22.Restauration

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Camille sursauta et releva la tête en entendant parler Tim.

«—Je crois que je suis en train de perdre les pédales... La peluche vient de parler?»

Eh merde, c'est de mieux en mieux. Le nounours a grillé sa couverture. Super. Comment rattraper le coup en étant crédible?

«—Non, tu te trompes, c'est surement le choc...
—Tu ne serais pas, par hasard, en train d'en profiter pour me prendre pour une conne?
—Mais, euh, profiter de quoi, au juste?
—Ne change pas de sujet!»

Le regard qu'elle me lança me fit ravaler ma question et ma tentative de détournement d'attention. Ce fut Tim qui interrompit le malaise.

«—Laisse, Miss, ce n'est pas très important! Grâce au pouvoir qu'on vient de récupérer, tu vas pouvoir tout remettre en état. Exactement comme si rien ne s'était passé.
—Je peux vraiment faire ça?
—Evidemment. Et vu qu'il s'agit d'un sort de retour dans le temps, ils oublieront tout ce qu'ils viennent de vivre. Quel pouvoir merveilleux!»

En entendant ces propos, Camille se redressa, l'air furieux et incrédule.

«—Attends, tu vas pas me faire ça, tout de même? Je rencontre enfin la fille de mes rêv– Non, c'est pas ce que j'ai voulu dire. Je rencontre enfin la fille que j'ai vue en rêve et tu vas effacer ça?»

Mes yeux glissèrent de Temuji  à Camille, puis du corps inanimé de Charlotte à celui de Gab, un peu plus loin. Un lourd silence pesait. Je sentais le regard de ma camarade s'appesantir sur moi.

«—J'ai pas le choix. T'imagine, la tonne d'explications que je vais devoir fournir? Et on a besoin de la piscine pour le dernier trimestre, je te signale.»

Mais ma tentative de blaguer ne passa pas non plus.

«—Ce ne m'amuse pas, Miss.
—Keskissépassé? »

Il ne manquait plus que lui. Gabriel venait de reprendre conscience. Avec une lèvre éclatée et un œil poché. Moi qui le prenait pour un lâche.

«—Il s'est battu finalement?
—Non, il a essayé de me p'loter, alors j'lui en ai collé une.»

Camille poussa une exclamation exaspérée. Elle n'était pas juste furieuse. Il y avait autre chose. Elle avisa Gab qui se redressait, puis Charlotte, pâle et immobile.

«—Et toi, alors? Tu vas tout oublier aussi?
—J'en sais trop rien, pour tout te dire. »

Je regardai l'ourson en peluche qui s'inspectait les griffes en sifflotant, l'air innocent.

«—Bien sûr que non. Toi et moi, on est au centre du vortex. Ca ne fonctionnera pas sur nous.
—Très bien, dans ce cas...»

La jeune fille vint se planter devant moi, l'air contrarié. Elle tremblait légèrement. A ce stade là des choses, impossible de deviner ce qu'elle allait faire. Ca pouvait être aussi bien la gifle que le bisou.

«—Les autres ne savent pas que je suis... Enfin, tu vois ce que je veux dire? 
—Une super guitariste?
—...
—D'accord, c'est promis. Pas un mot à qui que ce soit.»

Cette fois-ci, pas de doute, elle me dévisageait, franchement suspicieuse.

«—Bon, il est temps de nous dire au revoir.»

Elle se contenta de m'enlacer, le plus naturellement du monde. Et moi, j'étais resté·e raide comme un piquet. Comment étais-je censé·e réagir?

«—Et merci pour les photos de toi à la piscine.»

Elle me tendit le smartphone qu'elle avait ramassé non loin de Charlotte.

«—TIM?!! Tu as OSE?»

Je me doutais qu'il m'avait pris·e en photo à la piscine, et après vérification, j'avais pris soin de tout effacer. En revanche, je n'aurais jamais cru qu'il les enverrait à quelqu'un. Le fourbe.

«—Oulah, Miss, il faut te hâter de lancer le sort, les gens commencent à se réveiller.
—J'te jure, tu perds rien pour attendre.»

Camille fit brusquement volte-face, s'essuyant les yeux avant de retourner auprès de la pauvre Charlotte, qui n'avait vraiment pas bonne mine.

«—Comment je dois faire, alors?
—Tu prononces la formule que je vais te donner. Tu tends un doigt vers le sol, un autre vers le firmament et tu décris deux demi-cercles qui formeront un cercle complet. Et là, rideau.»

Il me signe de me pencher. Il voulait me la murmurer à l'oreille, pour une bonne raison.

«—Non, pas moyen. Même moi, j'ai mes limites et là, c'est juste pas possible. J'aurais l'air de quoi?
—Tu t'en fiches, personne ne s'en rappellera. Sauf si tu loupes le sort, bien entendu.» 

Médusé·e, je cherchais à savoir si il se payait ma tête ou non. Le temps nous était compté, sans mauvais jeu de mots. Au bout de quelques secondes, il se mit à glousser.

«—Je le savais. J'arrive pas à croire que tu me fasses marcher dans un moment pareil.
—T'aurais dû voir ta tête, c'était juste incroyable.
—Donne moi la vraie formule, alors!
—Mais c'est la véritable formule! On ne peut pas louper un sort pareil. C'est ça qui est cocasse. Allez, Miss, strike the pose

Il se tordait de rire. De toute évidence, il était en plein craquage nerveux lui aussi. 

Et c'est parti pour 15 ans de psychothérapie.

«—LAPSE DANCE!»

Je me rappellerai toujours des voix stupéfiées de Camille et de Gab à ce moment précis.

«—Qu'est-ce qu'elle a dit?»

Gab aussi semblait  sous le choc, mais sans doute pas pour la même raison.

Je fis comme il avait dit, un doigt en l'air, l'autre vers le bas, avant de former le cercle. A ma grande surprise, un cercle de lumière se forma sur la trajectoire de mes doigts. Le cercle lumineux se mit à briller de mille feux et nous fûmes tous inondés d'une lumière dorée aveuglante. Je me sentis le monde tourner, tourner, pendant que les évènements des dernières heures s'inversaient. J'avais le vertige, la sensation de tournis se muait en nausée alors que les mouvements autour s'accéléraient. Je fermai les yeux, serrai les dents, le cœur au bord des lèvres, pour limiter l'envie de le vomir qui menaçait de me submerger.

Au bout d'un moment qui me parut très long, j'ai rouvert les yeux. J'étais de retour sur le terrain de foot, lorsque je ramassais les cônes du cours de sport, une éternité auparavant. Tout semblait être revenu à la normal, avant la catastrophe du réfectoire. Sans parler de Sammy, bien évidemment.

Je me dépêchais de courir en direction du self pour m'assurer que tout allait bien, et récupérer aussi Tim au passage. Et vu que mon sac de sport semblait secoué de spasmes, j'en conclus que tout avait marché selon ses prédictions. 

«—Faudra vraiment changer le nom de ce sort. Je me sens souillé, Tim, arrête de rire!
—Il est très bien ce nom. Tu vas t'y habituer.»

Inutile de poursuivre la discussion avec cet idiot pour le moment. Il fallait au moins que je repérât Charlotte. Et je la vis, de sa démarche nonchalante très reconnaissable avec son plateau. Mon cœur se serra.

«—Le nom est nul, mais c'est de loin le meilleur sort que tu m'aies refilé. Tout est rentré dans l'ordre, et sans conséquences. Enfin une bonne nouvelle!»

Toutefois, il me restait une dernière chose à faire.

«—Hey, Thiméo. Tiens, t'avais laissé trainer ça.
—Euh, merci, mais moi, c'est Enzo.» 

Je lui tendis son smartphone. J'avais vidé la batterie. Je me félicitai intérieurement d'avoir effacé toutes les photos de moi avant. Le sortilège avait quant à lui effacé les photos du téléphone de Camille. Tout était donc en ordre.

Désormais, il ne subsistait plus aucune preuve du passage de Miss au lycée et elle ne serait de nouveau plus qu'un rêve dans l'esprit de Camille et de Gabriel : c'était bien mieux ainsi. Du moins, c'est ce que je m'efforçais de croire.

«—Tim? Je crois que cette fois, personne ne va se souvenir de quoi que ce soit.
—A part moi, tu veux dire?»

Comme une fille! [achevé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant