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janvier 2000

Le Pôle Nord. Toujours plus haut, toujours plus froid et toujours plus mystérieux… Là, au milieu de ce désert de glace, illuminé de jour comme de nuit par le seul scintillement des étoiles, l’Endurance se tenait fière, droite, imprenable…
Contrairement à ce qu’il pouvait laisser paraître, ce navire n’avait rien d’une épave. Au contraire, celui-ci grouillait d’une centaine d’hommes et de femmes tel une fourmilière en activité. Ce n’était pas non plus un bateau de croisière avec ses de luxueux bars et restaurants. En effet, il était plus facile d’y trouver ordinateurs, robots, et autres nouvelles technologies, des machines à la pointe du progrès en cette fin de 20ème siècle.
Car en réalité, ce grand bateau couleur de feu, perdu au milieu de cette mer de glace, n’était autre qu’un centre de recherche soutenu par les plus grands laboratoires et entreprises mondiaux. Les chercheurs les plus renommés avaient été invités à cette occasion. Partis pour cinq mois, prisonniers - volontaires - des glaces, les quatre-vingt-quinze scientifiques, dirigés par le capitaine Hudson, ne ménageaient pas leurs efforts. Ce dernier était un homme d’un certain âge déjà, plutôt autoritaire, qui avait pour objectif de veiller au bon fonctionnement et à la rentabilité de cette mission. Son bureau se situait en haut du bateau, à côté du poste de pilotage. Les autres scientifiques étaient ensuite répartis sur tout le navire, du météorologue au chimiste, en passant par le physicien.
C’est ainsi que l’équipe de Gérard Delseny avait pour mission d’étudier les espèces marines du Pôle Nord. Delseny était un scientifique passionné mais exigeant. Avec son caractère rigoureux et organisé, il ne laissait passer aucun détails. Le groupe se composait ensuite de trois autres chercheurs : James Wilson, Anton Petrov et Michel Delaire. Ce dernier était à l’opposé son chef d’équipe. Il était plutôt du genre scientifique rêveur dans toute sa splendeur. Avec ces flagrantes différences de personnalité, l’amitié qui liait Delaire et Delseny ressemblait plutôt au lien qui unit deux frères jumeaux. Cette relation participait d’ailleurs à l’efficacité de toute l’équipe.
En cette soirée de janvier, ils avaient une fois de plus oublié que l’heure tournait. Et c’était de nouveau trois petits coups frappés sur la porte qui les avaient ramenés à la réalité. Le visage d’une belle jeune femme blonde aux yeux bleus avait alors fait irruption : Anna Delaire. Issue d’une riche famille anglaise, elle avait étudié les sciences dans les plus grandes écoles américaines. Elle avait par la suite abandonné la recherche pour se consacrer à l’écriture et au journalisme. Elle était ainsi devenue chroniqueuse scientifique et avait été embauchée dans l’Endurance comme porte-parole de cette mission.
— Michel et Gérard, il est 19h30, on vous attend pour le dîner.
— Déjà ! 
Les quatre chercheurs abandonnèrent finalement leurs observations et Michel et Gérard suivirent Anna jusqu’au restaurant.
En fait de restaurant, il s’agissait plutôt d’un réfectoire. Sa position à l’avant du bateau lui donnait une forme triangulaire assez particulière. A côté du buffet avaient été disposées une quarantaine de tables, qui, même avec leur belle couleur de bois vernis, avait l’air de sortir tout droit d’une cantine scolaire. Le couple Delaire et Delseny rejoignirent une table déjà occupée par deux autres jeunes femmes : Rose Delseny et Megan Lakes. Rose travaillait sur l’Endurance en qualité d’infirmière. C’est grâce à Delseny qu’elle avait pu obtenir cette place avantageuse aux côtés de son mari. Megan quant à elle était célibataire. C’était l’une des astrophysicienne les plus prometteuse de son temps qui brillait déjà lors de ses premières années à l’université. C’est d’ailleurs durant ses études qu’elle avait rencontré Anna, sa meilleure amie. Car derrière ces postes de prestiges se cachait en fait un groupe d’amis composé de gens simples, ordinaires.
Nos cinq amis s’étaient donc installés à table devant leur assiette d’omelette au jambon bien peu appétissante. Mais il leur en fallait bien plus pour perturber leur bonne humeur, quelque chose comme un collègue un peu trop mystérieux…
— Alors comment ça s’est passé aujourd’hui ? demanda Rose à l’adresse de son mari.
— Ça va. ça va… répondit-il assez vaguement.
— C’était assez productif quand même, tu trouves pas ? insista Michel, qui lui, semblait des plus enthousiastes après sa journée de travail.
— Oui, oui… C’est juste James… il m'agace.
— Ouais c’est vrai que des fois il est bizarre… mais bon on a jamais eu de problèmes avec lui et il travaille bien.
— Je sais pas, je le sens pas…
— Mais non Gérard t’en fait pas ! Tu t’inquiètes trop !
— Qu’est-ce que tu veux dire par “je le sens pas” ? interrogea Anna en ignorant la dernière réplique de son mari.
Elle semblait soudain inquiète. Gérard allait ouvrir la bouche, lorsqu’il vit James Wilson passer tout près d’eux. Il détourna aussitôt le sujet de conversation en attrapant le journal posé au bout de la table. Car bien qu’isolés à des kilomètres de toute civilisation humaine, nos cinq amis n’en tenaient pas moins à rester connectés à l’actualité.
Gérard commença alors le lecture de sa voix paisible et solennelle :
— Alan Greenspane reconduit pour la quatrième fois à la présidence de la réserve fédérale des Etats-Unis. Côte d’Ivoire, premier conseil des ministres : à la suite du coup d’Etat du 24 décembre dernier ayant permis à Robert Guéï d'accéder au pouvoir, le premier conseil des ministres du gouvernement de transition ce mercredi 5 janvier. Affaire Bob Parks : le trafiquant condamné à sept ans de prison.
— Tiens j’aurais pensé qu’il prendrait plus ! lança Megan.
— Tu le connais ? demanda Anna curieuse.
— Oui c’est un célèbre trafiquant de voitures américain. Vu l'ampleur de son commerce je me demande comment il a fait pour pas écoper plus. 
— Il devait avoir de bons avocats, suggéra Michel.
— Le plus drôle, ajouta Rose qui lisait l’article par-dessus l’épaule de son mari, c’est qu’il avait même pas le permis !
— Sérieux ?!
— Oui oui, c’est marqué là.
Toutes les têtes se penchèrent au-dessus de cette phrase qui avait tant retenu leur attention. Michel, poussé par son impulsivité habituelle, pris la parole et lu :
— « Alors qu’il achetait et revendait chaque jour des dizaines de voitures, Bob Parks n’avait en réalité jamais passé son permis. Lors d’une interview, il nous a assuré n’avoir jamais pris le volant. Mais peut-on réellement faire confiance à un homme qui base sa vie sur le non-respect des lois ? »
— C’est clair ! lança Megan. Mais parfois on pourrait être surpris !
— En tout cas, ajouta Anna, il est incarcéré à Otisville, dans l'État de New York.  C’est pas loin de chez toi ça Meg ?
— Ah oui tu passeras lui dire bonjour de notre part en rentrant, lança Rose.
— Vous pouvez rêver !

Le Secret de l'Endurance Où les histoires vivent. Découvrez maintenant