Lundi 6 juillet 1964

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Mathieu quitta la maison à huit heures. C'était la première fois qu'il serait loin de sa famille pour si longtemps, il était ému mais n'osa pas le montrer, il était un homme maintenant et les hommes ça ne devait pas pleurer, surtout en présence de ses sœurs. Il demanda à ses parents s'il pourrait inviter son cousin dans leur chalet pour la Fête Nationale ; ceux-ci acquiescèrent, ils rentreraient de leurs vacances ce jour-là et n'auraient pas envie d'y monter, les garçons seraient seuls et pourraient fêter avec qui ils voudraient.

Mathieu monta à l'avant de la voiture, il salua encore sa famille d'un signe de la main avant de sortir de la propriété. Il s'adressa ensuite à son chauffeur :

— Urbain, j'aurais quelque chose à vous demander : pourrions-nous nous tutoyer ?

— Si Monsieur le désire, cela ne me dérange pas.

— Je pense que tu tutoies mon père.

— C'est exact, nous passons de nombreuses heures ensemble et cela crée une certaine intimité qui va au-delà de la relation employeur-employé.

Mathieu n'osa pas demander jusqu'où allait cette intimité. Il parla de la fondation et de l'aide qu'elle avait apportée au chauffeur.

— Tu peux m'en parler plus en détail ? demanda-t-il.

— Tu aimerais que je te raconte ma vie ?

— Si cela ne te dérange pas.

— Tu as assez de mouchoirs ?

— C'est si terrible que ça ?

— Tout est relatif, comme tu le vois, j'ai survécu. Mes parents faisaient partie d'une secte, ils ont pris au pied de la lettre le verset Soyez féconds et devenez nombreux ; remplissez la terre et soumettez-la. (Genèse 1:28). J'ai quatre sœurs et trois frères, je suis l'aîné. Tant que j'étais sage et que j'allais aux réunions adorer leur dieu, il n'y avait pas de problèmes. Ça s'est gâté à la puberté car Quelqu'un qui prend l'habitude de se masturber acquiert une vision déformée et égocentrique de la sexualité.

— Ta vision déformée dérangeait tes parents.

— Oui, tu l'as deviné. Ils encourageaient la délation, mes frères devaient me surveiller et leur signaler tout comportement inapproprié. Ils me fessaient nu en leur présence pour m'humilier. Comme je devais attendre une heure après les cours pour rentrer en train, j'allais dans un café faire mes devoirs, le patron était sympa, je lui avais fait quelques confidences et il ne me faisait pas payer la limonade. Je lui ai même avoué un jour que j'aimais mieux les garçons que les filles. Je me branlais aux toilettes. Le jour de mes dix-huit ans, il m'a offert un cadeau.

— Qu'est-ce que c'était ?

— Il m'a fait monter à l'étage et j'ai découvert qu'il tenait un bordel. Il m'a offert mon dépucelage.

— Mais c'étaient des femmes ! s'exclama Mathieu.

— Il y avait aussi un travesti qui avait une grosse queue et c'est avec lui que j'ai passé une heure. J'ai bien aimé. Ensuite, j'allais au bordel au lieu de rester au café, je discutais avec les putes. C'était une grande famille, c'était très haut de gamme, le patron n'acceptait pas n'importe qui et il demandait très cher. J'ai même fait un essai avec une femme.

— Pourquoi le patron te laissait-il fréquenter ce lieu ?

— Parce qu'il voulait un garçon pour maintenir son offre. Le travelo allait le quitter pour se mettre à son compte.

— Et tu as accepté ?

— Mets-toi à ma place, avec mes parents que je ne supportais plus. Mais je voulais que ce soit eux qui me mettent à la porte. Je leur ai dit que j'étais homosexuel. Tu imagines la scène : ''Tu ne dois pas coucher avec un homme comme on couche avec une femme. C'est un acte détestable.'' (Lévitique 18:22). Ils m'ont ordonné de me rendre immédiatement au quartier général de la secte pour y suivre une thérapie, en fait un lavage de cerveau, sinon ils ne me reconnaîtraient plus comme leur fils et je pouvais quitter la maison. Je ne me suis pas fait prier, tu l'imagines, j'avais mis quelques affaires dans un sac et je suis parti en claquant la porte avant qu'ils n'aient le temps de réagir.

Deux cousins (Journal intime)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant