Jeudi 16 juillet 1964

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Koen avait demandé à Mathieu de téléphoner à la prostituée, une certaine Frau Stirnimann, puisque c'est lui qui allait financer la passe pour les deux. Il le fit lors d'une pause. Le téléphone mural en Bakélite noire, dans une cabine, ne devait pas être utilisé plus d'une fois par jour et par élève, pour cinq minutes au maximum, sauf en cas d'urgence. Il y avait un compteur de taxation, il fallait noter le jour, l'heure, combien cela avait coûté et qui avait passé l'appel dans un carnet à couverture bleue, puis mettre l'argent dans une crousille. (NDA Helvétisme pour tirelire)

Mathieu ne respecta pas le règlement puisqu'il appela ensuite la clinique et laissa un message pour Léo, afin de lui dire à quel train ils arriveraient le lendemain. Il s'assura auprès de la collègue de Dominique que Koen pourrait bien faire examiner son sperme au labo. Celle-ci lui indiqua que son ami aurait aussi des discussions avec des médecins comme il s'intéressait à cette profession. Parfait, se dit Mathieu, je serai un moment seul en tête à tête avec mon cousin.

Mathieu put obtenir un rendez-vous chez la prostituée le jour même à 20 heures. Ce n'était pas nécessaire de demander la permission à la directrice pour sortir en soirée, il fallait seulement informer Franz, lui donner la raison et rentrer avant 23 heures avec un taux d'alcool raisonnable dans le sang. Celui-ci ricana :

— Ainsi vous allez perdre votre pucelage ce soir.

— Ça m'étonnerait, fit Mathieu, mais on ne sait jamais. Frau Stirnimann vous racontera comment cela se passera.

— Pas du tout, je vous assure que cette dame est très discrète.

Pendant le dîner, Koen s'excusa auprès de Mathieu :

— Je suis confus de te faire dépenser ton argent pour ça.

— Pas de problème.

— Ça te coûtera combien ?

— Sais pas, j'ai pas demandé.

Les deux amis quittèrent l'école après le souper. Ils trouvèrent facilement le chalet, situé à dix minutes de marche. Mathieu avait une légère appréhension lorsqu'il sonna. Frau Stirnimann leur ouvrit. Elle était dans la quarantaine, maquillée et coiffée avec soin, vêtue d'une robe noire et des bas résille assortis. Elle n'avait pas cet aspect vulgaire auquel on se serait attendu. Elle les fit monter à l'étage, un appartement coquet et propre, avant de les saluer.

— Bonjour, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

— Bonjour, Frau Stirnimann, dit Mathieu. C'est moi qui ai téléphoné.

— Tu peux me tutoyer, dit-elle en riant, je m'appelle Gertrud, et toi ?

— Mathieu.

— Et moi Koen, je viens des Pays-Bas, de Gouda.

— Enchantée. Je suis allée voir les fleurs au Keukenhof une fois.

— Et vous aimez le gouda, le fromage ?

— Je préfère un fromage d'alpage de la région. Mais je pense que vous n'êtes pas venus pour parler de nourriture. Nous allons d'abord régler une petite formalité, ce sera liquidé. D'habitude, les élèves de l'école qui viennent me trouver me font un petit cadeau.

— Bien sûr, dit Mathieu. Vous désirez combien ?

— C'est symbolique, vous donnez ce que vous voulez. J'ai du plaisir avec les jeunes, ça me change des vieux gros et impuissants.

— 100 francs ? Ça va ?

Mathieu sortit un billet de son porte-monnaie et le tendit à Gertrud.

— C'est beaucoup trop ! Je n'ai pas de monnaie.

Deux cousins (Journal intime)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant