Chapitre 1

39.9K 2.1K 534
                                    

" Monsieur Yousfi votre père tiendra sûrement 5 ou 6 mois mais pas plus. Je suis désolé." M'annonce enfin le docteur.

J'ai attendu durant près de 20 ans que ce jour arrive. Et le voilà enfin qui s'offre à moi tel une brise dans un désert.

Je tente une moue triste mais je n'y arrive pas. La joie envahit chaque parcelle de mon corps et un sourire se scotche sur mes lèvres ! J'suis limite plus farhane que quand je vois mon grec arriver !
J'aimerais demander au docteur de se répéter ou alors de me pincer afin de savoir si ce n'est pas un beau rêve parmi tant d'autre...Mais se serait une question mal vu dans de telles circonstances, non ?
Et puis non ! J'ai un minimum le droit de me réjouir ! Pourquoi ça ?

Pas trop tôt, je devrais dire ! Et puis même depuis le temps qu'on nous dis qu'il va bientôt mourir j'ai l'impression que c'est la première fois que c'est vrai et qu'il va vraiment nous quitter. Le nombre de fois où on nous a dis nous sommes désolés mais il risque de ne pas finir l'année.
Mais nan c'est bon je le sens que c'est la bonne aujourd'hui et que l'argent va tomber tranquillement dans mes poches !
Je m'imagine déjà avec Magalie sur une plage à Hawaï. Ou alors à Aspen devant un bon feu de cheminée.... Grâce à tout l'argent que je vais recevoir, on va pouvoir kiffer la life bien comme il faut ! Et ma mère qui s'acharnait à aller prier avec son éternelle copine Zolikha à la mosquée... Comme quoi les dou'as ça marche pas toujours quand on le veut ! Mais ça tombe bien parce que ça m'arrange aussi ! De ce fait, on peut dire que la nature fait bien les choses !

" Vous pouvez aller le voir si vous le désirez, mais s'il vous plaît ne lui donner pas d'émotions trop forte cela risque de le fatiguer"

" Pas de soucis docteur." Ai-je répondu avant de partir tout en sifflant gaiement.

Je me rendis donc d'un pas joyeux jusque la chambre de mon "pauvre papounet"; cancéreux depuis 4 ans maintenant. De mon point de vue on peut traduire ça comme 4 longues années d'attente. Si ma mère me voyait comme ça elle me tuerait et me botterait très certainement les fesses, à moi et à mon petit air joyeux ! Mais pour dire vrai, c'est là un puissant sentiment de plénitude qui m'envahit, jamais je n'ai été aussi heureux ! C'est sûrement la pire chose qui puisse arriver à quelqu'un que de perdre son père, mais pas pour moi. C'est une opportunité, elle est unique et elle ne se présente qu'une seule fois dans une vie (à moins d'avoir 150 pères millionnaires sous la main) et je ne veux pas la rater.

Mon père était un grand entrepreneur qui a fondé sa propre entreprise dans le bâtiment. Il a réussi à se faire une grande fortune. En tout cas assez pour ne plus jamais avoir à travailler.
Je n'ai jamais cru en cette histoire pour ma part. Comment peut-on gagner sa vie comme un P-DG, avoir un accent à coucher dehors dans ce pays et se tourner les pouces en même temps ?!

Mais l'avantage c'est que je vais pouvoir hériter d'une partie de la fortune qu'il a récolté. Une part pour maman, une part pour moi et une part pour Riyad. Enfin, j'imagine que c'est la logique des choses.

« Alors mon fils, ça va ? » Dit-il gaiement en me voyant arrivé.

« Tranquille", lui répondis-je tout en m'asseyant à son chevet.

« Tu as discuté avec le docteur ? »

« Ouep, plus que 3 voir 4 mois à tenir. »Lui ai-je répondu tout en gardant mon sourire provocateur sur le visage.

N'y suis-je pas aller un peu fort, me dîtes vous ? Devrais-je avoir plus de compassion ? Et bien moi je répond : Vous rigolez ? Je ne connais pas ces mots. Et puis franchement l'expression sur son visage vaut tout l'or du monde. Il arrête de me regarder, se remet droit et ferme les yeux. La douleur sur son visage est visible. Il est devenu encore plus pâle qu'il ne l'était ; j'ignorais même que c'était possible. Il est malade depuis si longtemps... Ça fait bien 4 ans qu'il galère entre les séjours à l'hôpital et les t'as de médicament, dont il doit se gaver tous les jours ! Mais à ce que j'ai compris Monsieur veut vraiment tenir le coup car Monsieur ne pense pas que se soit son heure... Crétin !!

« Si tu veux on peut traduire ça en 8 ou 9 mois. J'imagine que tu es encore très résistant. » ai je alors raisonner.

Cette fois-ci il pose un regard fatigué sur moi. Ces petits pics ne lui font plus grands choses au fil du temps. Et je pense qu'il les comprend tous, et puis c'est pas comme si il avait la force pour se lever et m'en coller une au jour d'aujourd'hui. Je trouve ça assez lâche de ma part aussi, mais nul n'est parfait... Je pense que si il avait été en bonne santé je ne me serais peut être pas acharné sur lui à ce point, qui sait ?

« Riyad pourrait venir me voir un de ces jours ? » me Demanda-t-il.

« Ça m'étonnerait. » Faut dire que cette question m'a fait rire !

Riyad est mon petit frère. Il est encore entrain d'étudier l'économie, la politique, ou je ne sais plus quoi à l'étranger. Papa, ne le sait pas. Riyad le déteste peut être plus que moi si c'est possible. Si il a carrément quitter le pays pour ses études c'est pour une bonne raison. Mon père n'était plus sur le territoire français pendant longtemps lui aussi. Mais l'année du bac de Riyad, il est revenu comme par magie. C'est ce qui a entre autre poussé mon frère à s'en aller. Et puis je pense qu'il en avait vraiment besoin, parce que cette année là tout se barrait en cacahuète ! Même moi j'ai arrêté tout ce que je faisais. C'est à dire mon cursus d'architecture. J'ai pas validé mon 2 ème semestre et je me suis pas réinscris pour l'année suivante. Ma mère et mon frère m'avait casser le crâne à cause de ça, et j'avoue que c'était bête, mais j'ai appris à vivre de ce que je vendais. Ça paraissait - et c'était ! - beaucoup plus facile !

Mais j'aimerais voir la réaction du vieux si je lui disais que Riyad se trouve à l'autre bout de l'océan Atlantique. Mais j'avais fait un marché avec lui, je tais son absence et ses ambitions à notre père et lui garde pour lui ma « relation » si je puis dire, avec Magalie. Maman ferait une crise cardiaque si elle savait. Papa, ça ne me gênerait pas, comme vous avez pu le constater mais Maman... Ah, comment dire que elle au moins je l'aime bien. Elle ne va pas tarder à arriver d'ailleurs. Je l'attend au chevet du vieux barbu. Elle l'aime bien lui.Va savoir pourquoi... Peut être est-il drôle ? Sûrement un sens de l'humour extraordinaire ? Je sais qu'il a eu une vie mouvementée, donc des anecdotes c'est pas ça qui doit manquer chez lui. Il aime lire. Surtout son Coran... Quel dommage qu'il ne puisse plus le retrouver. Peut être devrait-on lui en acheter un autre...? Abstenons nous en fait. Il aurait de l'espoir si je faisais un quelconque acte de gentillesse envers lui. Et je pense que l'espoir est trop fort pour moi. Il anéantirait mes plans. Et puis je ne veux pas savoir qui il est qui il a été et qui il sera. Au final chacun sa vie, chacun sa tombe.

Ma mère n'est pas du même avis que moi, elle, elle est plus Empathique, plus sensible. Et à vrai dire je mettrais ma main à couper qu'elle l'aime encore .... Ils ont divorcés il y a bien longtemps mais elle continue de s'occuper de lui comme si ils avaient une chance de revivre un quelconque mariage ensemble... Leur mariage a plus été basé sur la négociation qu'autrefois chose ! Quoi comme négociation ? Ah mais c'est les négociations type du style :

Du poulet ou du mouton ? Négociation.

La Golf ou la Volks Wagen ? Négociation.

Thaïlande ou Inde ? Négociation.

Divorce ou séparation ?
Là encore négociation mais c'était un peu plus compliqué.

Sur cette question là mon père ,voulant suivre les préceptes de Dieu, a préféré divorcer. Sur ce point-ci je ne lui en veux pas.

Et puis il y a aussi eu négociation pour les prénoms de leurs fils

Riyad a été remporté par ma mère, durant ses neuf mois de grossesse ce fût une lutte acharnée.
Et puis il y a eu ma négociation.

Maman voulait m'appeler Muhammad. Mon père hésitait encore et toujours... Au final je m'appelle Ayoub. Tout ça à cause d'un prophète qui en aurait bavé durant une dizaine d'année, mais je me fiche de tout ce que mon sois-disant père souhaitait pour moi et de tout ce qu'il s'imaginait. Je ne veux rien faire qui pourrait le rendre fier. Je ne veux pas faire d'étude à rallonge, ni me marier, ni avoir d'enfants. Je ne veux pas qu'il assiste à une quelconque victoire de ma part. Je veux qu'il paie. Et lorsque je ne pourrai pas me venger avec des petits gestes stupides qui le brisent, je l'ignorerais. Oui je vais simplement l'ignorer. L'ignorer.

Car il est vrai que l'ignorance peut tuer les plus solides humains.

________________________________________________________________________

Homayra et Ayoub: Chaque pêcheur a un avenir et chaque pieux a un passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant