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Love Letter - Malinda
Assises sur les marches menant à la plage, elles ont finalement décidé de se poser un petit instant avant de clôturer la soirée. Mallory est occupée avec sa barbe à papa géante, mais le cornet de popcorn posé sur les genoux de Gaëlle refroidi.
Le ciel est noir cette fois, les étoiles se reflètent sur les vagues mais la musique forte de la fête foraine résonne toujours dans leur corps, même si elles se sont un peu éloignées. Sand aurait voulu essayer l'attraction sur rail mais avec Mallory, elle sait que ce n'est pas une bonne idée. Alors elles sont juste assises là à discuter tranquillement.
Sa petite sœur est fatiguée même si elle ne lui avouera jamais, et Sand peut lire son visage assez facilement pour savoir que malgré son envie d'être comme toutes les autres pré-adolescentes et de faire la fête, son corps le lui empêche. Les cernes habilement camouflées par le maquillage de la capitaine ne sont pas invisibles, et son silence est assez démonstratif.
Comme si elle lit dans ses pensées, Gaëlle l'interroge du regard, mais Sand se contente d'acquiescer. Il ne faut pas s'inquiéter.
-Alors c'est décidé, reprend-t-elle pour dissiper l'inquiétude de sa collègue, l'histoire Mac Jharen est close ?
Le regard de Gaëlle se perd un peu trop longtemps devant elle mais elle finit par marmonner.
-Ouais, c'est bon.
Puis, plus convaincante, ajoute.
-C'est un enfoiré, mais je vais attendre de voir jusqu'où il compte aller pour que les autorités plus compétentes que nous se saisissent de toute l'ampleur de sa connerie. Ce jour-là, ce sera comme au cinéma ; plus qu'à sortir la bouffe et regarder le spectacle.
Sand pouffe, les épaules de la brune finissent par se détendre à ce son.
-Peut-être que le commissaire pourrait faire quelque chose, propose-t-elle. Contacter le procureur ?
-Honnêtement ? rétorque Gaëlle. Il n'en a rien à cirer le proc. Le commerce de l'île fonctionne un peu mieux grâce à Mac Jharen, il s'en met un peu dans les poches depuis le gouvernement pour laisser faire, et ça s'arrête là. Tu dois arrêter de croire que tout le monde est aussi gentil et conciliant que toi, Sand.
C'est une remarque à peine dissimulée, et pourtant Sand ne peut s'empêcher d'y trouver le compliment passif. Alors sa collègue la trouve conciliante... Malgré l'amélioration de leur entente, ce n'est pas quelque chose que Gaëlle lui aurait dit auparavant, et la blonde se sent tout de même touchée.
Peut-être que Gaëlle ne la déteste pas autant qu'elle essaye de lui faire croire depuis leur première rencontre chaotique ?
Et si elle parvenait à l'apprivoiser lentement comme a pu le faire la commandante Sainte-Rose ? Alors leur équipe fonctionnerait mieux, et la bonne entente durerait peut-être un peu plus longtemps.
Elle essaye de se convaincre un instant que ce n'est qu'une histoire de travail.
Ayant écouté la conversation, Mallory en profite pour intervenir.
-C'est ce qu'elle me dit tout le temps, remarque-t-elle la bouche pleine. Et pourtant, elle est pareil.
Gaëlle sourit dans la pénombre, passant une main dans ses cheveux mal coiffés et se tournant dans la direction de la plus jeune. Les spots roses et bleus jouent un instant dans le reflet de son regard, avant de s'éloigner en direction de la grande roue. Ils font briller ses iris chocolat, et éclairent ses joues rosies durant une poignée de secondes.
Mallory ne le remarque même pas, visiblement trop occupée à fourrer une poignée de vapeur rose bonbon dans sa bouche, faisant tournoyer son bâton en bois entre ses doigts. Estomaquée, Sand ne dit rien, tordant ses mains contre son gré ; sa gorge est soudainement sèche.
-Je pense qu'elle a encore du chemin a parcourir avant de l'être autant que toi, plaisante la brune. Son métier fait en sorte qu'elle soit plus méfiante que la moyenne des autres personnes que je côtoie en dehors de ce milieu.
Mallory hausse les épaules, se servant un autre filet de sucre collant.
-J'ai rien compris mais okay, avoue-t-elle avec naturel.
La moitié inférieure de son visage masqué dans sa paume, Gaëlle retient un rire grinçant. Pourtant, ses yeux sourient contre sa volonté.
C'est toujours ses yeux, songe Sand en l'observant. Ils parlent à la place de son cœur. Elle ne dit jamais rien de ce qu'elle ressent avec des mots, mais pourtant... Il y a ses yeux. S'il suffit d'apprendre à les lire pour la comprendre, alors peut-être...
Peut être que je le fais déjà.
Pour la première fois, elle se rend compte que sans le masque d'impulsivité qu'elle pose sur ses émotions, Gaëlle est belle.
Au naturel, son âme un peu plus mise à nu que d'habitude. Pourtant, ce sarcasme fait partie d'elle, et Sand n'imagine pas sa collègue sans sa moquerie franche.
Mais elle la trouve attirante quand elle n'en a pas besoin pour dire ce qu'elle pense sincèrement.
Frappée par son silence, ou par le fait qu'elle a continué à se tordre anxieusement les mains, Gaëlle se tourne vers Sand. Et quand la blonde croise à nouveau le regard de sa collègue, elle sait qu'elle s'est trompée depuis un moment.
Ce n'est définitivement pas qu'une histoire de travail.
Parce qu'il y a ses tâches de rousseurs sur le haut de ses joues, le petit pli en arc de cercle créé par son éternel rictus, et le creux formé par son arc de cupidon dans lequel les ombres se reposent.
Mais surtout parce qu'il y a le cœur de Sand qui, contre sa volonté, s'emballe pour la première fois. Et alors que le sourire de Gaëlle disparaît, il continue son marathon, forçant Sand a détourner les yeux vers la mer.
-Tout va bien ? demande Gaëlle avec un froncement dans la voix.
Et son cœur bat, bat, bat.
Comme s'il la voyait pour la première fois.
Parce que, peut-être qu'au fond, c'est comme si c'était le cas.
Elle a envie de lui répondre que non, de fuir loin pour chercher à comprendre. Comprendre quoi, elle ne sait pas elle-même.
Alors à la place, elle laisse échapper un soupir étranglé. Et Mallory croit comprendre, mais elle a tout faux. Tout faux à tout sur ce qu'elle ressent, et ça encore, c'est une autre première fois.
-Je me fais opérer dans deux jours, explique la plus jeune. C'est toujours Sand qui a peur, alors que moi je m'en fiche. C'est vrai quoi, au mieux ça pourra me permettre de vivre enfin normalement. Au pire, il n'y a rien de catastrophique.
Le regard de Gaëlle lui brûle la nuque, se posant en silence sur la seule partie de son corps que Sand lui laisse visible, silencieux comme une ombre.
Puis, se voulant rassurante, sa main se pose sur son épaule.
Et la chaleur qu'elle dégage transperce son tee-shirt, sa gorge se serre et le cœur de Sand explose littéralement à ses pieds.
Peut-être que Phil n'avait pas tort sur toute la ligne, songe-t-elle.
Sauf qu'en fait, ce n'est pas Gaëlle le mouflon.
Quelle imbécile, celle qui se bat le plus, de nous deux...
C'est moi.
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Et si c'était elle ? - [Romance Lesbienne]
RomanceMutée loin de chez elle sur un nouveau lieu de travail, la capitaine de police Sand Montgomery s'attend désormais à tout : des enquêtes, de nouveaux criminels, la possibilité d'un patron cruel... Elle sait très bien qu'elle aura de nouveaux collègue...