20

8 2 0
                                    

23 avril 2015

La Peugeot 308 grise s’arrêta juste devant l’immeuble. La nuit n’était pas encore tombée sur Paris mais il faisait déjà sombre. Une fine pluie tombait sur le trottoir faisant éclore une nuée de parapluies multicolores. Sheila, encombrée d’un léger bagage de cabine et d’un sac à dos, monta dans la voiture.
— Tu as fait vite ! lui lança Rose en souriant.
Sheila lui sourit en retour malgré son malaise. Elle n’arrêtait pas de penser à la photo. Elle comprenait en partie maintenant ce que signifiait cette affaire pour Gérard.  Pendant plusieurs mois, elle avait respecté son silence. Mais maintenant, elle partageait ce secret avec lui, et avec Rose, car elle en était certaine, celle-ci aussi devait être au courant. Elle aurait d’ailleurs préféré ne pas savoir, ne pas être détentrice de ce secret qu’elle n’était pas censé connaître d’après elle. De part cette seule photo oubliée, elle avait l’impression d’avoir trahi, sans le vouloir, ce jardin secret, ce passé qui était pourtant tellement lié avec le sien. Durant le trajet, elle trouva d’ailleurs Gérard assez mal à l’aise, comme s’il avait deviné qu’elle savait. Mais cela devait seulement être le fruit de son imagination.
Néanmoins, le trajet se déroula d’une façon tout à fait ordinaire. Sur la demande de Sheila, Gérard fit un détour jusqu’à l’immeuble d’Eliot. Là, elle déposa dans la boîte aux lettres, un petit mot écrit à la hâte. Puis le petit groupe se rendit directement à l’aéroport de Paris Charles de Gaulle. Bien qu’ils soient déjà arrivés à une heure avancée de la soirée, le hall était bondé de voyageurs. Après avoir passé le comptoir d’enregistrement des bagages et la sécurité, nos trois amis partirent à la recherche de leur porte d’embarquement au milieu de cet immense aéroport. Ils eurent cependant moins de mal à la trouver qu’ils ne l'auraient imaginés. Le vol était prévu trois quart d’heure plus tard. Ils s’installèrent sur les fauteuils qui bordaient une longue baie vitrée donnant vue sur la piste d'atterrissage. Dans la nuit opaque et pluvieuse, les lumières des avions scintillaient jusqu’à eux. Ils contemplaient ce spectacle en pensant à l’idée qu’un de ces engins les emmènerait bientôt vers de nouveaux horizons, de nouveaux défis. Cependant les problèmes arrivèrent plutôt que prévu. Quelques minutes seulement après leur arrivée, Delseny vit apparaître une nouvelle notification sur son portable.
— Oh c’est pas vrai ! grogna-t-il.
Rose et Sheila, qui étaient assises juste en face de lui, le regardèrent avec interrogation.
— Le vol de Paris est décalé à demain matin 6h30… Y’a plus qu’à attendre maintenant.
Visiblement ils n’étaient pas les seuls dans cette situation car une certaine agitation pouvait se faire voir parmi la foule des passagers. Une longue et pénible nuit débuta alors…

— Rose ?
Cette dernière tourna la tête. Depuis une heure qu’elle ne dormait pas, elle essayait de lire quelques magazines qu’elle avait emporté sur elle. La plupart des voyageurs s’étaient endormis, à l’exemple de Gérard affalé sur le siège en face d’elle.
— Je pourrais te parler de quelque chose ?  poursuivit Sheila.
D’un léger mouvement de la tête, Rose encouragea son amie à continuer. Elle savait bien de quoi elle voulait lui parler.
— J’ai trouvé cette photo sur le rebord de la fenêtre. Je pense que Gérard a dû l’oublier…
Rose ne parut même pas surprise, ce qui étonna quelque peu Sheila.  En vérité, elle ne savait pas vraiment quoi ajouter à ce moment-là. Mais elle n’eut pas besoin d’y réfléchir plus longtemps car Rose enchaîna d’elle-même :
— Il ne l’a pas oubliée. Il a fait exprès de la poser là.
— Alors il voulait que je sache ?
Rose acquiesça. Sheila parut soulagée. Mille et une questions se bousculaient maintenant dans sa tête. Comme si elle avait deviné, Rose débuta sans se faire prier :
— Gérard et ton père, c'étaient les meilleurs amis du monde, ou plutôt les meilleurs frères du monde. Ils se connaissaient depuis le collège, ils ont, si on peut dire, grandi ensemble.
— Mais alors pourquoi je ne vous ai jamais rencontré.
— Ton père et Gérard travaillaient ensemble, ils n’avaient pas besoin de se voir le week-end. On s’est rencontré quelques fois mais tu étais petite. Tu ne dois pas t’en souvenir.
— Ce que je comprends pas c’est pourquoi Gérard ne m’en a jamais parlé ?
— Il s’en est toujours voulu… parce que c’est lui qui a proposé à ton père et à ta mère de venir avec nous sur l’Endurance. On était cinq : tes parents, Gérard et moi et aussi Megan la meilleure amie de ta mère qui venait des Etats-Unis.
— Alors toi aussi tu étais sur le bateau ?
— Oui j'étais infirmière là-bas.
— Mais ça veut dire que tu as connu mes parents ?
— Oui très bien !
Sheila demeura songeuse devant la photo de son père et de Gérard. Ce dernier d’ailleurs ne dormait plus. Il venait en fait d’entendre l’ensemble de la discussion des deux femmes. Il ne put s’empêcher de penser à cette phrase que Michel avait prononcé au sujet de Sheila : « Tu sais quoi, Sheila a commencé le violon cette année. T’imagines, peut-être qu’un jour elle saura jouer les Quatre Saisons de Vivaldi ou encore la List de Schindler ! J'aimerais tellement la voir jouer ce morceau ! » Gérard aussi aurait tellement aimé que Michel voit ça. Mais à la place c’était son meilleur ami, lui qui l’avait poussé à venir sur ce bateau, qui l’avait vue. C’est alors que dans le silence de l’aéroport endormi, Gérard s’envola, dans ses plus lointains souvenirs.

Le Secret de l'Endurance Où les histoires vivent. Découvrez maintenant