57. Chassé-croisé

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J'ouvris les yeux. J'étais assise sur mon trône, avec une violente migraine et un sentiment de malaise bien pire encore.

«—Temuji? J'ai dû m'assoupir, je crois.
—Ce séjour prolongé en hibernation vous a vidé de vos forces. Vous devriez prendre un moment de répit, Princesse.»

Ca aurait été bien trop long à expliquer et je n'en avais de toute façon pas envie.

«—Nous devons rétablir la royauté, Sorcier Temuji. A n'importe quel prix et en vitesse.
—Je suis on ne peut plus d'accord avec vous, Votre Majesté, cependant...»

Le revoilà qui recommençait à objecter, à argumenter et surtout à me contredire. Encore. Mais cette fois, je perdis patience.

«—J'ai eu la courtoisie de t'écouter jusque là, parce que tu restes mon conseiller. Ne me pousse pas à bout.»

Les fragments du rêve continuaient de partir en lambeaux tourbillonnant dans mon esprit tourmenté.

«Toujours préserver les apparences» disait Mère. 

«Le pouvoir doit toujours s'exercer dans le calme et la pondération» disait Père. 

J'étais censée suivre leurs précieux enseignements et marcher dans leurs traces. Seulement, ils étaient morts et ils m'avaient laissée toute seule. J'avais perdu les trois seules personnes qui m'aimaient vraiment. Mes parents et Keros.

Alors au diable les apparences, le calme et la pondération.

J'allais frapper fort, montrer que je ne plaisantais pas. Je serai sévère, mais juste ; impitoyable, mais indulgente. Intransigeante, mais magnanime. Je devrais bien entendu faire quelque sacrifice, quelques concessions. Après tout, ce n'était pas comme si je n'en avais jamais fait.

S'il y avait bien une leçon à tirer de ce «rêve», c'était que je ne devais rien laisser au hasard.

Je pris place sur le trône. Mon trône. Je tripotais machinalement le collier contenant les Mânes. Je n'y étais pas habituée, c'était inconfortable. Je m'occuperai de ce projet de fusion plus tard, il y avait plus important pour le moment. 

Et je restais profondément perturbée par le sale tour qu'elles m'avaient jouée. Il ne s'agissait pas du futur, j'en étais persuadée. Ce qui ne voulait pas dire que je ne pouvais pas en tirer des enseignements.

La salle d'audience était déserte et plongée dans la pénombre étoilée de nos Cieux visibles par delà l'immense coupole vitrée qui nous surplombait. Mes parents tenaient beaucoup à cette ambiance de vide et d'infini. Un rappel de l'humilité nécessaire pour gouverner sagement, me disaient-ils.

Et cela fonctionnait à merveille : je me sentais minuscule et insignifiante, perdue dans l'océan de l'immensité cosmique. Un grain de poussière parmi les étoiles.

Où êtes-vous? Que vais-je devenir sans vous pour me guider? Comment devenir une étoile parmi les étoiles?

«—Majesté, vous allez bien? La Proclamation peut attendre, vous savez.
—Evidemment que ça va! Arrête de me harceler!
—Vous pleurez.»

Il fallait reprendre son calme. Je fermai les yeux, en expirant doucement. Plus le temps pour le deuil et les larmes. Le temps était venu de me faire connaitre du monde.

«—Oyez! Je suis Sa Majesté Sanae, souveraine légitime des Minarii, seule héritière du Trône! Entendez mon appel et répondez-moi!»

Comme une fille! [achevé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant