Du pont des Goélettes
poussées par les trinquettes
qu'enlacent les vents honnêtes,
voilure au coeur des mouettes
narguant d'autres guifettes
dans l'azur des prophètes,
nous en avons rêvé
toi et moi, mon aimée.D'écume des océans
découvrant son ponant
au départ du levant,
dans l'aile des fous de bassan
jouant aux poissons volants
pour nous guider devant,
vers les vifs flamboyants
rougissant au printemps,faire route vers les épices
dans l'ombre des canisses
que sèchent de belles métisses
entre les deux solstices,
les mêmes gestes qui jadis
transformaient la réglisse,
nous en avons rêvé
toi et moi, mon aimée.Ces nuages de Aras
non loin du Panama,
le chorus des Paddas
aux abords de Java,
le vol des Cotingas
s'égarant sur Bahia,
dompter quelques détroits
comme Vasco de Gama,partir de mile en mile,
courir ces terres d'exil
vers le turquoise des îles
pour y trouver asile,
nous rendre ailleurs utiles
pour une vie plus tranquille,
nous en avons rêvé
toi et moi, mon aimée.Tant et tant jusque tôt ;
Heure des premiers métros
poinçonnant nos chateaux
et troquant nos coraux
les nuits de veille, au chaud,
à remplir nos bateaux
de mangos, de cocos,
à refaire nos topos...Seules nos années défilent,
nous clouant dans nos villes
pour nous rendre plus dociles
et nous faire plus serviles.
Nous rentrer au chenil,
que l'on devienne fossiles.
Nous en avions rêvé
toi et moi, mon aimée.Il nous reste la Seine,
cet écheveau de peines
pour tendre nos misaines,
oublier nos déveines.
Vivre à en perdre haleine,
n'être que des phalènes
se jouant des halogènes
dans les halos sans gênes.Il nous reste la Marne,
cette étendue de larmes
pour toucher la Havane,
transformer quelques hargnes,
ouvrir toutes ces lucarnes
et faire grandir nos âmes.
Nous en avions rêvé
toi et moi, mon aimée.Ne sommes-nous pas trop vieux ?
Ne sommes-nous pas heureux,
plus prêts de nos aïeux ?
Encor plus amoureux,
perdus dans notre banlieue
à être encor nous deux,
l'un pour l'autre si précieux
nous contentant de peu...
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Des petits riens pour un tout
PoetryAu fil du temps, la vie vient à vous... Du beau à l'innommable, nous nous confrontons à elle, puis reste ce que nous en faisons.