49.Robin

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«—Robin! Apporte à boire à la 4!
—C'est bon, j'y vais, pas la peine de gueuler. Tu t'es encore cogné dans un tabouret ou quoi?
—Nan, mais je te paye pour ça.
—Déplacer les tabourets?
—Apporter les boissons, abruti!»

Payer, c'était toutefois un bien grand mot. Cuddy m'offrait le gîte et le couvert. Sa définition du salaire. L'hôtellerie toute entière se serait effondrée si sa vision de l'hébergement s'était généralisée à tout le royaume. Au moins, c'était propre. Surtout après que j'eus tout nettoyé. Et quant au couvert, j'avais pas trop à me plaindre. Je mangeais toujours très peu, de toute façon.

Je finissais d'éponger la mare de vomi des WC hommes avec le plus de dignité et de rapidité possible. Inutile de préciser que j'avais sacrifié la dignité sur l'autel de la rapidité. La vie est une question de priorité et d'optimisation.

C'était jour de paie, en plus, et tous les mecs employés par l'Académie venait se torcher la gueule ici, spécifiquement. Une sorte de coutume très local. Sans doute un rapport avec notre emplacement.

«—Cuddy, faut vraiment arrêter avec la 9, là, ils sont soûls comme des apprentis vigneron. Et je te préviens, je nettoie plus de vomis ce soir.»

Le tavernier regarda vers la table incriminée avant de hausser les épaules.

«—Les larbins en goguette de l'Académie, c'est notre principale source de revenus. Alors s'ils se mettent à danser sur la table, fais venir l'orchestre.
—Pas si bête. On pourra faire circuler un chapeau, tiens. Mieux encore, faire les poches des badauds! Comme ça j'aurais peut-être enfin des vrais pourboire!
—C'est pas drôle.
—Nettoyer de la gerbe non plus.»

Il me montra les paumes de ses deux mains en secouant la tête, signifiant par là –comme à l'accoutumée– qu'il se rendait à mes arguments.

«—Dis leur que c'est la dernière tournée.
—OK.»

Je fis prestement volte-face pour aller annoncer allégrement et d'un pas sans doute un peu trop guilleret que la soirée était finie pour eux lorsque Cuddy me rappela. Il me fit signe d'approcher pour me parler à voix basse.

«—Robin, tu connais la chanson, depuis le temps, hein. S'ils t'embêtent ou te manquent de respect, tu m'appelles et je les fous dehors moi-même...
—... A grand coup de pompe dans l'oignon. Oui, je sais, Cuddy. Je sais.»

Il n'en avait pas l'air, mais ce type avait un cœur d'or. Et je ne parlais pas du côté petit, dur et jaune typique des Minarii. C'était vraiment un gars bien qui m'avait accueilli chez lui quand je m'étais retrouvé à la rue, quelques mois auparavant.

Il savait aussi que je n'étais pas taillé pour la baston, alors depuis le début et chaque fois que c'était nécessaire, il intervenait. J'avais tendance à penser qu'il me surprotégeait, parfois.

«—Ce sera la dernière pour ces messieurs qui ont assez picolé.
—Et t'es qui toi, pour décider ça? Hein?
—Juste la personne qui apporte les pintes. Si t'es pas content, casse toi.»

J'avais eu une longue période d'adaptation avant de comprendre comment s'y prendre avec la clientèle ici. Chez les Minarii, ce n'était pas tant le gabarit que le bagout qui importait. L'idée, c'était de ne jamais montrer de faiblesse. Si à ça, on ajoutait la couardise naturelle et inhérente aux pochetrons, on finissait toujours par maitriser la situation. 

A condition toutefois de ne pas laisser les choses déraper.

L'un des types bourrés se leva, enfin en s'aidant de la table, avant de pointer un index menaçant devant lui. C'était difficile de dire très exactement ce qu'il montrait vu son état d'ébriété avancé, mais j'avais supposé qu'il s'agissait de moi. Il regardait dans ma direction : la supposition restait pertinente.

Comme une fille! [achevé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant