4.Piège

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J'étais encore une fois dans le faux. Une sorte de retour cosmique des choses, si on croit à ce truc (au moins vaguement). Les choses peuvent toujours empirer, à n'en point douter. Et si jamais j'ai été tenté de l'oublier, la loi de Murphy allait se rappeler à moi. Vous savez, la loi qui dit que tout ce qui peut mal tourner tourne forcément mal? Expérimentation en direct avec moi, dans le rôle du cobaye.

Alors que j'agrippais Temuji en me demandant comment m'échapper de cette situation, tout devint gris et terne. Une sorte de brume était tombée sur moi comme un piano sur sa victime. Mais il y avait autre chose... Les couleurs, les cris des oiseaux, les vrombissements des voitures, les pétarades intempestives des deux roues, tout ça avait disparu.

— Oh non, non! Trop tard, on est foutus!
— Mais non, on va se barrer en douce et tout ira bien.»

Et c'était moi qui rassurait le nounours. Cherchez l'erreur.

— Regarde dans quoi tu nous as mis, crétin!

Je venais à peine de rencontrer Temuji et de réaliser qu'on pouvait avoir une conversation –ou peu s'en faut– et j'avais déjà l'irrésistible envie de le faire vigoureusement taire le plus vite possible. Je me suis donc décidé à jeter un œil. Discrètement.

Une forme noirâtre entourait Gabriel comme un nuage, tournoyant, tourbillonnant de plus en plus vite. Le bouche entrouverte, il n'avait pas juste le regard vide : ses yeux étaient révulsés. Le mec était toujours debout en plein bad trip de... Je ne savais pas trop quoi, en fait.

— Et si on se tirait maintenant?
— On peut pas, on est coincés ici.
— Et si je me tirais maintenant?

La peluche soupira avant de rétorquer sur le ton blasé de l'évidence.

— Tu comprends rien. Cette brume, c'est pas juste de la brume. C'est un piège. Va falloir se défendre mon petit.
— Et il se passe quoi, là au juste?

Les couleurs avaient déserté, y compris les sons de l'environnement. A l'exception d'un seul : on entendait un sifflement persistant, pénible et désagréable qui venait du nuage noir et de Gabriel. Je regardais encore et...

J'avais sous les yeux la silhouette cauchemardesque et déformée de Gab, les membres parcourus de veines noires, la tête enflée et méconnaissable dans laquelle étaient enfoncés deux yeux blanchâtres et globuleux.

— Merde, il a pas l'air bien.
— Non, tu crois?

Un hurlement retentit, et il se mit à courir vers nous. Il percuta la benne avec tellement de force et de violence qu'on sentit l'onde choc.

— Il s'est assommé, non?

Temuji secoua la tête. Il avait de toute façon les bras trop courts pour un facepalm.

La créature se mit à gronder et à retourner tous les containers comme s'il s'agissait de vulgaires corbeilles à papier.

— Allons nous planquer vers le truc en béton, juste là!

J'eus beaucoup de mal à suivre son conseil, en vrai. J'étais paralysé par la terreur. La vraie. Celle qui prend aux tripes, qui donne des sueurs froides et qui empêche de réagir.

Cette fois, le poing traversa le mur. Les débris cascadèrent. Je protégeais ma tête, mais rien ne protégeait mes bras. Nous étions couverts de poussière, toussant fébrilement. Un léger bruit de sifflement persistant se faisait entendre. Il fallait ramper, trouver un endroit ou se cacher.

Le monstre sauta avec une agilité quasi simiesque sur le mur détruit, ses longs bras posés sur les moellons cassés. Le sifflement me suivait toujours. Je venais de comprendre que c'était le bruit de ma respiration, rauque et difficile. Je devais tousser ou étouffer. Le tout, sans faire de bruit.

Comme une fille! [achevé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant