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Quelques jours plus tôt…

L'homme était assis, seul. Il lisait. Dehors, le vent faisait rage. Enveloppé par la nuit, le petit chalet de bois grinçait sous sa puissance. Seule une petite lampe éclairait une partie de la pièce, laissant le reste dans la pénombre. L'homme tournait les pages lentement. Il était calme. Il n'entendait même plus les tumultes du dehors. Seulement le léger frottement des pages qu'il tournait parvenait à ses oreilles. Cette scène aurait encore pu durer longtemps, faisant oublier le temps qui passe, les jours et les années.
Mais soudain il sursauta. On venait d'ouvrir la porte. Le vent entra violemment dans la pièce bousculant les pages du livre. Trois ou quatre hommes étaient sur le pas de sa cabane. Il ferma l'ouvrage et écouta.
Il s'attendait à ce qu'on lui adresse la parole. Mais au lieu de cela, les hommes semblaient parler entre eux. A cause du vent il n'arrivait pas à entendre ce qu'ils disaient. C'est alors qu'un des hommes fut poussé dans la pièce. Les autres crièrent encore quelques mots dans une langue étrangère puis claquèrent la porte. L'homme s'avança vers le nouveau venu mais la pénombre l'empêchait de bien le distinguer. Il appuya  sur l'interrupteur pour y voir un peu plus clair et resta alors pétrifié ! L'homme en face de lui eut la même réaction. Ils étaient là, à quelques mètres l'un de l'autre, stupéfaits, à se demander si ce qu'ils vivaient était bien vrai. Puis comme pour s'en assurer, l'homme de la cabane adressa la parole au visiteur :
— Gérard ?
Celui-ci réagit.
— Michel !
Il restèrent immobiles au milieu de la pièce quelques secondes puis se jetèrent dans le bras l'un de l'autre. Et ils se mirent à pleurer comme deux frères qui se retrouvent après tant d'années et qui acceptent que pour une fois les larmes ne soient pas un signe de faiblesse. Ces larmes qui veulent tout dire, qui racontent à la fois la tristesse et la joie, qui donnent un sens aux choses auxquelles on ne peut mettre de mots.  Car que peut-on se dire après tant d'années ? Par quoi commencer ?
— Michel ! Tu sais, ton test sur les échantillons, il était positif.
— Ah merci ! Je m'en doutais !
Puis réalisant l'étrangetée de leurs paroles, ils se mirent à rire. C'était idiot comme échange après 15 ans d'absence. Un peu comme si la discussion s'était arrêtée nette, et qu'elle reprenait comme si rien ne s'était jamais passé.
— Et Anna ?
— Elle dort ! Mais je vais aller la chercher !
En réalité, elle ne dormait plus vraiment et entrait à ce moment même dans le salon.
— Oh Gérard ! C'est toi ?
— Anna !

Gérard n'en croyait pas ses yeux. Il pensait qu'il rêvait, que bientôt il allait se réveiller et qu'alors tout disparaîtrait. Pourtant, alors que pendant quinze ans il pensait les avoir perdus, Michel et Anna étaient bien là, devant lui. Il sentait qu'il perdait pied. C'était un peu trop violent pour lui. Michel et Anna l'avait compris et lui proposèrent de s'asseoir à la table.
Dehors le vent continuait de souffler, entraînant toujours le même vacarme avec lui. Dès milliers de questions se bousculaient dans l'esprit de nos trois amis. Par laquelle commencer ?
— Gérard qu'est ce qu'on t'a dit sur nous ?
Celui-ci soupira. Il ne savait pas comment le dire. C'était simple pourtant. Pour l'aider, Michel commença la phrase à sa place :
—  Que…
Gérard acquiesça. Ils s'étaient compris. Michel et Anna se regardèrent.
— Bon alors je crois qu'il faut qu'on t'explique ! repris Michel avec son entrain authentique.
Ce qui s'est vraiment passé c'est que… ben… on s'est fait enlevé en gros ! Et… par James Wilson !
Gérard serra les poings. Il le savait ! Il avait toujours su que James Wilson n'était pas net.
— Et donc… vous êtes ici depuis le début ?
— Ouais depuis quinze ans !
— Et… on est où exactement ?
— Exactement ? On est perdu au milieu des montagnes de la chaîne d'Alaska !
Delseny se frotta le visage. Au fond de lui son instinct de détective refaisait lentement surface.
— Mais… j'ai une question : pourquoi il a fait ça James ?
— Il voulait un bijoux.
— Un bijoux ?
— Oui un diamant d'une valeur assez importante en fait, expliqua Anna. Il a appartenu à ma famille.
Gérard n'en croyait pas ses yeux.
— C'est le Titanic cette histoire !
— Oui c'est un peu ça ! fit Michel en riant. On pourrait presque tourner un film !
— Mais comment James a su que vous aviez ce bijou ? Moi je le savais même pas.
Michel se tourna vers sa femme.
— Tu veux expliquer ?
— Et bien…  c'est simple… en fait James Wilson est mon cousin.
— Quoi ?! Mais tu ne nous l'a jamais dit !
— Même moi je le savais pas à l'époque ! le rassura Michel.
Anna prit une inspiration. Elle s'apprêtait à reprendre l'histoire depuis le début.
— Même si James est mon cousin on ne s'était jamais parlé avant. On se connaissait juste de nom. Nos familles étaient… comment dire… elle ne s'entendaient pas très bien.
— Elles étaient franchement ennemis oui ! Vu ce que tu m'as raconté ! Elles se faisaient tout le temps la guerre !
— Arrête Michel ! On se faisait pas tout le temps la guerre. On se parlait pas c'est tout.
— Mais pourquoi ? s'enquit Gérard.
— Justement, à cause de ce bijou. Quand mes grands-parents sont morts, il y a eu quelques problèmes au niveau du partage de l'héritage, un peu à cause du testament de mon grand-père d'ailleurs. C'est depuis ce moment là que nos familles sont… ennemies, comme dirait Michel.
— Et ce bijoux il fait parti de l'héritage que tu as reçu de tes parents ?
— C'est ça. 
— Quel bazar ! Pourquoi tu nous as jamais dit au moins que tu le connaissais ? 
— Je voulais pas vous perturber dans votre travail. De savoir qu'il était mon cousin ça aurait peut-être compliqué les relations. Et puis il ne me faisait pas peur. Jusqu'à ce que…
— Que quoi ?
— Que tu parles de lui à table. Je me suis dit que c'était peut-être pas un hasard qu'il soit dans l'Endurance en même temps que nous.
— Et tu nous as rien dit ? Même pas à Michel ?
Anna soupira.
— J'ai voulu en parler à Michel juste avant de partir en expédition. Mais… j'ai pas osé… Je me suis dit que je devais juste me faire des idées.
Gérard passa sa main sur son visage.
— Quelle histoire !
— Tu peux le dire !
Un silence fit place à la longue discussion qui venait d'avoir lieu. On entendait plus que le souffle du vent.
— Gérard, t'as des nouvelles des enfants ?
Anna venait de briser le silence.
—  Euh… oui…
Gérard était gêné, il ne savait pas comment commencer.
— Sheila va très bien. Elle est devenue une belle jeune femme. Et… elle joue merveilleusement bien du violon.
Les parents se regardèrent en souriant.
— Et William ?
Gérard avala sa salive. Il n'osait pas regarder ses amis en face.
— William a été enlevé.
Michel se redressa subitement.
— Quand ça ?
— En janvier… par James Wilson.
Cette fois Michel se leva tout à fait. Pendant que Gérard retraçait l'histoire des derniers mois, il marchait de long en large dans la pièce. Il avait tout perdu de son enthousiasme et de sa jovialité.
Quand son ami eut terminé, il vint se rasseoir à côté de sa femme qui avait écouté sans bouger et resta pensif quelques minutes.
Soudain il frappa de son poing sur la table. 
— On aurait jamais dû accepter la responsabilité de ce bijou ! Jamais !
Anna et Gérard était un peu surpris. Il était rare que Michel se mette dans cet état.
— Vous avez jamais pensé à leur donner ce qu'ils voulaient ?
— Si bien sûr ! Mais c'est plus compliqué que ça.
Gérard se gratta le menton.
— Mmh… et de toute manière ils ne nous laisseraient jamais sortir d'ici. Ça serait trop dangereux pour eux.
Delseny faisait confiance à son ami : s'il ne voulait pas prendre le risque de donner le bijou c'est qu'il ne le pouvait pas. Mais il ne s'arrêtait pas non plus à un premier échec. C'était un détective, Delseny ! Et au fond de lui, malgré son caractère sérieux et réfléchi, bouillait une force et une détermination qu'il était difficile de lui enlever.
A son tour, il frappa du poing sur la table.
— Il ne reste plus qu'une solution : fuir !

Le Secret de l'Endurance Où les histoires vivent. Découvrez maintenant