41.Souvenirs

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Le lendemain, les choses étaient toujours aussi surréalistes. C'était même à se demander si j'étais pas encore en train de rêver. J'étais à ma table occupé à déjeuner sous l'insupportable vigilance sarcastique de ma Némésis. Elle épiait chacun de mes mouvements avec un plaisir évident.

«—C'est un couteau à beurre, pas une tentative de meurtre. Relaxe.
—Je suis relaxée. J'essaie juste d'étudier pour me fondre dans la masse.
—Beurrer des tartines, c'est une compétence qui va beaucoup t'aider.
—Vous êtes bizarres. Ce repas manque de protéines.
—Alors là, j'peux rien faire pour toi. Va falloir te contenter de ça.
—Tu m'auras pas en m'affamant. Il m'en faudra plus.
—J't'aurais bien proposé du sauciflard, mais le matin, c'est vraiment pas ouf.»

J'entendis les cris de détresse suppliante et désespérée de son estomac. Pris d'un élan de sympathie, je sortis du frigo le saucisson pour le poser devant elle.

«—T'as intérêt à prendre soin du corps de ma frangine.
—Tu m'fais marrer. Je l'ai fait manger et courir. J'ai pris bien plus soin d'elle ces dernières vingt quatre heures que toi ces dernières années. Viens pas me dire ce que je dois faire.»

Ouch. C'était vicieux, ça.

«—Ouais bah en attendant, tu as intérêt à donner le change et te comporter comme elle.
—Je sais. J'ai accès à ses souvenirs, ce sera pas un problème.
—Je ne suis pas de cet avis. Elle oublie rarement de se doucher.
—De quoi?
—Tu sens le vieux pâté. On se lave pas après le sport chez les Minarii?
—J'ai pas trouvé les bains.
—Les quoi?
—L'endroit où tous le monde se lave!
—Chez nous, on appelle ça «la douche».
—Pour moi, c'est une pomme d'arrosoir dans un placard carrelé à moitié transparent.»

Elle s'empiffrait de charcuterie à la confiture lorsque ma mère nous salua en pénétrant dans la cuisine. Elle resta un peu interdite devant le spectacle avant de se diriger sans un mot vers la cafetière. Après une longue gorgée, elle se décida.

«—Du coup, ou tu as fait ces mèches? 
—J'ai demandé à une très bonne amie, Mère. 
—Arrête de m'appeler «mère», ça me crispe.»

Maman semblait bien plus contrariée que crispée. Ce qui était très mauvais signe pour nous.

«—Comment je suis censée t'appeler alors?
—Bon, c'était drôle cinq minutes, maintenant on arrête, d'accord? Je croyais que tu voulais que je t'offre une coupe.»

Je regardai la Minarii en coin, en espérant qu'elle comprenne mes regards insistants.

«—J'ai perdu patience et je savais qu'on avait pas l'argent alors j'ai improvisé.»

Et merde.

Elle venait de violer l'un des tabous les plus fondamentales de notre famille : ne jamais évoquer la dèche. Comme ça, au saut du lit. Elle était supposée rester sous couverture et ne pas se faire remarquer : elle avait tout foutu par terre en l'espace de cinq minutes. Le muscle tendu sur la joue de ma mère ne laissait présager rien de bon pour la suite.

«—Je fais ce que je peux. Désolée si c'est pas assez pour toi.
—Mais non, c'est pas ce que j'ai voulu dir–
—Mais tu l'as dit. Tu files un mauvais coton en ce moment, il est grand temps que te reprenne. Ne me refais pas un coup comme ça, Stella.
—D'accord, je suis désolée.»

Namue pinça les lèvres en baissant les yeux, les joues cramoisies. Impossible de savoir si elle jouait la comédie ou non. Elle était toutefois plutôt convaincante.

Comme une fille! [achevé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant