Chapitre 24

721 41 5
                                    

Anne Sila – je reviens te chercher

Gaëlle ne s'est jamais sentie aussi perdue de sa vie. Assise sur le pont de son voilier, amarré à sa place habituelle au port, elle fixe le soleil qui se couche.

Depuis le message de Sand, elle n'a eu aucunes nouvelles concernant l'opération de Mallory. Peut-être que c'est parce qu'elle n'a pas eu la force de répondre à sa collègue qu'elle ne viendrait pas.

Sand doit être en colère contre elle.

Pour l'instant, l'information ne semble pas avoir une grande importance aux yeux de la capitaine. Elle a trop de choses à penser.

Pour commencer, le fait qu'elle n'a pas réussi à retourner traîner dans un bar depuis sa dernière rencontre masculine. Elle qui aime la compagnie et qui a besoin de voir du monde assez souvent ne comprends pas cet évitement qu'elle a mis en place depuis son dernier coup d'un soir.

Gaëlle se lève pour aller s'asseoir au bout du bateau, laissant ses pieds nus effleurer la surface froide de l'eau. Des gouttes salées se prennent entre ses orteils et coulent à nouveau dans les vagues avec un faible « plic-ploc ».

C'est comme si rien ne l'intéressait plus. Faire la fête ? Non merci. Sortir au bar ? Sans elle. Trouver quelqu'un pour la nuit ? Eh bien, pas vraiment.

La commandante lui dirait sans doute qu'elle est malade si elle l'apprenait, mais tant qu'elle ne cherche pas à creuser dans sa vie, ce n'est pas Gaëlle qui compte lui dire quoi que ce soit à ce propos. De toute façon, depuis l'arrivée de Sand, elles ne se sont pas vues beaucoup malheureusement.

Plus le temps passe, plus Gaëlle se rend compte qu'en fait, depuis l'arrivée de Sand, elle n'a pas vu réellement ses amis depuis une éternité. Elle s'est retrouvé coupée du monde, isolée dans sa petite bulle d'agacement avec la capitaine, et incapable de penser à autre chose.

Même de simplement penser à s'amuser.

Et maintenant, elle se retrouve avec le numéro de téléphone de sa petite-sœur, alors qu'elle n'a jamais pris ceux des enfants de Sainte-Rose. Mais qu'est-ce qu'elle fiche ?

Gaëlle sait qu'elle est passée reine dans la création de conneries, mais elle se demande à partir de quel moment les conneries sont devenues aussi futiles que des règlements de compte inutiles entre deux collègues dont le passe-temps favori est d'ennuyer l'autre au maximum. Si elle doit être honnête avec elle-même, elle ne sait pas vraiment.

Le voilier tangue, un sac de bouteilles vides tinte dans la calle du bateau alors qu'elle se laisse glisser sur le dos sur le pont avec les genoux pliés au bord, les pieds toujours à la surface de l'eau.

Un autre jour, elle serait occupée à rire très fort dans les bras d'un inconnu, assise sous les enceintes d'un bar de plage trop bruyant. Un autre jour, elle aurait l'alcool dans le sang pour oublier de réfléchir encore à sa vie.

Mais un autre jour, il n'y aurait pas l'idée de Sand imprimée derrière chacun de ses gestes. Elle ne comprend pas encore pourquoi c'est lié, mais elle sait que ça l'est. Elle sent qu'il y a un rapport, tout près, sans pouvoir mettre la main dessus.

Parce que d'une certaine manière, tout a changé depuis, et pourtant, tout est resté parfaitement similaire.

Les étoiles sont allumées dans le ciel obscure, comme des milliers de petits interrupteurs que quelqu'un aurait heurté en même temps. Un instant, l'illustration étrange utilisée dans les bandes dessinées vient en tête de la capitaine, une ampoule qui s'allume quand une idée brillante traverse quelqu'un.

Gaëlle a toujours trop d'idées, et le ciel représente bien l'intérieur de sa tête. Certaines étoiles sont plus brillantes que d'autres, quelques-unes à peine visibles, tremblantes à côté de leur congénères. Avec la distance qui les sépare de la terre, une majorité d'entre-elles sont sûrement déjà mortes avant d'arriver à ses yeux.

Et puis, il y a la lune, pleine et ronde comme un renouveau, qui se reflète dans les remous sombres de l'océan. Il est assez calme ce soir, mais les vagues se contentent de plisser sa surface plate, y créant des rides invisibles.

Peut-être que la lune est comme Sand dans la tête de Gaëlle. Trop brillante, agaçante de sa forme trop parfaite et faisant de l'ombre au reste du ciel. Changeante, comme sa perception l'est à chaque phase de son cycle, gibbeuse, décroissante ou noire. Totalement effacée.

Plongeant ses pieds dans l'eau froide, Gaëlle les remue lentement, les yeux fixés sur le ciel tacheté d'éclats de lumière.

Si Sand est comme la lune, alors Mallory...

Mallory et Thaïs peuvent partager la même étoile, vrai ? Enfin, une étoile ; c'est plutôt une planète. Si Sand est comme la lune, alors Mallory est comme Vénus.

Une étoile qui brille un peu plus fort, un peu plus tôt que les autres. Qui se démarque du bouquet de boules de gaz formé par tous ces petits soleils, à des années-lumière d'ici.

Retirant ses pieds de l'eau et hissant ses jambes mouillées sur le pont, Gaëlle joue un instant avec le cordage du bastingage, perdue dans ses pensées.

Il faudra qu'elle essaie de parler avec sa collègue une bonne fois pour toutes demain. Essayer de mettre les choses au clair, de comprendre si la rivalité entre elles est en réalité un jeu ou un défi cruel et blessant.

Mais avant ça, c'est peut-être mieux si Gaëlle arrive à le comprendre de son côté. Parce qu'elle-même ne sait pas vraiment ce qu'elle préférerait. Parfois, c'est comme si le sourire de la blonde lui faisait oublier le contexte de leur relation étrange, et d'autres, Gaëlle souhaiterait lui arracher les yeux et l'étrangler à deux mains.

Mais pourquoi ? C'est la question qui lui trotte dans la tête depuis quelques jours. Pourquoi est-elle aussi agacée par des choses que fait la commandante, et qui ne sont pas aussi dérangeantes sur sa supérieure ?

Entre son envie de rester chez elle à bouder, Sand, et l'histoire de Mac Jharen, la brune souhaiterait presque s'enterrer dans son lit et attendre que les choses s'éclaircissent d'elles-mêmes. Mais Gaëlle est une femme d'action avant tout, pas de réflexion. Et elle est consciente d'être incapable de laisser les choses se faire sans y ajouter son petit grain de sel.

Sinon, ce ne serait pas drôle, pas vrai ?

Avec un soupir, elle se relève et se dirige vers l'avant du bateau pour décrocher ses linges, qui sèchent là depuis quelques joues déjà. Jetés négligemment sur la barrière elle se doute qu'ils seront plus que froissés.

Après avoir débarrassé ses affaires, il ne lui reste plus qu'à descendre et s'installer dans son lit. Mais c'est trop tôt pour elle, bien qu'elle soit fatiguée. Après ce genre de réflexions, Gaëlle est assez certaine qu'elle ne pourra pas s'endormir comme ça.

D'un geste, elle éteint l'enceinte qui était restée allumée depuis le matin et pose les vêtements en tas sur le meuble le moins encombré. Assise sur son matelas, elle rallume son portable sans rien espérer, étonnée de trouver un message de Mallory malgré l'heure.

Un message assez conséquent, pour couronner le tout.

Quand elle a terminé de le lire, Gaëlle est désormais sûre qu'elle ne dormira pas de la nuit. Elle a besoin de voir Sand de toute urgence demain, et son cerveau ne s'arrêtera pas suffisamment tant qu'une partie de ses problèmes n'aura pas été traitée.

Encore une fois, sa tête est comme le ciel. Impossible d'exister si il y a trop d'étoiles en même temps qui veulent y briller. La capitaine a besoin de faire du ménage dans ses pensées, les unes après les autres.

Et pour commencer, elle doit trouver une solution pour Mallory, et s'occuper du cas de Sand. Jamais elle n'aurait cru devoir jouer la médiatrice, et elle n'est pas très sûre que ce soit un rôle qui lui soit adapté. Mais Aurélien l'a fait tellement de fois pour elle et elle lui en est reconnaissante, à son tour donc d'essayer.

Elle fixe l'écran de télévision éteint un moment. Il lui faut quelque chose a regarder pour s'occuper l'esprit, sinon elle va retourner ses pensées toute la nuit et finir par faire quelque chose qu'elle regrettera plus tard. Comme appeler la commandante. Ou Sand.

L'un est pire que l'autre.

Finalement, elle trouve un DVD posé en vrac sur sa table basse, et le lance avec résignation. Espérons que Phil ait bons goûts en matière de documentaires animalier.

Et si c'était elle ?  -    [Romance Lesbienne]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant