Le Secret de l'Endurance

28

Sheila explorait les entraves de l’Endurance avec beaucoup de prudence et de minutie. Elle ne voulait en aucun cas vouer à l’échec cette mission. Elle était bien trop reconnaissante à la confiance que Gérard lui avait accordé en lui permettant d’y participer. Elle veillait donc avec attention à la moindre de ses actions. Même ses pas se fondaient dans le silence. Elle sursauta donc lorsqu’elle entendit le grésillement du talkie-walkie. Elle l’approcha de son oreille et écouta. A l’autre bout du fil Delseny essayait de leur parler. Sa voix était très faible et Sheila avait du mal à le comprendre. Elle monta un peu plus fort le son de l’appareil.
— Sheila, tu m’entends ?
Le message lui était visiblement adressé. 
— Oui Gérard. Le son est très faible mais je t’entends.
— Ok. Alors écoute bien ! Tu peux pas rester là toute seule ! Rejoins moi dès que tu peux à l'escalier B. Et Megan et Rose, rejoignez-nous aussi. On en sait suffisamment. On a pas besoin de rester plus longtemps.
— Déjà ! Mais pourquoi ? demanda Sheila surprise.
Elle ne s’attendait pas à ce que la mission s’arrête si rapidement. Mais la voix de Delseny fut plus pressante.
— Ils savent qu’on est là ! Et surtout ils savent que tu es là Sheila ! C’est toi qu’ils cherchent !
Sheila resta sans voix. La peur l’envahit soudain. Elle réalisa alors le danger dans lequel elle se trouvait et se sentit désemparée.
— Comment ça ?
— Ils t’ont vu par une caméra de surveillance et ils sont en train de bloquer toutes les sorties.
— Mais alors, ils savent où je suis en ce moment ?
— Non là où tu es il n’y a pas de caméras. Mais surtout ne repasse pas par le chemin que tu as emprunté à l’aller.
— Oui d’accord je vais essayer.
— Rose et Megan vous avez bien entendu ?
— Oui.
— Oui.
— Très bien ! On se retrouve sur le pont le plus rapidement possible ! Soyez prudente !
Sheila jeta un coup d’œil inquiet autour d’elle. Elle sentait son coeur s'emballer dans sa poitrine. Appuyée contre le mur elle ferma les yeux quelques secondes. Elle ne devait pas paniquer. Elle devait continuer.

Delseny s’apprêtait à quitter son poste d’écoute. Il en savait assez. Mais alors qu’il tournait les talons, il sursauta. Le troisième personnage venait pour la première fois de prendre la parole. Delseny reconnut immédiatement la voix de l’homme qui venait de parler. Il hésita, puis poussé par la colère et la curiosité il s’approcha de la porte entrouverte. Lorsqu'il passa la tête à travers l’ouverture, il n’eut plus aucun doute. Là, devant lui, un visage familier à peine vieilli par le temps : James Wilson.  Il serra les poings, et peut-être à cause de l’émotion, il relâcha son attention. S’il s’était immédiatement retiré, s’il n’avait pas laissé son visage aussi visible dans l’ouverture de la porte, tout se serait peut-être passé différemment. Mais quand James Wilson se retourna, ses yeux croisèrent ceux de Gérard. Ce dernier ne pouvait plus reculer. Il se releva. Les deux hommes se fixèrent du regard. Wilson sourit, d’un air provocateur. Il savait qu’il était le maître de ce bateau. Delseny resserra encore plus fort ses poings. Son visage se crispa. Il sentait la colère monter en lui.
— Salut Gérard ! Qu’est-ce qui t’emmène ici ?
Delseny n’eut pas le temps de répliquer. Il entendit des hommes arriver derrière lui. Il était pris au piège. Attrapant son talkie-walkie, il ordonna d’une voix ferme :
— Partez sans moi ! Vite !
Puis il lança l’appareil par la fenêtre.

— Gérard ! Qu’est-ce qu’il se passe ?
Rose appelait, en vain. Megan avait compris que Gérard avait coupé la communication pour les protéger. Il n’y avait maintenant plus qu’une seule chose à faire : suivre les directives du détective ! Elle prit à son tour la parole :
— Vite ! Dépêchez-vous, on se retrouve sur le pont !
— Mais…
— Non Rose ! T’as entendu ce que Gérard a dit. On doit lui faire confiance !

Sheila paniquait. Ses mains tremblaient. Elle ne savait plus par où aller. Elle prit le couloir de droite. Cette fois elle ne marchait plus avec discrétion, elle courait sans même prendre le temps de respirer. Au bout de quelques minutes, elle dû s’arrêter pour reprendre son souffle. Réfugiée dans l’enfoncement d’une porte, elle regarda furtivement autour d’elle. Son sang se glaça : deux hommes arrivaient, chacun par un côté du couloir. Elle se paralysa de peur. Les hommes s’approchaient dangereusement. Ils allaient bientôt la remarquer. Soudain elle entendit qu’on l’appelait : « Mademoiselle, Mademoiselle » Sans réfléchir elle se dirigea vers le petit couloir d’où venait la voix.   Elle se retrouva nez à nez avec un jeune homme au visage rassurant. Il semblait inquiet comme elle et lui fit signe de se taire. Une fois que les deux hommes furent passés sans les remarquer, il lui dit en chuchotant :
— Continuez toujours tout droit ! Vous arriverez directement sur le pont !
Puis il se volatilisa.
Sheila ne savait pas vraiment s’il était de son côté. Pourtant, elle décida de lui faire confiance. Elle continua toujours tout droit comme il lui avait indiqué et arriva finalement sur le pont. Elle se cacha alors sous le canot de sauvetage, comme à l’aller. Les minutes passèrent. Puis enfin, Megan et Rose arrivèrent. Sheila se releva et fit discrètement signe aux deux femmes de la rejoindre. C’est alors qu’elle vit le jeune homme qui l’avait sauvé, arriver juste en face d’elles. Megan s'arrêta surprise. Le jeune inconnu fit de même. Sheila avait du mal à croire la scène qui se déroulait devant ses yeux.
— Tom !
— Megan…
— Qu’est-ce que tu fais là ?
Son ton était tout sauf calme. Elle ne lui laissa même pas le temps de répondre.
— Tu n’es qu’un traître ! Moi qui te faisais confiance !
Sheila crut que le jeune homme allait se mettre à pleurer.
— Pardon Megan ! Pardon !
— Oui c’est ça excuse toi ! C’est bien le moment ! Tu me déçois Tom !
— Ils avaient raison… Je vaux pas mieux que mon père…
— Et en plus t’as pas honte de traiter ton père comme ça !
Elle haussait dangereusement la voix.
Ils entendirent soudain des hommes accourir précipitamment sur le pont. Megan et Rose se cachèrent en vitesse sous le canot, juste à temps.
— Ah Tom ! T’as vu quelqu’un par ici  ?
— Non personne.
— Ok. Bon, vient plutôt nous aider par là-bas !
Les hommes, accompagnés de Tom, s’éloignèrent. Une fois hors de vue, Megan, Sheila et Rose sortirent de leur cachette. En quelques minutes, elles descendirent jusqu’au bateau à moteur. La petite embarcation s’éloigna alors rapidement de l’Endurance, laissant une longue trainée de remous blancs derrière elle.

— C’est pas possible ! C’est pas possible !
Jack marchait avec nervosité autour de la table. Sheila regardait le va et vient du météorologue. Que pouvait-elle faire d'autre ? Assise à côté d’elle, Rose avait les yeux rougis d’avoir pleuré. Megan, elle, s’agaçait du va et vient de son ami. Elle avait planté ses coudes sur la table et essayait de réfléchir à la situation. La police avait été prévenue. De colère, elle aurait voulu dénoncer Tom mais Sheila l’en avait empêché :
— Je sais qu’il était aussi sur l’Endurance mais il nous a quand même aidé à nous échapper !
Megan avait donc accepté de ne pas citer son nom. Ils avaient ensuite attendu de longues heures avant d’avoir plus de renseignements de la police. Mais la conclusion de leur intervention s’était finalement avérée déroutante : l’Endurance était vide, désert ! Il y avait bien entendu des traces du passage des malfaiteurs partis en vitesse. Mais aucun moyen de savoir par où ils s’étaient enfuis. Le choc avait été très rude pour chacun des membres du groupe. Le sentiment d’impuissance qui les avait tous envahis, les révoltait et les paralysait en même temps. Que faire maintenant ?
C’est Megan qui trouva finalement la réponse à cette question.
— Il faut qu’on rentre ! ça ne nous sert à rien de rester ici ! Une fois chez nous, on pourra réfléchir plus posément.
Tout le monde, même Rose, s’accorda pour dire qu’il s’agissait de la décision la plus sage à prendre. Le départ fut donc fixé au lendemain matin.

Alors que le soleil venait à peine de se lever, le petit avion de Jack s’envola de la base, laissant au-dessus de la mer calme une longue traînée d'aventures.