42.Dialectique

53 5 10
                                    

«—Alors comme ça, il y a des choses que j'ignore?
—Des tonnes. Il y a des trous dans ton histoire. Même toi tu as bien dû remarquer que des détails ne collaient pas. Il y a des choses dont tu ne sais rien.»

Namue s'installa dans le fauteuil du salon, les jambes repliées contre elle, les mains sur les genoux. Si elle avait pu le punaiser comme un papillon rien qu'en le regardant comme ça, elle l'aurait fait.

«—Voici ma version des faits.»

Nous savions tous que Namue était spéciale. Elle passait son temps à faire du grabuge au village voisin et à déclencher des bagarres dans les tavernes. C'était un jeu pour elle. Rien ne semblait avoir d'importance et le comité a exprimé plusieurs fois son souhait de l'exclure.

Je m'y suis opposé. Comme je l'ai dit, je connaissais son histoire personnelle. Je savais qu'elle était seule au monde et pleine de ressentiments. Elle était une bombe sur le point d'exploser. Seulement, je me sentais coupable. Pour la mort de son frère et l'attitude de la Princesse vis à vis de tout ça.

C'est moi qui l'ai faite venir à l'Académie. J'ai vu son potentiel, sa détermination, sa soif de combattre. Elle avait des qualités qui en ferait une guerrière redoutable. Peut-être même la meilleure. Mais j'ai négligé sa fierté. Je pensais que ça lui ferait du bien d'être avec d'autres jeunes femmes qui l'accepteraient et la traiteraient comme l'une des leurs. Namue n'était pas de cet avis : elle voulait être différente. Seule Théna semblait l'accepter et lui témoigner une amitié inconditionnelle. Jusqu'au jour où elle alla trop loin.

«—Tu as failli noyer Priss!
—Pas du tout. On chahutait, juste.
—On a dû la réanimer!
—C'est quand même pas ma faute si elle a pas de souffle.
—Tu dépasses les bornes, Namue!
—Parce que toi tu respectes les règles quand tu fais le mur pour aller voir ton fiancé? Que tu as profité du stage de survie en montagne pour aller chez tes parents? Même tes sous-vêtements ne sont pas réglementaires, tu portes de la lingerie!»

«—Temuji!
—Bon ça va. Je poursuis.»

Tu l'as compris, Théna prenait certaines libertés avec le règlement. Ce qu'on passait à l'une était reproché à l'autre. La crise était inévitable. La décision finit par tomber : on ne voulait plus d'un élément aussi instable, incontrôlable  et imprévisible que Namue dans l'Égide. Il en allait de la sécurité de toutes.

Ce que tu ne sais pas, c'est que Théna est venue me trouver ce fameux soir. Elle m'a supplié de trouver une solution pour que tu restes à l'Académie.

Pour une obscure raison, Théna t'avait prise en affection. Elle avait confiance en toi.

«—Grand Sorcier, Namue est importante pour moi. Elle est un peu la petite sœur désagréable, envahissante, énervante et insupportable qu'on a tous eu peur d'avoir mais qu'on ne peut renier.»

«—TU DIS DE LA MERDE!
—C'est bon, pas la peine de s'énerver. Ce n'est pas tout à fait ce qu'elle a dit.» 

«—Temuji, Namue est importante pour moi, elle est comme une sœur. Et elle sera une incroyable guerrière. Par pitié, je t'en prie, ne les laisse pas la renvoyer d'où elle vient.»

J'ignorai à ce moment précis qu'en acceptant de faire ça, je scellai le sort de biens des gens, y compris le mien. Je trouvai finalement Namue qui pleurait à chaudes larmes dans sa chambre en faisant ses bagages. Je dois bien admettre que même à moi, ça me brisa le cœur de la voir comme ça. 

Comme une fille! [achevé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant