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Quelques jours plus tard, 5 mai 2015...

En cette fin de journée de mai, Paris était sous la pluie. A la sortie du collège, les enfants ne trainaient pas à discuter et préféraient courir s'abriter. En passant, ils regardaient tous ce jeune homme courageux qui attendait sans se soucier des gouttes énormes qui tombaient sur lui. Abrité sous son sweat à capuche bleu, il semblait s'impatienter. Il finit par s'approcher de l'un des élèves.
- Bonjour !
L'interpellé tourna la tête et lui sourit.
- Est-ce que tu sais si Mme Delaire est là aujourd'hui ? C'est une prof de maths...
L'élève parut surpris.
- Vous cherchez Mme Delaire ?
- Oui, pourquoi ? s'inquiéta le jeune homme.
Ils devaient parler fort pour s'entendre à travers le bruit de la pluie et des voitures.
- Ben... ça fait quelques semaines qu'elle est pas là Mme Delaire.
- Ah bon ?!
Cette fois, il semblait complètement paniqué. Le jeune garçon lui gardait son calme. Il voulait en savoir plus.
- Pourquoi ? Vous la connaissez Mme Delaire ?
Le jeune homme n'hésita même pas à se confier à ce petit homme qui le regardait de ses grands yeux noirs ouverts.
- Oui bien sûr que je la connais ! C'est ma sœur ! C'est ma petite sœur ! Tu sais pas où elle est ?
Eliot eut un mouvement de surprise.
- Alors vous êtes son frère ! Celui qui a été enlevé ?
William acquiesça. Le jeune garçon semblait réfléchir profondément. Il ne disait rien. Pendant quelques secondes, seul le bruit des gouttes qui heurtaient le sol résonnait dans son cœur.
- Venez ! Suivez-moi ! dit-il finalement.
Il ne savait pas encore que ce soir-là, la famille Tessier allait lui ouvrir tout grand sa porte.

- Voilà c'est la lettre que j'ai trouvée dans la boîte aux lettres.
Eliot la tendit aussitôt à William. Toute la famille était réunie autour de la table du salon. Les parents d'Eliot étaient très honorés d'accueillir chez eux le chercheur en biologie, William Delaire ! C'était l'occasion pour eux de faire connaître à leurs enfants, et surtout à Eliot le secret de la réussite ! Mais pour l'instant la conversation n'avait rien d'une interview brillante. C'était plutôt les Tessier qui essayaient d'aider William comme ils le pouvaient. En réalité, ils ne comprenaient pas tout de ce qu'il se passait. Seul Eliot semblait échanger sans difficulté avec William. Grâce à la lettre laissée par Sheila et quelques détails ajoutés par William il avait pu reconstituer l'histoire dans ses grandes lignes. Pourtant la lettre était assez succincte : Sheila tenait vraiment à informer Eliot qu'elle partait, car c'est grâce à lui qu'ils avaient pu avancer dans leur enquête ; depuis quelque temps ils cherchaient à retrouver son frère enlevé quelques mois plus tôt. En recoupant avec l'épisode du métro, Eliot avait compris que Sheila - et d'autres, car ils étaient visiblement plusieurs - allait se rendre en Arctique où se trouvait son frère enfermé dans un bateau. Voilà ! C'était aussi simple que ça ! Aussi simple que lorsqu'on s'amuse à remettre les mots dans l'ordre pour former une phrase qui a du sens. Mais bien sûr, Eliot ne s'était pas arrêté à cette simple phrase. Avec son imagination débordante il en avait inventé beaucoup d'autres et s'était ainsi construit une histoire, son histoire qu'il prenait presque pour la réalité. Au début, William avait du mal à le suivre. La lecture de la lettre l'éclaira donc grandement. Il compris alors qu'il se trouvait face à un garçon très intelligent et très créatif aussi.
- Mais comment tu as su que j'étais en Arctique, dans le bateau ?
Le jeune garçon eut l'air un peu embarrassé. Il n'avait jamais raconté à ses parents l'épisode du télésiège et il n'avait pas particulièrement envie de le faire aujourd'hui. D'un geste vague, il expédia la question :
- A la montagne, sur un télésiège.
William n'insista pas. Eliot avait parlé de l'Arctique et du bateau bien avant qu'il ait raconté son enlèvement. Le jeune garçon avait donc réussi à l'apprendre d'une manière ou d'une autre. Quoi qu'il en soit, il était certain que Sheila s'était rendu récemment en Arctique, dans l'Endurance et qu'elle n'était toujours pas rentrée. Il avait peur que le pire soit arrivé, qu'en cherchant à le délivrer elle n'ait pas mesuré le danger, alors que c'est elle qu'on recherchait.
- Il faudrait l'appeler !
C'était le petit frère, Anatole, qui venait de parler, ou plutôt de s'exprimer avec ses mains et son visage, laissant son grand frère, Eliot, effectuer la traduction. Les deux frères étaient complices. Ils n'avaient même pas besoin de signer pour se comprendre. Juste un regard, ça suffisait.
La proposition du petit frère fut accueillie avec empressement. Par les parents qui n'y comprenaient toujours rien et qui espéraient que cela arrangerait la situation. Et par Eliot et William qui voyaient en effet cette solution comme la plus appropriée.
- Le problème c'est que je n'ai pas de téléphone, expliqua William.
En effet, il était précieusement gardé par l'inspecteur Brahms, que William avait prévu de rencontrer dès qu'il aurait revu Sheila. Mais le problème ne subsista pas très longtemps car chacun des membres de la famille proposa alors son aide. Et c'est finalement le téléphone d'Eliot qui fut élu.
Tremblant, William composa le numéro. Le téléphone sonna. Une fois, deux fois, trois fois. Rien. quatre fois, cinq fois. Toujours rien. Six fois, sept fois, une voix, celle du répondeur. William raccrocha.
- Si ça ne vous dérange pas, j'essaierai de rappeler plus tard.
Les Tessier le mirent à l'aise et lui proposèrent même de rester manger. Toutes les demi-heures, William rappelait. Mais toujours rien. Seulement ce répondeur qui l'agaçait, qui lui rappelait constamment qu'il ne pouvait joindre que la boîte vocale, qui lui faisait réaliser un peu plus à chaque fois que sa sœur ne répondait pas et que... Son inquiétude grandissait à chaque appel. Les parents d'Eliot lui proposèrent finalement de rester dormir. Comme leur fille aînée était absente cette semaine-là, il y avait une chambre de libre. William accepta. De toute manière, il n'avait aucune autre solution pour la nuit. Mais il ne dormit pas dans la chambre comme on le lui avait proposé. Il resta dans le salon à veiller avec le père d'Eliot qui ne cessait de lui poser des questions sur son travail et sur ses études. Ça l'agaçait et ça lui changeait les idées, un peu aussi.

Vers 23h, Eliot se leva. Il n'arrivait pas à dormir. Il retrouva William et son père endormis, assis sur leur chaise, la tête posée sur la table. Il attrapa le téléphone pour vérifier qu'aucun appel n'ait été manqué. A cet instant même, le téléphone vibra. Eliot décrocha aussitôt, comme s'il voulait rattraper un rêve qui allait presque disparaître.
- Allo ?
C'était Sheila. Eliot se sentit soudain perdu. Qu'est-ce qu'il devait dire ? Son père s'était réveillé mais pas William. Il dormait profondément, épuisé par ses aventures.
- Oui allo, madame. C'est Eliot.
- Eliot ! C'est toi qui a essayé de m'appeler sept fois ce soir ?
- Oui, enfin non... pas vraiment... attendez deux minutes.
Aidé par son père, il secoua William pour le réveiller. Dès que celui-ci ouvrit les yeux et qu'il vit Eliot au téléphone, il se leva d'un bond.
- Eliot, qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce que tu fais ?
- C'est bon je vous le passe !
- Quoi ?! Mais qui ?
Eliot ignora la question et se débarrassa en vitesse du portable que William attrapa.
- Allo Sheila ! C'est moi !
Silence. Est-ce que...
- Sheila ! Tu m'entends ?
- Oui, répondit-elle presque en chuchotant.
Mais avait-elle bien entendu ?
- Sheila ! Tu me reconnais pas ? C'est moi !
Pouvait-elle vraiment le croire ?
- C'est qui moi ?
- Mais voyons, c'est moi ! William ! Ton frère ! Tu me reconnais pas ?
- Oh William c'est vraiment toi ?
Sa voix tremblait dans l'appareil.
- Mais oui ! bien sûr que c'est moi ! Je te le dis depuis tout à l'heure ! C'est moi !
Eliot se dit en lui même que William n'était décidément pas très bon pour les retrouvailles.
Sheila avait envie de pleurer. William aussi d'ailleurs qui cherchait éperdument à l'autre bout du fil à prouver que c'était bien lui !
- J'ai compris William, j'ai compris, c'est juste que c'est un peu... fou...
- Bon Sheila fait très attention. Les hommes, ils te cherchent. T'es pas toute seule j'espère ? Et surtout ne va pas dans l'Endurance, surtout ne va pas en Arctique, surtout... Et pourquoi tu me répondais pas avant ? Tu m'as fait tellement peur !
- William ! Ne t'inquiète pas ! Je suis à l'aéroport de New York, je viens de descendre de l'avion. On rentre à Paris.
William fut soulagé. Il se rassit sur sa chaise.
- William...
- Quoi ?
Sheila était au bord des larmes. Elle avait envie de dire à son frère tout ce qu'elle ressentait à ce moment-là. Mais elle ne sut pas comment le résumer au présent. Elle le fit donc au passé.
- William tu m'as manqué !
C'était dit avec tellement de beauté, tellement d'émotion, que la réponse de William parut, comment dire... un peu plus franche.
- Mais moi aussi tu m'as manqué ma soeur ! Moi aussi tu m'as manqué !
Eliot se tapa le visage. Qu'est-ce que William n'était pas poétique !

Le Secret de l'Endurance Où les histoires vivent. Découvrez maintenant