Chapitre 18

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Alors que ses yeux noisette fixent mes lèvres je me sens faiblir. Reste concentré bordel. Mes doigts sous son menton, ses yeux qui fixent les miens. Je lui dit ces quelques mots en me sentant plus sincère que jamais. Je veux qu'elle sache pour cesser de se sentir seule dans cette drôle d'affaire qui est la vie. Je ne veux pas laisser cet ange partir sans le laisser utiliser ses ailes, sa douleur l'empêche de regarder la vie avec hauteur et de découvrir la richesse que le bonheur peut offrir. Je souhaite lui montrer la vraie vie.

Alors que ses yeux s'accroche à moi comme je ne l'ai jamais vu faire elle souffle du bout de ses lèvres :

- Raconte-moi alors et peut-être que j'y arriverai.

Je me détache d'elle, je suis prêt mais est ce que je suis prêt à le dire à voix haute ? Je vois dans son regard qu'elle sait à quel point cela va être difficile. Je n'arrête pas de me perdre dans ses yeux couleur bois, mais quand je sens ses doigts délicat se glisser sur le dos de ma main, sa voix me souffle pour m'aider à me lancer :

- Qui est ton père Elio ?

Je me dégage de son étreint autant physique que visuel et me dirige vers la mer pour mieux m'exprimer. Je suis prêt.

- Mon père est devenu violent quand j'avais sept ans. Il était souvent absent, ma mère avait une relation avec quelqu'un. J'ai toujours cru qu'il le savait puisque lui aussi avait une maîtresse.

Je sens le regard d'Héna posé sur mon profil alors que je fais une pause pour retrouver mes mots.

- Pourtant... Poursuive-je. Il y a un soir où il est rentré, ses affaires ne s'étaient pas passées comme prévu.

Je serre les dents et m'apprête à dévoiler ce que j'ai de plus lourd dans mon esprit :

- Il s'est mit à boire.

Je ferme les yeux, ces affreux souvenirs sont malheureusement intactes dans ma mémoire.

- D'abord il hurlait puis ma mère s'est retrouvée coincée contre l'îlot de la cuisine, elle ne pouvait rien faire. Il l'a giflé d'une force inhumaine, puis elle s'est laissé tomber contre le meuble. Elle pleurait si fort, qu'il tapait sa tête contre les portes de placards pour la faire taire. Il s'est arrêté là, car il savait qu'il allait la tuer. Mais le lendemain, elle était couverte de bleu.

Je prends une pause pour me souvenir de l'incohérence absurde de ce qui s'est suivi le lendemain :

- Son comportement à elle avait complètement changé. C'était si étrange ce matin là. Elle lui avait fait son café comme si elle n'avait jamais remarqué toutes ses marques de la couleur du ciel sur son corps. Ma mère ne s'était même pas inquiétée de savoir ce que j'avais vu...

Ce nœud dans ma gorge et ce creux dans mon ventre sont toujours là même quand j'essaye de les faire taire par tous les moyens. Héna se rend compte de la difficulté pour la suite. Sa main se pose sur mon genoux plier en tailleur. Je regarde sa petite main toute fine. Et je continue malgré tout le visage toujours aussi neutre, à part peut-être mes sourcils qui me trahissent, en se fronçant parfois.

- Puis ça a continué, pendant des années, c'était quelques jours par ci et par là. Puis un jour, elle est partie. Elle s'était barré avec son autre mec, me laissant seul avec mon père.

Je me tourne vers elle. Je veux qu'elle dise quelque chose. Mais il n'y a que cette petite ride entre ses sourcils, et ses lèvres pincées qui parlent pour elle

- Je ne sais pas quoi dire... J'imagine que sans ta mère, ton père était encore pire avec toi...

Je ferme les yeux. Me rappelant à quel point il avait retourné toutes les pièces de la maison le jour où il s'est rendu compte qu'elle était partie. Il m'avait hurlé au visage en pleine fureur" pourquoi elle ne t'a pas pris avec toi ?"

Il se passe un moment dans le silence, aucuns ne mots pour déranger l'écho du bruit des vagues. Je garde sa main sous la mienne, puis elle se lance et finit par me demander :

- Et comment... Elle ne termine pas sa phrase, elle semble hésiter. Mais ses yeux trouvent les miens, et je ne la lâche plus du regard. Elle hésite :

- Et ta petite sœur dans tout ça ?

- Neuf mois après elle appelait mon père du canada, elle avait accouché d'une petite fille venant de lui. Elle en était sûre. Juliette a débarqué 1 an après dans ma vie. Mon père a signé les papiers d'émancipation avec plaisir et je suis partie avec elle. Dis-je d'un seul trait.

- Quand j'ai croisé ce regard bleu pour la première fois, j'ai su que je devais me battre pour elle. Elle devait grandir autrement que moi.

- Et ta mère ? Elle est devenue quoi ?

Je souris bêtement, ma mère n'est pas si différente de mon père au final.

- Au dernière nouvelle elle est hospitalisée, elle est tombée dans l'alcool.

Elle lève le regard vers moi, mais je n'ose plus la regarder. J'ignore où j'ai trouvé la force de lui parler de cet homme, mais mon cœur n'en reste pas plus léger. Voyant que j'évitais son regard, elle caresse de son pouce les quelques veines saillantes de ma mains. Ce geste aussi furtif soit-il, me surprend venant d'elle. C'est seulement à cet instant que je plonge mon regard dans le sien.

- Merci Elio. Souffle-t-elle alors que je me laisse tomber dans son regard couleur bois. Est ce la seule chose qu'elle trouve à me dire alors que je viens de lui confier, un gros morceau de mon passé ? Sérieusement ? Elle lâche ma main, et elle se relève.

En même temps, à quoi je m'attendais ? Héna, reste Héna. Un mur de glace, alors que moi je ne fais que tomber dans le panneau depuis le début.

Héna

J'ignore pourquoi je lui ai balancé ces mots. A sa place j'aurais bien voulu tout entendre, tout sauf ça. Mais j'ai eu besoin de recul. Je ne m'étais pas rendu compte que j'avais pris sa main dans la mienne. Je pense avoir fais ça parce que j'ai ressentis sa douleur, une chose nous reliait. C'était la douleur de regarder dans le passé. Mais à la différence de moi, c'est qu'il a trouvé la force d'avancer et de se confier. Voilà peut-être ce qui m'a fait peur. A cet instant précis, debout et les pieds enfouis dans le sable je me rendais compte que ce qui me fouettais l'estomac c'est mon incapacité à me confier. Voilà sa force et voici ma faiblesse.

- Tu ne veux pas aller marcher dans l'eau avec moi ? L'eau froide va nous remettre les idées en place. Propose-je brusquement pour changer d'air.

Il me sourit timidement puis se lève pour me rejoindre

La maré a déjà bien monté, alors nous sommes pas très loin. Voyant que Elio ne dit pas un mot, je décide de me rattraper des mots lâches que je lui ai balancé.

- Je...

Mes mots s'emmêlent dans mon esprit. Je ne sais pas par où commencer. Il ne me porte même pas un regard. Il faut que je me lance sans réfléchir cette fois.

- Je tenais à m'excuser pour les piètres mots que je t'ai sorti tout à l'heure.

Son regard se pose enfin sur moi alors que nous continuons de marcher. Il s'apprête à parler mais je l'en n'empêche de peur dès perdre à nouveau ce que je souhaite lui dire.

- J'ai trouvé ça très courageux. Même admirable la façon dont tu as réussi à me parler de tout ça...

Je cherche de nouveau mes mots un petit peu dans la panique de je ne sais quel émotion. Je sens son regard me scruter attentivement et ça ne m'aide pas. Je ne veux pas le laisser avec un simple "merci"

- Moi je suis incapable de me confier comme ça, ni d'avoir cette force. Et...Et je m'en rend compte seulement maintenant...

Il me coupe dans mon élan :

- Ce n'est pas grave Héna.

A-t-il compris que ce n'est pas seulement par orgueil que je n'avais pas pu lui en dire plus ?

- J'attendrais que tu sois prête. Ajoute-t-il.

Je suis donc pardonné, même si je ne fais que repousser l'inévitable.

Malgré cette petite discussion il semble de nouveau être dans ses pensées, et moi de mon côté je rumine intérieurement ce que m'avait confié Elio. Je suis étonné de moi même, mais cette ambiance morose m'étouffe. 

Nous deux à travers la véritéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant