Chapitre 10

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Drunk in Love - Beyoncé

Elle est prise d'une envie soudaine de faire demi-tour.

Parce qu'elle ne devrait même pas être là, qu'il est déjà tard et que quelque part, Mallory est sûrement occupée à l'attendre. Parce qu'à chaque mètre parcouru dans la pénombre du coucher de soleil, son appréhension grimpe d'un cran. Parce que d'une manière ou d'une autre, elle ne sait même pas précisément où elle roule.

Aurélien lui a donné le minimum d'informations, mais elle ne voulait pas qu'il comprenne le but recherché par ses questions intrusives. Petit à petit, la lumière décline alors que le son des vagues contre le récif se fait plus fort. Si elle se fie à ses indications, elle ne devrait plus être très loin maintenant.

Pour la première fois depuis son entrée en poste, Sand ne rentre pas directement chez elle après le travail. Elle est passée devant l'immeuble terne dans lequel sa petite sœur devait sans doute être occupée à terminer ses devoirs, et ne s'est pas arrêtée. Ce n'était même pas prévu. Instinctivement, elle sait que c'est comme ça que doivent se passer les choses.

Un cri de mouette la tire de ses pensées alors qu'elle continue à pédaler le long de l'océan, les lampadaires s'allument le long de la route et la lumière des bars et restaurants de plage se fait plus vive. Sand pédale encore, le vent chaud fouettant ses cheveux sous son casque tandis qu'elle cherche le moindre indice de sa destination.

Il prend la forme d'une jeep 4x4 garée négligemment juste avant le port, comme si son propriétaire n'avait même pas cherché à manœuvrer pour se remettre droit dans les lignes blanches. Comme les autres places sont vides, cette hypothèse est assez proche de la vérité.

Sand longe la voiture en ralentissant, parcourant encore quelques mètres avant d'apercevoir le ponton en bois, s'élevant au-dessus des vagues.

Elle descend de son vélo, le poussant entre les deux poteaux sur lesquels des mouettes ont élu domicile, s'engageant sur la passerelle instable en direction des bateaux qui y sont amarrés.

Le stress augmente encore d'un niveau alors qu'elle examine en silence les embarcations une par une, les planches en bois sous ses pieds vibrant au rythme des vagues.

Les plus petits semblent être des bateaux de plaisance, vides et sans toits, alors elle continue sa progression. Un peu plus loin se trouve des voiliers, dont les deux premiers ont le pont éclairé par des lanternes, et les occupants plongés en pleines discussions.

Proche de la fin du ponton, alors qu'elle est prête à rebrousser chemin, Sand remarque un sixième voilier, plongé dans le noir. Pourtant, impossible de le déclarer inoccupé : une forte musique en émane, très probablement du zouk.

Et quand elle s'approche, le doute n'est plus permis. Mis à sécher contre le bastingage, un tee-shirt jaune porte l'inscription « celebration » est attaché à côté d'une paire de sous-vêtements féminins.

Sand porte son vélo sur le pont du voilier, l'appuyant par terre avant d'ôter son casque et de le glisser sous son bras. La seule lumière est celle venant de la calle, alors elle s'y dirige lentement, descendant les escaliers.

En bas, Gaëlle est assise sur un lit défait, fredonnant avec la musique alors qu'elle pose une bouteille vide contre un meuble. Quand Sand se racle la gorge, elle ne l'entend même pas.

La blonde se rend dans ce qui ressemble à une chambre en levant les yeux au ciel, se demandant même pourquoi elle a tout d'abord pensé que ce serait une bonne idée de venir ici.

La bouteille posé à côté d'elle est une bouteille d'alcool, et cela ne l'étonne même pas. Qui d'autre que Gaëlle peut être occupée à faire une soirée toute seule ?

Quand Sand baisse machinalement le son des enceintes, la capitaine la remarque enfin. Au lieu de s'énerver comme elle le redoutait, Crivelli se contente de pouffer de rire.

-Ah ben t'es là, toi ? demande-t-elle en se laissant tomber sur le matelas.

Sand ferme les yeux un instant pour essayer de ne pas s'énerver, et trouve une occupation dans ce but en déposant son casque de vélo par terre. Visiblement, regretter sa décision n'aura pas mis longtemps à venir.

-On peut parler ? demande-t-elle en reportant son attention sur la brune affalée sur le lit.

Gaëlle rit à nouveau comme si c'était la blague la plus drôle qu'elle n'ait jamais entendu, et les lèvres de Sand se pincent. Elle ne sait absolument pas ce qu'elle est sensée répondre.

-Alors autant cette emmerdeuse de Sainte-Rose est la plus susceptible de débarquer ici, autant toi, j'aurais jamais pu deviner, ricane Gaëlle.

-Eh bien, pour être honnête, moi non plus, soupire simplement Sand.

Elle s'assied à côté de sa collègue avec défaite, posant sa tête dans le creux de ses paumes. L'idée de rentrer tout de suite lui effleure l'esprit.

Un index froid s'enfonce dans sa joue, et elle se tourne pour voir que Gaëlle est de nouveau assise, les yeux légèrement flous.

-T'es mignonne quand tu t'énerve, glousse-t-elle en appuyant plus fort.

Sand emprisonne son poignet dans sa main et l'éloigne de son visage, ignorant la chaleur qui monte au creux de son estomac. Le visage de son interlocutrice est légèrement rougi, et la conclusion n'est pas très difficile à faire.

-Et toi, tu es ivre, rétorque Sand. Qu'est ce que tu as bu au juste ?

Occupée a tirer sur son bras pour essayer de se libérer, Gaëlle ne répond pas tout de suite. Quand elle relève la tête pour regarder Sand à nouveau, un sourire malicieux s'étend sur ses lèvres.

-Trois fois rien, souffle-t-elle. On peut remettre la musique maintenant ?

Sand soupire. Au lieu de remonter le son, elle se lève et éteint les enceintes complètement. Le silence est ponctué par le reniflement déçu de la femme derrière elle.

-Je suis venue pour parler, expira la blonde.

Le matelas s'incline sur sa droite alors que Gaëlle se déplace vers la tête de lit dans une tentative maladroite de s'asseoir. Une fois installée contre le mur, son visage rougi se tourne vers Sand avec un sourire narquois. Cette dernière essaie tant bien que mal de se retenir, mais le coin de ses lèvres se relève malgré elle. Vaincue, elle se tire vers la capitaine et s'assied non loin d'elle.

-Eh bah alors, parle ! intervient Gaëlle avec un sérieux peu convaincant.

Et si c'était elle ?  -    [Romance Lesbienne]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant