35. Romance

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Je ne savais pas trop ce qu'elle avait en tête. Un indice subtil aurait pourtant dû me mettre sur la voie : le fait qu'elle nous tractait vers la Grande Roue. J'étais en train de réfléchir à toute vitesse pour trouver une manière de leur faire comprendre les choses. Et c'était pas très évident, entre la journée qui commençait à tirer en longueur et Charlotte qui semblait au fond du trou. Si à tout ça, on ajoutait la pression et le brouhaha constant, entourées comme l'étions par trop de personne, je commençais à douter de la réussite de mon plan. Si jamais une une occasion en or massif se présentait, je ne devais la manquer sous aucun prétexte. Et Camille était peut être en train de me la servir sur un plateau d'argent.

«—On va se faire la Grande Roue. Tu vas voir, c'est trop bien!
—A condition de pas avoir le vertige...
—Oh allez, ne sois pas rabat-joie. En plus, on a une super vue depuis là haut.
—Ouep. Par là, il y a les usines, par là, le centre commercial et enfin au dessus de ce truc-là, on peut voir les buildings. 
—Sans doute, oui, mais à la nuit tombée, on ne voit plus que les lumières et ça c'est bien plus beau. On se fait ça, rien que nous. C'est moi qui invite!»

Malgré le manque d'enthousiasme –et c'était rien de le dire– de sa pote, Camille semblait inflexible : elle y tenait, à sa vue depuis le haut de la Grande Roue. Je n'y étais jamais monté, parce que je n'avais jamais eu l'occasion de venir ici. Bon, pour être honnête, je fuyais l'endroit comme la peste, et pour cause. C'était plein de gens que je connaissais et que je voyais tous les jours. J'avais vraiment pas envie de prolonger absolument plus que nécessaire l'expérience sociale désagréable que constituait ma vie au lycée.

Comme elle l'avait annoncé, elle acheta des tickets qu'elle nous donna. C'était plus difficile de dire non, enfin surtout pour Charlotte qui n'avait clairement pas envie. Mais je trouvais aussi que Camille semblait bizarre, comme si elle avait des arrières pensées. Que mijotait-elle?

Après avoir échangé des banalités et papoté pendant l'attente, Charlotte se montrait de plus en plus maussade et distante. La tâche allait être compliquée et je commençais même à me demander si j'avais une chance de mener à bien ce projet.

Point positif, Tim était obligé de se taire, et c'était tant mieux. Rien ne m'obligeais à le prendre, mais je m'étais rendu·e compte que je préférais l'avoir avec moi. Sans aucun rapport avec la maraude à la maison. La file était plutôt courte, l'attente se passa relativement vite. Avec un grand sourire agrémenté d'un clin d'œil ultra suspect, Camille nous fit signe de nous installer.

«—Après vous!
—D'accord, Cam, mais après faut vraiment que je parte... T'sais, j'viens de me rappeler que j'ai un truc à faire...
—Oh, je vois. Eh bien soit. Dans ce cas, il faut en profiter avant que tu partes, si c'est ta dernière attraction, Char.»

A mon avis, c'était pas la Roue, sa plus grand attraction. Je montai d'abord, suivi·e de Charlotte qui s'installa, résignée. 

Et c'est alors que le piège se referma, en même temps que la portière de la nacelle. Camille n'était pas montée à bord et n'en avait jamais eu l'intention.

«—C'est quoi ce plan? Qu'est-ce-que tu fous?
—J'ai pensé qu'un peu de temps toutes les deux vous ferait du bien. A tout à l'heure!»

Avec un petit signe de la main et un large sourire, elle nous regarda partir. C'était pas du tout censé se passer comme ça. J'étais coincé·e avec une fille que j'aimais beaucoup et que je m'étais résolu·e à oublier. Et elle aurait visiblement beaucoup aimé m'oublier également.

«—Je crois qu'elle nous a eues, Charlotte.
—T'as pas idée. La Roue ralentit quand on est à mi-hauteur, histoire de "profiter de la vue". Tu parles!»

Comme une fille! [achevé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant