Chapitre 56

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C'était à parier qu'on allait se louper, entre nos plannings chargés et le décalage horaire, impossible de se parler. Daniel avait tenté de m'appeler mais j'ai enchaîné des interviews pour les médias japonais. Mon agenda est plein jusqu'au dimanche en fin d'après-midi, c'est toujours de la folie au pays du soleil levant.
Yuzuru m'attend pour m'accompagner dans cette matinée qui sera consacrée à un entraînement filmé avec des futurs champions juniors. Tout est déjà prêt pour nous suivre pendant 4 heures. On débute un échauffement collectif léger dans l'enceinte de la patinoire, suivi par une cession de danse et barre puis finalement une séance on-ice.
On s'amuse à mettre en place des enchaînements d'attitudes suivi par des sauts, le but est d'être synchronisé. Notre objectif est de proposer une mini chorégraphie aux juniors pour les intégrer dans le gala de clôture de demain après-midi. J'avoue que le sérieux de ces jeunes m'impressionne et le travail est fait en moins d'une heure. Il reste même du temps libre que je comble en répétant mon ancien programme libre.
Yuzuru ne concours pas et couvre le GP comme consultant pour une chaîne TV sportive. Il me regarde évoluer depuis le bord de la patinoire et m'interroge:
- Lauren, pourquoi reprendre le programme des JO ? Tu as proposé un autre en France.
- Je sais mais j'ai envie de faire plaisir au public. Mon nouveau programme sera pour le gala de dimanche.
- Je comprends et c'est très gentil à toi de faire ce cadeau. Prête ?
Je lève mes deux pouces en quittant la glace. Vivement cet après-midi pour la compétition. Je me sens prête, sereine aussi.

Il m'a fallu attendre une heure avant de pouvoir passer en avant derrière position. Cela ne me dérange pas de patienter, j'écoute ma musique, me concentre en m'appuyant contre un mur et rentre dans ma bulle. Je jette un dernier coup d'œil à mon téléphone et vois une photo de Daniel souriant avec un « good luck » inscrit sur un panneau. C'est mignon qu'il m'encourage à distance. Je lui réponds simplement par : « passage dans 5 minutes - te tiens au courant »
Se retrouver au milieu de la patinoire, en position et attendre que la musique démarre est le pire moment pour moi. On souffle pour évacuer le trop plein de stress, retrouver un rythme cardiaque correct et faire le vide dans son esprit. J'imagine mon cerveau se connecter aux premières notes de la musique, donner les ordres à mon corps et que tout s'enchaîne ... c'est pile ou face. J'ai été victime dans le passé de passage à blanc, de trac, d'enchaînement d'erreurs qui nous plombent une compétition. C'est ce genre de scénario qu'on veut tous éviter.
J'attaque mon introduction suivie ce par une prise de vitesse afin d'exécuter ma première combinaison de saut, un quad suivi d'un triple qui passent parfaitement. C'est bon, je suis dans mon programme. J'enchaîne avec mes difficultés, des pirouettes avec changement de pied et ma fameuse attitude de fente Bauer qui s'effectue au moment où la musique est la plus belle. Le triple Axel passe aussi. Je termine avec une pirouette combinée avec une Biellmann et m'arrête à la toute dernière note de musique. J'ai tout donné et reprend mon souffle avant d'afficher un sourire au public et en saluant les 4 côtés de la patinoire.
Un tsunami de fleurs et de peluches déferle sur la glace et je remercie encore un fois le public en répétant de profonds saluts comme savent si bien le faire les japonais, avec beaucoup de considération et de respect.
Les notes arrivent après de longues minutes et le total cumulé est de 205.33.
Je suis très content et je prends la tête du classement. Il reste la jeune coréenne et la compétition sera terminée. Au pire, je serais deuxième mais ...
5 minutes plus tard, je peux savourer la première marche du podium et cumuler mes points pour participer calmement au prochain GP à Espoo.
Yuzuru me prend dans ses bras après la cérémonie et vient me poser des questions sur ma compétition. J'essaye d'être la plus honnête possible et reviens, à sa demande, sur la Charity Race. Cela avait fait un buzz monumental et la vidéo retraçant cet événement a été vue plus d'un million de fois. C'est de la folie. Comme quoi, associer patinage et pilotage, cela peut faire des étincelles au Japon.
Je n'ai qu'une hâte, c'est d'annoncer mon résultat à mes amis et à Daniel. Je publie un poste Insta avec ma médaille et un magnifique sourire #NhkJapan2022 #I-did-it et #sohappy
Mon téléphone sonne immédiatement, c'est mon australien:
- Salut Sweetheard. Bravo, tu as déchiré. J'ai adoré ton programme mais la dernière pirouette a été changée non ?
- Hello mon cœur. Merci. Comment tu sais ça toi ? Tu as vu la compétition ?
Je suis très étonnée pas son commentaire car effectivement j'avais adapté ma pirouette ce matin.
Je l'entends rigoler et des voix se font entendre derrière lui.
- Hmm oui, j'ai demandé à Yuki de me trouver un live streaming sur internet. C'est ton pote Yuzuru qui commentait. J'ai rien compris mais je t'ai vu en direct.
- Oh ... je ... merci Dany. Yuki est encore avec toi ?
- Oui il est au téléphone avec sa mère et sa sœur. Elles sont venues te voir et Yuki te remercie pour les billets. Voilà j'ai transmis !
Avec ce qu'il a fait à Naomi, je n'ai pas envie de lui faire la conversation et je préfère l'éviter.
- C'est rien, je tiens mes promesses. Il y aura eu deux heureuses dans le public. C'est bien. Et toi ? Comment la qualification ?
- on y va dans une heure, j'ai hâte de la faire et surtout d'être à demain. Ça sera ma dernière course de cette saison 2022.
- Je sais Dany. Tu vas y arriver et avec la tête haute, satisfait de ce que tu auras fait. Pas de rancune et pas de reproche à te faire. OK ?
- Oui Madame. La tête haute. J'aime bien ta façon de motiver ton bonhomme ma belle.
- Je sais. J'ai encore passablement d'interviews et ça va être impossible de voir la qualification. On s'appelle après ? Je serais à l'hôtel dans 2 bonnes heures. Bonne chance Daniel.
- Ok à toute Sweetheard.
- Dany ... fait attention et amuse-toi.
Il avait raccroché très rapidement, certainement déjà en retard pour sa préparation.
Mes obligations médiatiques terminées, je peux enfin retrouver ma chambre d'hôtel et souffler. Évidemment je ne précipite sur mon ordinateur et ouvre l'application F1 pour avoir toutes les informations et voir le replay. Comment dire ce que je vois ? P10 pour le numéro 3 avec en plus une pénalité de 3 rangs pour cause d'accident. J'ose pas imaginer sa déception et lui envoie un vocal qui reste sans réponse. J'insiste et vois qu'il lit mes messages puisqu'il est en ligne sans toutefois me répondre. Ce n'est pas dans ses habitudes de me zapper ainsi mais je décide de prendre sur moi et je mets mon téléphone sur silencieux. Une bonne nuit de sommeil et on verra demain.
Comment expliquer ce bonheur de se réveiller sans sonnerie, d'avoir dormi comme un bébé d'une traite ? C'est juste merveilleux. Je suis étalée dans mon lit et profite de la vue que m'offre Sapporo. Il a neigé cette nuit et une fine couche blanche tient sur le sol. Je profite pour faire une photo et la publie sur mon profil. Dans 3 heures, je vais me produire pour le gala et reprendre direct un vol en direction de Shanghai où je resterai une petite nuit avant de continuer mon voyage pour la Finlande. Mais en attendant, je dois me bouger pour finir mes valises et manger quelque chose. Je meurs de faim !

Les gradins de la patinoire sont pleins et j'attends que Yuzuru. Les jeunes sont sur la glace et nous devons les rejoindre pour finir ce tableau d'ouverture. On se tape la main en rigolant, aucun stress pour nous. Le but est de donner du plaisir aux spectateurs et faire notre métier. Mon programme libre a eu succès sans précédent avec une standing ovation. Je ne peux que me réjouir de le présenter à nouveau.
J'attends le boarding pour mon vol et revérifie mon téléphone pour la centième fois. Daniel m'avait écrit un bref message mais sans plus. Il doit pas être au top et son silence m'interpelle. Lui qui partage ses émotions, ses joies ou ses craintes, il filtre totalement. Je ne le comprends pas. Je lui refais un vocal pour l'informer de mon vol et lui souhaiter une bonne course puis compose le numéro de Carlos qui répond après deux sonneries.
- Ola Laurena. Tu vas bien ?
- Konnichiwa Carlos. Ça va, je suis à Sapporo et vais prendre l'avion dans quelques minutes. Tu es prêt pour la course ?
- Oui, je parts en 3ème ligne mais cela va le faire.
- Dis-moi Carlos, tu as vu Daniel ? Il va comment ?
- Pourquoi tu lui demandes pas ? Je l'ai croisé dans le paddock et cela avait l'air de bien aller malgré sa pénalité.
Je soupire et reprends :
- Il ne répond pas à mes messages depuis hier. Je me doute bien qu'il est déçu mais je comprends pas trop.
- Laisse-le gérer, c'est un grand garçon. Il doit pouvoir gérer même si c'est sa dernière course pour McLaren.
- Justement Carlos !
- Ne t'inquiète pas, on va faire la parade des pilotes et vais lui parler. Ok Segnorina ?
- Merci Ombre. Fais attention à toi et déchire cette course.
- J'y compte bien ma belle et bon vol !

Charity race Formule oneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant