Chapitre 33 Héna

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J

Mon père fut plus que surpris quand je lui ai annoncé que je partais deux jours avec Elio, au centre de la France, c'est-à-dire à cinq heures de route de chez nous. Je ne suis pas une charge, mais m'emmener lui même au dépotoir semble en revanche en être une. Et magré moi je comprend son refus de m'y accompagner, elle était son ex-femme et une de ses amies après. Et vis-à-vis de Jane ça ne se fait pas trop...

Alors me voilà dans cette voiture, avec Elio à mes côtés dans le silence le plus complet. Je ne sais pas à quoi je dois m'attendre là bas, j'ai juste besoin d'indice pour avancer. Je pourrais tomber sur des traces de passages de mon beau-père et Nylon, après tout ces meubles étaient les siens, il a pu revenir. J'ai mal dormi cette nuit, je pensais à ce que serait ma vie avec eux auprès de moi. Je sais que c'est tout sauf bénéfique de faire ça parce qu'avec des "si" on pourrait refaire le monde. Mais c'est plus que douloureux d'imaginer un futur sans eux, ni mon frère, ni ma mère, même encore aujourd'hui.

Cela fait maintenant trois bonnes heures que nous roulons. Elio semble plus silencieux que d'habitude, pas de taquinerie ni quoique ce soit d'autre. Et avec son air sérieux il paraît préoccupé. Sa barbe n'a pas été rasée depuis plusieurs jours, non pas que ça ne lui va pas, c'est juste pas dans ses habitudes. En plus de tout ça, de légères traces se sont ancrées sous ses yeux, il à vraiment l'air ailleurs alors qu'il est au volant. Peut-être est-ce son père qui fait pression sur lui ? J'en ai aucune idée et j'avoue que cela m'inquiète un peu.

- Ton père est revenu vers toi ? Demande-je avec une voix la plus douce possible, pour ne pas l'offenser.

Il resserre les mains autour du volant en contractant les machoirs avant de me repondre :

- Rien d'inhabituel pour un père toxique.

Je fronce les sourcils ne comprenant pas le sens de sa réponse, je m'apprête à le questionner d'avantage pour creuser le sens de sa phrase rocambolesque mais il se lance avant moi :

- Pour être honnête, j'ai eu une discussion avec Jane avant de partir qui me trotte dans la tête depuis toute à l'heure.

- Et alors ? Demande-je en l'observant les sourcils froncés.

- Elle aimerait que je rende visite à ma mère. Pour, je cite, discuter avec elle et régler quelques affaires du passé.

Je comprend alors très bien où il veut en venir : il n'en a aucune envie, même si cela pourrait faire du bien. Jane étant la sœur d'Elio aimerait peut-être bien voir sa famille se recoller en morceaux. J'essaye de trouver une tournure de phrase assez juste pour ne pas le brusquer, car cela semble tout aussi sensible que lorsque nous discutons de ma propre mère.

- Peut-être que ça n'est pas une si mauvaise idée...Tu sais, ça pourrait faire un peu de bien à Juliette de se rendre compte de qui est sa maman. Non ?

Il me jette un coup d'œil. Je tente tant bien que mal de trouver une solution, de lui ouvrir les yeux sur la situation de sa petite sœur en me souvenant de ce que j'ai entendu pendant ma conversation au téléphone avec Naëlle.

- Elle n'est jamais revenue pour prendre de nos nouvelles. Aussi triste que cela l'est, Juliette n'a plus de mère, déclare-t-il.

Et lui non plus. C'est ce qu'il pense et je trouve cela un peu dur envers sa mère qui n'a pas eu un chemin tout tracé non plus... J'ai du mal à comprendre pourquoi il refuse de la voir. Je n'ai plus de mère et j'ai du mal à saisir comment on peut en venir à ne plus aimer cette femme qui nous a mit au monde.

- Pourquoi es-tu si dure, qu'a t'elle fait pour que tu la haïsses autant...?

- Tu veux vraiment savoir Héna ? Me dit-il, les traits du visage tirés par la colère, il fixe droit devant lui sans ciller. J'hésite un moment, mais ma curiosité et l'envie de le connaître mieux que personne me submerge :

- Oui, s'il te plait.

Il me jette un coup d'œil et se lance après avoir doublé une voiture à plus de cent trente kilomètres heure.

- A cause d'elle, j'ai plusieurs cicatrices dans le dos. Et une particulièrement plus grande que je ne peux percevoir qu'au travers d'un miroir.

Je ne cesse de le regarder alors qu'il se confie à moi sur cette cicatrice que j'ai déjà aperçue et je me doute du pire.

- Il y a un soir, alors qu'il frappait ma mère de toute ses forces, j'ai senti que ce serait peut-être la dernière fois pour elle. Elle avait déjà les couleurs du ciel sur son corps, pourtant il continuait. Et ce soir-là, en tant que bon petit innocent que j'étais, je suis intervenu.

Il marque une pause alors que je baisse la tête pour chercher sa main. Je veux qu'il sache que je l'écoute et que je suis là. Alors qu'elle est posée sur sa jambe, je viens y poser la mienne par-dessus. Il regarde un instant nos mains, surpris par ce geste. Puis il reprend ses esprits car ses traits du visage se détendent petit à petit alors que je ne le lâche plus du regard. Mais moi au contraire, je sens une boule se former au creux de mon ventre en imaginant ce Elio plus jeune, dans une tel situation.

- Il m'a poussé violemment en voyant que je voulais m'interposer entre son coup et ma mère. Mais, je suis tombé, sur la table du salon en verre.

Je ferme les yeux, en voulant repousser cette image de son dos se fracassant sur de verre, alors qu'il voulait juste arrêter cette violence. Il poursuit sans laisser une once d'émotion se faufiler sur son visage, mais au fond je suis persuadée que ça lui remue les tripes :

- Elle s'est éclatée en petit morceau sous moi. Mon dos était couvert de morceaux tranchants. Je suis resté trois heures le dos mutilé. Ma mère a préféré attendre que mon père s'endorme pour m'emmener à l'hôpital.

Je crois que je commence à voir le problème... Elle était terrifiée par son mari, à tel point qu'elle négligeait son fils. Je viens ramener sa main prêt de ma jambe pour mieux l'entourer, il se laisse faire tout en racontant la suite :

- Une fois à l'hôpital, quand l'infirmière lui a demandé ce qui c'était passé, l'air soupçonneux en voyant toutes les marques sur elle. Elle a répondu à ma place, alors que c'était le moment parfait pour dénoncer mon père. Elle à peind un tableau qui n'était pas celui de notre famille. Mais plutôt une version saine et tranquille où je jouais avec mon cousin et où je suis malencontreusement tombé sur la table en verre du salon. J'avais seize ans, et elle avait enfin eu l'occasion de dénoncer mon père, au lieu de ça... Elle a menti. Pour le protéger.

C'est la voix légèrement tremblante qu'il achève le récit de cet affreux souvenir. J'emmène sa main contre mes lèvres et y dépose un baiser d'admiration. Les yeux légèrement vitreux, je le regarde avec tendresse alors qu'il ne réagit en rien.

- Je suis désolée Elio... Je ne sais pas quoi te dire. Personne ne mériterait de vivre ça...

Un ange passe alors que le silence envahit l'habitacle de la voiture.

- Tu n'y est pour rien, c'est du passé maintenant.

Il jette un coup d'œil à son rétro l'air de rien, et je suis presque attristé de voir à quel point lui, est capable de renier son passé.

- Maintenant tu connais mes raisons de la haïr. L'avantage pour Juliette, c'est que sa mère restera une inconnue, elle n'aura pas cette image d'une mère sans amour pour ses enfants. Et c'est mieux comme ça.

Je le regarde exposer sa colère, sans un mot. Il a ses raisons, en revanche je suis persuadé qu'elle l'a aimé. Une mère c'est...Étonnamment, aucun mot ne me vient à l'esprit. Après tout qu'est ce que j'en sais que d'être mère, je n'ai plus la mienne et je suis loin d'en être une. En revanche je sais ce que c'est de s'égarer. Et, sa mère semble avoir perdu son chemin à cause des coups d'Alexander, en laissant derrière elle un garçon qui tient maintenant le coup sans elle.

- Je pense... qu'elle t'a un jour aimée. Une mère ne peut pas faire autrement...

C'est ce que je pense au plus profond de mon être, même si la mienne m'a abandonné. Il dégage sa main de dessous la mienne pour venir la poser sur le volant. Je suis surprise de ce petit rejet, mais je crois qu'il a son avis déjà forgé sur la situation.

- On ne le saura jamais Héna. Dit-il d'un ton sec et grave.

Je remarque que la façon de dire mon nom avec cette voix sérieuse me montre que la discussion doit s'arrêter là. Peut-être qu'un jour il lui pardonnera. 

Nous deux à travers la véritéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant