Des petits riens pour un tout

Reproches

Et me voilà comme un brick ;
Vieux gréement colérique
haletant de crique en crique,
les souvenirs en barriques
chargées comme des bourriques.
Les soutes pleines de reliques
ne valant rien comme fric,
mais pour moi quelques briques :

Des remords dans les caisses
qui n'passent pas à confesse
par lâcheté ou faiblesse,
traînés avec tristesse.
Ces caissent qui me compressent,
faisant qu'mon coeur s'oppresse.
Elles me suivront sans cesse
le temps de la vieillesse.

Des regrets pleins les fûts.
Ceux qui vous laissent vaincu
d'avoir peu combattu,
d'avoir peu convaincu.
Fûts qui à votre insu
s'accrochent comme des sangsues,
alourdissant le dû
de l'âme qui s'atténue.

Ici, des décéptions
tombant comme des sanctions.
Le fer froid de l'éperon.
L'aiguillon d'un frelon.
La chute d'un charme-houblon
cogné par un bûcheron,
ou encor la rançon
d'une promesse de bouffon.

Là, quelques trahisons
piquant comme des chardons.
Cette caresse de félon.
Cette morsure de grêlon
marquant comme un poinçon.
Cette brûlure de tison
comme la pire des moussons
nous laissant en frissons.

Des reproches en tonneaux
amarrés aux anneaux
de c'qui nous semble en trop.
Certains mots pour des maux.
Ces tonneaux dans les flots
nommés parfois brûlots,
pas toujours sans culot
qu'ils soient petits ou gros.

Les non-dits en barils.
Secrets commes des bacilles
nous rendant plus fébriles
qu'une vérité fragile.
Ces barils pleins de bile.
Du fiel dans des sébiles
qui nous rendent l'âme stérile.
Les sillons d'un terril

et c'est la vie qui passe.
Un rafiot dans sa trace
allant de passe en passe
en tentant de faire sa place.
Déjouer les marées basses,
conjurer toutes les poisses
pour éviter la casse
et se regarder en face.

Pouvoir quand vient l'Automne
avant qu'la mort ne sonne,
éclaircir c'qui grisonne
et panser c'qui chiffonne.
Peu importe que les hommes
vous absolvent de leur gomme.
Seul ce qu'on se pardonne
n'a de poids et raisonne.