De feu et de glace

Chapitre 52

Chapitre 52

Sven

Il fait presque nuit lorsque nous nous arrêtons enfin de travailler. Trempé et le souffle saccadé, je me laisse tomber lourdement par terre pour admirer le crépuscule qui s'efface en laissant lentement place au ciel noir parsemé d'étoiles.

— Sven, c'est prêt.

La tête ailleurs, je me retourne et lance un regard à la dérobée à ma mère.

— Merci, j'arrive.

Je me relève, essuie mes mains sur ma chemise sale, puis me dirige vers l'entrée du faux tumulus. Pendant que les hommes construisaient une cariole à l'aide de bois trouvé dans la forêt, les femmes sont parties chasser afin de préparer de quoi manger. Faire un feu ainsi caché était risqué, mais nécessaire, pour requinquer les ventres vide des réfugiés. Ma mère me tend une gamelle remplie d'eau chaude pour que je puisse me laver. En m'éloignant du groupe attroupé autour des lapins en train de griller à la broche improvisée, je saisis au passage mon sac à dos, qui contient du savon et une tenue propre.

Des frissons recouvrent sur mon corps lorsque je me déshabille, le dos en appui contre un arbre. Les sens en alerte, je tends l'oreille au cas où les hommes d'Aesir auraient la bonne idée de nous tendre à nouveau une embuscade en pleine nuit. Une fois ma toilette de fortune terminée et mes nouveaux vêtements enfilés, je rejoins les autres pour me sustenter. Mon estomac gargouille, mais je me retiens de manger à ma faim pour en laisser davantage aux femmes et aux enfants. Tout le monde se nourrit de bon cœur et cette image me donne encore un peu plus de force pour reprendre ce que mon oncle m'a volé.

Egil presse sa main sur mon épaule pour attirer mon attention. Je me tourne vers lui.

— Je prends le premier tour de garde, cette nuit, il m'informe.

— Tu as compris comment fonctionne le fumoir ?

— Oui, Torve me l'a expliqué. Il ne doit surtout pas y avoir de feu, la fumée doit rester froide.

J'opine, et lui donne une accolade, fier de lui. Malgré son jeune âge, il se comporte déjà comme un adulte. L'un des avantages à connaître si tôt dans sa vie, des batailles. À la fin du dîner, je me faufile dans les entrailles du tunnel en prétextant vouloir surveiller ce côté-ci de notre abri cette nuit. Mais c'est un mensonge. En fait, je n'attends qu'une chose : que tout le monde soit endormi pour courir au plus vite vers la trappe dissimulée dans le plancher de ma chambre, afin de partir à la recherche d'Ingrid. Mon projet est risqué, voir de la pure folie.

J'ai passé la journée à réfléchir aux différents endroits où Ingrid pourrait être enfermée. Il n'y en a pas tant que ça. Soit dans la chambre de ma mère, dans nos cachots... ou dans la mienne. Une chance sur trois de frapper à la bonne porte. Aesir ne semblait pas occupé ma chambre, lors de mon dernier voyage avec Ingrid à Jelling. Aucunes affaires à lui n'y étaient entreposées, et rien n'avait bougé depuis mon départ. Je parie plutôt qu'il a élu domicile dans celle de ma mère, partagée autrefois avec mon père. La pièce est beaucoup plus spacieuse, la couche plus grande. Et avec son embonpoint, nul doute qu'il ait besoin de place... Compter sur la chance, n'est pas la meilleure idée que j'ai eu dans ma vie, loin de là.

Mais, tant qu'il subsiste un infime espoir de pouvoir à nouveau la serrer dans mes bras, je suis prêt à foncer tête baissée dans la gueule du loup, par amour pour ma petite Suédoise.

La main dans la poche de mon pantalon, je roule entre mes doigts les petits cailloux ramassés un peu plus tôt. Je prévois de les utiliser pour attirer l'attention de l'occupant de l'autre côté du battant, en priant pour que ce soit Ingrid qui ouvre la trappe et non, deux gardiens qui me sautent dessus. Je suis un gros malade. En agissant de la sorte, il se peut qu'Aesir ordonne ensuite à ce que tout le tunnel soit fouillé de fond en comble. Si tel est le cas, tous mes hommes, notre cheval de Troie tombent à l'eau à cause de mon impudence. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?