Lundi 13 juillet 1964

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Mon cher Mathieu,

Dominique est à un cours et je regrette déjà son absence. J'ai eu une séance avec le psy ce matin, couché sur le traditionnel divan. On a parlé de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, sauf de ma psyché, depuis que je lui ai dit que j'avais résolu tous mes problèmes existentiels. Je ne désire pas lui raconter que je suis amoureux de Dominique, je ne voudrais pas que toute la clinique soit au courant. Je ne crois pas trop au secret professionnel, toutes les infirmières savent déjà que Dominique me masturbe et elles doivent être jalouses, quoiqu'un peu intriguées, car elles n'ignorent pas sa transsexualité.

Madame Ansermet m'a demandé après le petit-déjeuner si j'avais fait ma physiothérapie prénuptiale (je pense qu'elle voulait dire préputiale), ou si elle devait passer dans ma chambre. Encore une qui a envie de me tripoter le zizi. Ça suffit, j'ai déjà donné de ma personne (je ferai peut-être une exception pour ton Koen afin qu'il puisse affiner ses statistiques, il pourrait profiter de l'ordinateur de l'Expo pour calculer ses moyennes, tu imagines, s'ils avaient demandé aux visiteurs la longueur de leurs queues... ce sera donnant-donnant, s'il veut voir ma queue, il devra me montrer la sienne).

Cet après-midi, je suis descendu en train à Montreux et je suis allé à pied jusqu'au Château de Chillon. Je vais maintenant jeter la copie carbone et en commencer une autre, je ne vais pas montrer le début de cette lettre à Dominique. Je pense que c'est plutôt la suite de mon camp qui t'intéresse. Je reprends mon récit.

J'ai rejoint les autres qui barbotaient dans l'eau, assez fraîche malgré le soleil qui brillait. Jo m'a demandé :

— Qu'est-ce qu'il t'a dit le sergent ? Qu'il a perdu ses couilles au combat ?

— Tu le savais ?

— Il me l'a dit l'année dernière, je crois qu'il profite pour se confier à nous parce que nous sommes étrangers. Les autres ne le savent pas. Ils doivent devenir de bons Américains, chair à canon sans états d'âme.

— Logan le sait, il nous l'a montré.

— Tout le monde le saura alors. Aurait-il changé de camp ? Voudrait-il maintenant inciter les jeunes à s'opposer à la guerre ? Il t'a aussi dit qu'il est homosexuel ?

— Oui.

— Et toi ?

— Moi ?

— Oui, toi, Léo. Es-tu homosexuel ?

J'ai hésité avant de répondre :

— Le sergent le pense. Moi, je ne le crois pas.

— On verra ce soir, on sera les deux, seuls sous la tente.

Je me suis demandé si je devais continuer à faire des expériences avec Jo (je ne peux pas appeler ça faire l'amour), mais j'avais trop peur de le contrarier et de perdre son amitié. Je me suis dit que je serais peut-être dégoûté pour toujours de coucher avec un homme et que cela me remettrait dans le droit chemin. J'avais toujours ce dilemme : les corps de Jo et de tous les autres garçons qui se baignaient nus avec moi m'excitaient, mais je ne m'imaginais pas passer toute ma vie avec l'un d'entre eux.

Nous sommes sortis de l'eau. Mike a distribué des linges pour nous sécher, il n'y en avait pas assez pour tout le monde, j'ai attendu que Jo ait terminé. Il a frotté consciencieusement sa grosse bite et ses fesses, ça m'a fait frissonner de m'essuyer ensuite avec le même linge. J'ai heureusement pu cacher mon érection avant de remettre mon slip et mon pantalon.

Nous avons dû ensuite monter les tentes, heureusement que Logan et Elijah nous ont aidés avec un air condescendant. Nous devions ensuite préparer le repas du soir, nous avions reçu des pâtes et une boîte de sauce à la viande. Un des participants qui voulait devenir cuisinier s'est chargé de les cuire pour tout le monde sur un feu. Le sergent nous avait préparé une surprise : il avait fait apporter des bouteilles de bière dans une glacière pour ceux qui le désiraient, du Coke pour les autres. Ce devait être une entorse au règlement, ou même à la loi du Colorado, mais Denver est la ville où l'on compte le plus de brasseries aux States. Il nous a dit que son frère travaillait dans l'une d'elles. Il y avait du cheesecake pour le dessert et du café qui m'a paru moins mauvais que d'habitude.

Le sergent a pris ensuite sa guitare, que ses deux aides avaient amenée avec le matériel, et nous avons chanté autour du feu ; ce sont plutôt les autres qui ont chanté, Jo et moi nous les écoutions. Ce n'étaient pas les derniers tubes du hit-parade, c'étaient des chants patriotiques très connus. À la fin, nous avons dû nous lever pour chanter l'hymne national, alors que le soleil se couchait.

Une très belle soirée, la plus belle de mon séjour. Tu devines comment elle s'est terminée sous la tente, je ne vais pas tout te raconter aujourd'hui. Et j'attends aussi de tes nouvelles, même si je sais bien que tu n'as pas beaucoup de temps pour m'écrire.

Je te fais la bise.

Ton cousin Léo 

Deux cousins (Journal intime)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant