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Le télésiège montait lentement vers le sommet des pistes. Sur les quatre skieurs, trois d’entre eux discutaient avec agitation en anglais. À leur droite, un jeune garçon d’une douzaine d'années les écoutait. Sa peau noire tranchait avec la blancheur des Irlandais. Eliot commençait à s'ennuyer. Ses voisins faisaient débat sur les mets savoyards, plaçant la fondue avant la raclette et la tartiflette au-dessus du mont blanc. Rien de passionnant. Bien qu'il vienne de Charmont-sous-Barbuise, un petit village au sud-ouest de Paris, il comprenait aisément chaque parole de ses voisins. D’ailleurs ils auraient très bien pu parler italien, russe, espagnol, autrichien, allemand, chinois ou coréen, que cela n’aurait pas fait de différence pour lui. Car du haut de ses un mètre quarante-sept, il était capable de comprendre exactement trente deux langues différentes ! De cette façon, il pouvait écouter un bon nombre de conversations… tel un agent secret... Cette passion lui était venue à six ans lorsqu’il avait dû apprendre la langue des signes. En effet, alors qu’elle avait déjà donné naissance à deux enfants - une fille et un garçon - , sa mère était de nouveau tombée enceinte. A la clinique, les tests d’audition avaient révélé que ce petit garçon était atteint de surdité. Cela avait été un drame pour les parents Tessier, jusqu’à ce qu'ils découvrent que leur petit dernier possédait des capacités hors du commun. Pour eux, la réussite était leur priorité et ils rêvaient que leurs enfants intègrent de grandes et prestigieuses écoles. Alors leur déception s’était plutôt tournée vers leur cadet. En effet, Eliot n’était pas aussi brillant que son frère et sa sœur. Il avait des capacités, certes, mais ce qui l'intéressait à lui, c’était plutôt de jouer au super héros avec ses copains ou de faire de l'équitation. Bien sûr, le travail scolaire passait bien après tout cela. Il savait que ses parents étaient déçus de lui, ce qui n’était pas pour le faire changer.
Sur ce, le télésiège le déposa en haut de la pente. Le moniteur le repéra grâce à son dossard et à son manteau vert pomme, un manteau dont Eliot était très fier d’ailleurs car il pouvait se retourner et devenir ainsi bleu marine.
— Eliot, vient ici avec les autres. Et tu me suis bien d’accord ?
Dès le premier jour, Greg, le moniteur, avait compris qu’il avait affaire à un gamin très malin, capable de s’évaporer d’une seconde à l’autre sans rien dire, sans prévenir.
— Oui bien sûr Greg !
Il savait aussi que c’était un gentil garçon qui ne cherchait pas à embêter le monde. Et pour cela il l’aimait bien. Seulement, quand Eliot avait une idée en tête, il oubliait toute ses bonnes résolutions.
À la grande surprise de Greg, la descente se fit sans encombre du côté d’Eliot. Arrivé aux télésièges, il les fit s'aligner en file indienne pour en placer un sur chaque télésiège. Eliot espérait se retrouver à côté de gens “intéressants”. Qu’il serve un peu à quelque chose quoi ! Il se retrouva finalement assis à côté de deux grands gaillards, tous deux habillés d’un manteau noir. Ils représentaient les suspects idéaux pour un agent secret en quête de nouvelles missions. Il comprit rapidement que les deux hommes en question parlaient néerlandais. Ça c’était intéressant ! Il s'agissait de la dernière langue qu'il était en train d'apprendre et rien de mieux, pour cela, qu'un peu d'exercice. Il s’installa confortablement, ou du moins aussi confortablement qu’il est possible de l'être sur un télésiège accoutré d'une imposante combinaison de ski. Il écouta. Son oreille mit quelques minutes à s’adapter, mais par la suite il réussit à comprendre presque entièrement ce que ses voisins disaient. Et c'est encore une fois la gastronomie savoyarde qui revint sur le tapis. Pas plus intéressant que cela comme sujet de conversation, mais au moins ça lui permettait de s’exercer. Arrivé en haut du télésiège il fut déçu de devoir les quitter. Il regarda derrière lui. Son moniteur était encore loin… Devant, les deux hommes partaient déjà et ils skiaient assez vite. Tant pis ! Il prit son élan et s’élança vers la piste.
— Eliot ! Attends ! lui cria le moniteur
— T'inquiète pas Greg, eu juste le temps de lui répondre le garçon.
Il dévala la pente à toute vitesse et rattrapa les Hollandais. Arrivé au télésiège il se débrouilla pour se retrouver encore une fois à côté d'eux. Alors il souffla un peu. Il avait réussi ! Puis il se concentra…

Toujours installée à son appartement-observatoire du 3ème étage, Sheila suivait deux hommes habillés de noir qui se trouvaient en ce moment sur un télésiège. Elle les traquait depuis trois heures et commençait à ressentir quelques fourmillements dans les jambes. Les pistes de ce remonte pente ne menaient qu’à un seul endroit. Le temps qu’ils descendent, elle aurait le temps de se dégourdir un peu les jambes et de se faire couler un café. Elle se décida donc à lâcher ses jumelles et se détourna de la fenêtre, juste au moment où la situation prenait une tournure surprenante…

La montée était presque terminée. Cette fois, Eliot était résolu à abandonner les deux Hollandais et à retrouver son groupe. Mais soudain, ces derniers se mirent à parler à voix basse. Il n’en fallut pas plus à Eliot pour redoubler d’attention. Il se pencha en avant pour mieux les entendre. Cependant au moment où il voulu se relever, un de ses bâtons glissa. Il le rattrapa au vol mais lança par mégarde un “mince” bien audible en néerlandais. Les deux hommes tournèrent la tête. Visiblement, ils n’avaient pas l’air très content d’avoir été surpris dans leur conversation. Eliot prit peur mais ne paniqua pas. Le sol était à environ deux mètres sous ses pieds. Il releva légèrement la barrière de sécurité et sauta du télésiège avant que les deux bonhommes n’aient eu le temps de réagir. Le garçon atterrit sur ses deux skis et s'élança pour rejoindre la piste la plus proche. Arrivés au terminus du remonte pente, l’un des Hollandais voulu le rattraper. Mais son ami le retint :
— Arrête, il y a trop de monde ici ! C’est pas prudent !
Eliot, lui, continuait de descendre à toute vitesse. Une fois en bas, il se fondit dans la foule. Là, il enleva son manteau et le retourna du côté bleu. De cette manière, entre son casque, ses lunettes et son cache-nez on ne pouvait plus le reconnaître.

Le Secret de l'Endurance Où les histoires vivent. Découvrez maintenant