sa grande sœur. La poitrine de la plus âgée se soulève et s'abaisse rapidement, prise par sa propre énergie dévastatrice.

-Bien sûr, soupire Mallory. Mais ça n'arrive pas qu'aux autres. Les erreurs médicales, les traitements qui sont découverts trop tard... Je ne veux pas mourir dans un lit de clinique, Sand. Ce que je veux, c'est profiter de tout, des petites choses, pas être enfermée entre quatre murs blancs dans une pièce triste comme celle-là. Si jamais...

-Il n'y aura pas de si, rétorque à nouveau Sand. Tu m'entends ? Il faut que tu arrêtes de penser comme ça, que tu arrêtes de toujours envisager le pire comme si ce n'était rien d'autre qu'une bosse sur le genou. Tu n'as pas le droit de dire que ce n'est rien, pas le droit de voir le mal partout et d'en parler aussi calmement que si tu devais simplement passer à la pharmacie ! Est-ce que tu te rends même compte de ce que tu dis ? Tu peux pas envisager ça ! Pas à ton âge, pas comme ça ! Pas...

Elle s'arrête au milieu de sa phrase, stoppée par un sanglot qui lui prend la gorge. Les larmes prennent enfin le dessus, brisant le faible barrage de ses yeux et se mettant à rouler le long de ses joues pâles sans vouloir s'arrêter. Son corps est secoué de spasmes, la laissant tremblante, assise sur sa chaise dans le silence soudain de la pièce.

Elle voudrait se calmer, Pouvoir éviter de crier tout ce qu'elle pense au visage de sa sœur, mais en est incapable. C'est comme si toutes les peurs qu'elle retenait à l'intérieur depuis des années prenaient enfin le dessus sur sa raison, et elle n'a plus aucun contrôle de ses réactions.

Consumée par la colère de cette injustice et par ses propres sentiments, elle se replie sur ses genoux, l'eau chaude et salée de ses larmes s'accrochant au coin de ses lèvres, coulant le long de sa mâchoire avant de tacher son pantalon de grosses gouttes foncées.

La main de Mallory se pose contre son bras avec hésitation, et c'est trop pour Sand. Elle a atteint la limite de ce qu'elle est capable de supporter aujourd'hui.

Brutalement, elle se recule du toucher doux de sa sœur, ses pieds se prenant dans la chaise et la forçant à se lever, quelques pas en arrière du lit.

-Ne fait pas comme si tu comprenais ! hurle-t-elle. N'ose même pas me faire croire que tu comprends ! Tout ce que tu veux, c'est la paix ! Tu vis avec la possibilité que ça s'arrête à tout moment et l'idée ne te paraît pas si terrible parce que c'est toi. Mallory, tu aimes la vie, tu en aimes chaque seconde parce que tu es consciente qu'elle peut se finir brutalement. Pour toi, ça ne te fais plus rien ! Mais est-ce que tu penses à ce que je ressens, moi ? Tu trouverais peut-être la paix, mais moi je perdrais tout ! Tu peux pas dire ça comme ça, expliquer avec tout le sang froid du monde que ça peux arriver.

Elle s'arrête pour reprendre quelques inspirations trop rapides, ne laissant pas le temps à Mallory de chercher à répondre.

-Parce-que oui, pour toi c'est pas la fin du monde, et je suis contente de le savoir ! Mais pour moi, pour moi ce serait la fin de mon monde ! J'ai tout donné pour toi, tu m'entends ? Tout ! Alors n'essaie même pas de me dire que tu envisages d'abandonner ! N'essaie même pas !

Mallory est trop hébétée pour répondre. Elle regarde sa sœur, debout au milieu de la pièce avec les poings serrés si fort que ses jointures ont blanchi ses joues rougies par la colère et brillantes de larmes.

Sa propre gorge se serre, et elle garde le silence, ne sachant même pas ce qu'elle est supposée faire. Elle sait que ce n'est pas de sa faute si elle est malade, et elle sait que Sand ferait tout pour elle. Mais la voir comme ça...

Elle ne savait pas que la situation la faisait souffrir comme ça. Les yeux bleus rougis de Sand perdent un peu de la fureur aveugle dans laquelle ils étaient engloutis, Mallory l'observe reprendre légèrement ses esprits.

-Sand... murmure-t-elle en tendant une main tremblante en direction de sa sœur.

Et puis juste comme ça, la colère disparaît totalement des iris qui la regardent, mais ils deviennent durs. Froids.

Non, ils deviennent glacials.

-Envoie moi un message quand tu pourras rentrer à la maison, déclare sa grande sœur d'une voix vide d'émotions.

Et juste comme ça, elle tourne les talons, attrape son sac à main posé au pied du meuble, et se dirige vers la porte. Sa main se pose sur la poignée, et le sang de Mallory se fige.

-Sand, réessaye-t-elle avec urgence.

La poignée se baisse, la porte s'ouvre dans un grincement léger, et sa sœur a disparu dans le couloir.

Mallory reste assise dans son lit a fixer le cadre en bois clair derrière lequel Sand a pris la fuite. Elle sent les larmes monter dans ses yeux mais essaye de les repousser tant bien que mal.

Qu'est-ce qu'il s'est passé ? se demande la petite voix dans sa tête alors qu'elle se laisse tomber dans les oreillers inconfortables, à court de mots. Elle n'a même pas eu le temps de réagir que Sand était déjà hors de la pièce, et se demande un instant si tout est de sa faute.

A son tour, les larmes lui viennent sans qu'elle ne puisse rien faire, et elle baisse la tête, cachant son visage avec ses longs cheveux.

Le cachant de qui ? D'elle-même, peut-être.

-Sand, murmure-t-elle. J'ai encore besoin de toi...

Et si c'était elle ?  -    [Romance Lesbienne]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant