Ayoub

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《Ne rien haïr mon enfant,
Tout aimer ou tout plaindre》

Papa est encore dans son bureau. Ce n'est plus qu'une question de temps. On est comme invisible pour lui.
Maman a prévu mon départ. Mais si tout se passe correctement, je ne devrai pas mettre un pied dans un de ces lieux maudits.

Je cogite dans le couloir, puis passe devant le bureau du padre. J'y jette un regard et nos yeux se rencontrent. Mais rien. Qu'il continue de se perdre, j'en ai plus rien à foutre. Et si il part, il n'y aura que Riyad et ma mère qui en souffriront. Et si il reste, c'est que à travers toutes ces violences et ces regards dures, résident peut être un gramme d'amour.

De l'amour. Ah ah !
Pourquoi pas ? A chaque fois qu'on faisait des blagues sur une fille à l'école nos mamans disaient qu'on en étaient amoureux. On était mauvais et elles disaient qu'on les aimait. Va comprendre quelque chose sérieusement ! Quand on aime quelqu'un on lui fait pas de mal. On l'a brise pas. On la frappe pas. On la séquestre pas...

De toute façon ce type a toujours été bizarre... Quand j'étais petit - plutôt avant mes 7 ans - y avait pas tout ça.
On était la petite famille qui déjeunait dans le jardin en souriant bêtement et en racontant nos journées.
C'était beau à voir. Une belle petite famille, unie.

Et aujourd'hui je dois en ramasser les morceaux...

Je continue mon chemin jusque là cuisine et vois ma mère au fourneau. Ça sentait déjà bon. Riyad regardait la télé - ou faisait plutôt semblant pour pouvoir cogiter sur sa triste vie.

"Tu fais quoi maman ?"

Elle se retourne et me sourit... Dieu que j'aime ce sourire.

Ma mère: "Des maarkouda au kiri weldi. Je croyais que tu étais entrain de dessiner dans ta chambre."

"C'est ce que je faisais, mais j'ai bloquer sur des détails alors j'ai arrêté. "

Ma mère: "Ah lala hada et les détails il va me rendre fou !"

"Mdrrr !  Mais l'architecture aussi c'est une question de détails ! "

Ma mère : "Ewa in sha Allah mon fils tu arriveras là où tu veux aller."

"Merci mama." Puis j'ai entouré ses épaules de mes bras. Elle continuait d'écraser les pommes de terres et moi je ne faisais que regarder.
Et à ce moment là j'ai senti que c'était le bon moment pour lui poser une question:

"Comment t'as rencontré papa ?"

Tout mouvement s'est stoppé. C'est comme si elle avait arrêté de respirer l'espace d'un instant. Elle gardait le regard rivé sur le plan de travail, et d'une voix neutre me demanda: "Pourquoi tu me poses cette question ?"

Je m'éloigne d'elle et me pose sur la table au milieu de la cuisine en prenant une pomme.

Ma mère : "Lève toi de cette table Ya al Hmar ! "

Je descend d'un coup et me rend compte que maintenant elle est face à moi, entrain d'attendre une réponse à sa question. Mais moi même je n'ai pas de réponse. Je veux juste savoir. En fait je pense que c'est ce que chaque enfant aime savoir sur ses parents. On a tous envie de connaître leur passé. De savoir ce qu'ils étaient avant nous. Connaître "leur monde avant nous".

"Juste comme ça..."

Ma mère: " Hum... Vu que t'as rien à faire va voir ce que fais Riyad."

Elle n'a pas répondu... Elle en a pas envie. Elle doit pas avoir confiance en moi...
Elle sait très bien que Riyad traîne avec des yeux tristes devant la télé... Si j'y suis pas c'est bien parce que je foire tout. Il espère. Il a l'espoir de s'en sortir et de ne pas être plonger dans la haine totale. De ne pas haïr. De ne pas le haïr. Riyad n'a jamais eu peur de moi et n'aura jamais peur de moi. Jamais il ne me haïra. Jamais on ne s'abandonnera. Il faut juste que je me maintiens éloigner quand il le faut. Et proche quand il le faut. Si je vais vers lui maintenant je vais détruire le peu d'espoir qui lui reste... Je veux pas qu'il perde tout espoir comme moi. Après le vie devient trop triste.

Homayra et Ayoub: Chaque pêcheur a un avenir et chaque pieux a un passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant