23.Avertissement

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«—Si tu veux mon avis, on revient de loin, Tim.»

Cette horrible journée était enfin finie. Et quand je dis horrible, je pesais mes mots, puisqu'elle était quasi-double. J'avais encore du mal à réaliser que j'avais un sort de retour dans le temps. Et revanche, mes courbatures étaient là pour m'aider à intégrer la chose.

«—Je suis explosé. Fais pas de bruit cette nuit et surtout ne vas encore dormir chez Stella, j'ai pas envie d'un drama en pleine nuit. Vu?
—Honnêtement, je suis blessé, Raph. Tu sais très bien que je suis la discrétion incarnée.
—Un peu trop, même, je dirais. Surtout quand ça t'arrange.»

Je me repassais encore le film de la journée. Je n'étais pas juste fatigué, j'étais carrément vidé. Toute cette aventure commençait sérieusement à me tirer sur les batteries. Si je n'y prenais pas garde, il y aurait des conséquences fâcheuses. Et je ne pouvais pas me le permettre. 

«—Si on fait le bilan, on a récupéré qui, déjà?»

Le nounours leva les yeux au ciel, en pleine exaspération.

«—Mais bon sang, suis un peu. Je propose qu'on refasse le point. On a libéré les Mânes de Melichor, Azilith, D'Ælin et il n'en reste plus qu'une à sauver. Et tu ne seras pas surpris d'apprendre que c'est la plus forte de toutes.
—Ben oui, ce serait dommage. J'imagine que Calixte gardait la meilleure pour la fin. »

Je soupirai bruyamment. Pas vraiment d'autre moyen de manifester mon blasement. J'appréhendais de poser cette question, mais je devais quand même le faire.

«—Qu'est-ce qu'elle a de si terrible, la dernière?»

Dans un premier temps, Tim me répondit par un silence embarrassé.

«—Disons que, pour faire simple, c'était une rivale de Miss et qu'elles étaient toujours en compétition pour savoir laquelle était la meilleure. Elles étaient de forces égales. Avec la Corruption, la donne a changé, ce sera là ton plus gros défi, je le crains. Elle s'appelle Namue.
—J'en prends bonne note. Et tu me confirmes qu'une fois que j'en aurais fini avec elle, tout rentrera dans l'ordre, et toi dans ta dimension, c'est bien ça?»

Il hésita un instant. Et cet instant de trop me déplut fortement.

«—Temuji, est ce que tu m'as bien tout dit, cette fois? »

Pratique d'être un nounours. Impossible de lire quoi que ce soit sur cette tête. J'avais aussitôt pensé qu'il devait être un joueur de poker redoutable. Mais ce n'était pas le moment pour ça. 

«—Il se pourrait que j'ai glissé sur une chose ou deux, Raph. D'abord, tu dois bien comprendre que je ne m'attendais pas à ce qu'on aille si loin ensemble.
—Super. Tu pensais que j'allais crever, c'est ça? Merci pour la confiance, ça fait plaisir.
—Mais non, pas du tout, enfin! Je parlais de moi, en réalité. Tu as réussi à faire des choses impensables : battre les guerrières corrompues, tenir tête à Calixte et me protéger, par dessus le marché.»

Ca, pour être impensable, les choses que j'avais faites, elles l'étaient. Comme faire des cabrioles  en jupette sur dix centimètres de talon. 

«—Et j'ai aussi réussi à empêcher tes intrusions dans le tiroir à «chaussettes» de ma sœur. »

Ce haut fait était assez secret, donc il méritait d'être signalé. 

«—Mais il y a d'autres dangers, plus sournois, plus pernicieux. Je dois te prévenir, et je ne pouvais pas le faire avant. Tu commences à cumuler beaucoup de pouvoir de magie primale. Il faut que tu fasses très attention, je ne sais pas comment ça affecte les humains de cette dimension.
—Attends deux minutes. Tu es en train de me dire que mes pouvoirs ont des effets secondaires?
—Oui, on peut le voir comme ça, mais c'est un risque, pas une certitude. Reste vigilant et n'hésite pas à m'en parler.
—Pitié, pas de bras en plus. Ou pire, de l'acné.
—Je suis sérieux. Je ne sais pas à quoi m'attendre.
—Mais moi aussi, je suis sérieux. Je fais face comme je peux, d'accord?»

Il ne se rendait pas compte, lui, de ce que c'était de changer de corps, de se retrouver à affronter des monstres bizarres avec tous les dangers que ça impliquaient et de tenter de sauver des gens. Jusque là, j'avais eu de la chance, il ne fallait pas se le cacher. Et il y avait encore une chose que je n'avais pas anticipée.

«—Tim, puisqu'on en parle, j'ai un souci.
—Ah! Je ne pensais pas qu'il suffirait d'en parler pour que tu te décides, mais soit, je t'écoute.
—Je veux dire que j'ai un problème avec Camille.
—Parce qu'elle est gay?
—Mais non, idiot! Je crois qu'elle a un gros crush sur Miss. Et ça, en revanche, je sais pas du tout comment le gérer. Sans parler du fait que je sois probablement le seul à être au courant, je ne veux pas la repousser et je ne peux pas non plus l'encourager... 
—Je ne comprends pas.
—M'enfin, t'es sensé avoir un peu plus d'expérience que moi des choses de la vie. Tu te rends bien compte que Miss, ce n'est pas moi. Camille ressent –j'crois qu'c'est clair!– quelque chose pour elle. Et j'ai aucun moyen de savoir ce que Miss pense de tout ça. C'est embarrassant, à la fin, qu'est-ce qu'il y a de compliqué à comprendre?»

Tim resta interdit quelques secondes, à me fixer. Je n'arrivais pas à croire que moi, l'adolescent un peu vert et maladroit, devait expliquer des choses aussi élémentaires que le mensonge, la méprise et le consentement.

«—Les humains sont si compliqués. Tu te poses vraiment trop de questions. Ignore-là pour l'instant, c'est plus simple.
—On va ajouter ça à la trop longue liste des choses que tu ne sais pas. Laisse tomber.»

Je me sentais en état de fureur et agité. Ce qui m'avait coupé net l'envie de dormir. Ma colère était montée d'un coup, en même temps qu'une très forte envie de l'insulter. J'en avais des palpitations. Il fallait se calmer. Pour ça, je devais changer de sujet, et désamorcer le malaise. Je pouvais toujours changer de sujet et lui parler du médaillon qu'il était censé rafistoler.

«—Alors, la réparation du collier, ça avance?»

C'était sorti tel que. Dans ma tête, ça ne sonnait pas aussi agressif. Surtout que je voulais vraiment redescendre en pression. 

«—Oh, ça avance lentement. Je finirais bien par y parvenir, ne t'inquiète donc pas de ça.
—Vraiment? Je devrais m'inquiéter d'autre choses, selon toi? A part ma mort, blesser mes proches et sortir les poubelles?»

Effectivement, j'avais encore oublié cette fois-là. Je replaçai machinalement la mèche de cheveux rouge orangé que me tomba sur les yeux. Je m'étais levé·e de mon lit, sans m'en rendre compte. Deux bosses pointaient sous mon t-shirt et bien sûr, l'autre avait disparu. J'eus très envie à ce moment précis de frapper le mur. Vu qu'il s'agissait du mur mitoyen de nos chambres respectives à Stella et moi, il était préférable de s'en abstenir. 

«—Temuji... Ca devient du n'importe quoi. Je ne contrôle rien du tout!
—Il faut que tu calmes, d'abord, respire. Je crois que c'était l'effet dont je te parlais. 
—Merveilleux. Et alors? Parle!»

Se calmer. Se calmer. C'était pas le moment d'alarmer tous le monde dans la maison.

«—Je crois que la concentration agit sur ton mental. Tu es à cran et tes émotions semblent, hum, paroxystiques. SI tu ne te contrôles pas mieux, tu pourrais basculer.
—Pardon?»

Cette fois, c'était réussi. Il m'avait calmé net. On pourrait même aller jusqu'à dire que j'étais frappé de stupeur et de retour dans mon corps. Est-ce que j'avais bien compris ce qu'il sous entendait? Un poing glacé se matérialisa dans mon ventre. Ce silence était trop long. Je devais savoir la vérité. Au moins à ce sujet là.

«—Tu veux dire que je pourrais resté coincé comme ça?
—Oui. Les pouvoirs pourraient finir par transformer définitivement ton corps. Je crois que ce serait encore un moindre mal, compte tenu de cette magie sauvage.»

Je ne pris même pas la peine de lui répondre et je me couchai directement.

»Un moindre mal?»

Je parvins à m'endormir malgré mon oreiller humide.

Comme une fille! [achevé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant