Chapitre 54

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Chapitre 54

Sven

Pendant ce temps-là...

— Folker, Torve, les circonstances font que nous ne pouvons pas procéder aux échanges d'épées comme le veut la coutume, mais cela se fera plus tard, d'accord ?

Un grognement sourd s'échappe de la bouche fermée de Folker, en guise de réponse. Quant à Torve, je vois bien qu'elle essaie de sourire à son nouvel époux, mais ne reçoit qu'un regard sombre et une mine renfrognée en retour, malgré ses efforts. D'un coup de coude, je fais comprendre à Folker qu'il est temps de passer l'anneau tressé en lierre au doigt de sa femme. Il sort la bague de fortune de sa poche et la passe sans aucune douceur à la main de cette dernière. Je roule des yeux et soupire bruyamment pour qu'il comprenne le message, en vain. Folker m'en veut toujours pour cette idée de mariage arrangé et compte bien continuer de me le rappeler. Dommage pour lui, c'est moi le jarl, et par conséquent, c'est moi qui décide.

Une fois l'échange des alliances faites, je les invite tous les deux à sceller ce moment par un baiser. Torve, dans sa robe lavée pour l'occasion, fait le premier pas vers Folker. Elle se penche vers lui, tandis qu'il recule, d'un air dégouté. Tout le monde assiste à cette malheureuse scène. N'en pouvant plus de son comportement digne d'un enfant, je lui mets une claque sur l'arrière du crâne. Il maugrée et dépose un bisou aussi furtif que rapide sur les lèvres de la pauvre Torve.

Ça y est, la corvée est enfin terminée. Leur mariage est scellé. Les rescapés de Jelling applaudissent avec peu d'engouement. En même temps, je les comprends. En principe, un mariage est un grand jour de fête, la cérémonie se veut belle, l'alcool et les victuailles coulent à flot. Alors que là, cachés dans le renfoncement de notre passage secret, avec quelques écureuils cuits en guise de dîner, l'impossibilité de danser, rire à tue-tête et chanter, l'ambiance n'est pas la même.

Malgré tout, aujourd'hui est un grand jour, et j'ai hâte d'annoncer la bonne nouvelle à Ingrid cette nuit. Malgré le temps de chien que nous avons eu depuis la construction du fumoir, tout le muguet ramassé est désormais sec. Les femmes ont passé la journée à réduire les clochettes en la plus fine poudre possible. Depuis, ma mère veille sur notre précieuse préparation et ne la quitte pas un instant des yeux. Tout est prêt pour l'attaque. Demain, les hommes seront de corvée de chasse et de cueillette de morilles. Nous devons ramener le plus de gibier possible et préparer le plus succulent des repas, en espérant réussir à passer les portes de Jelling.

Dans deux jours, notre cheval de Troie entrera dans la ville. Il ne nous restera plus qu'à attendre que tout le monde soit malade et plus en état de se battre, pour donner l'assaut le lendemain matin.

Comme chaque nuit, il me tarde que tout le monde dorme pour rejoindre ma petite Suédoise en douce. Personne n'est encore au courant de mes escapades nocturnes et des gamelles que j'entasse en secret dans un coin du tunnel. Demain, j'avouerais tout à ma mère, Folker et Egil. Je préfère attendre le dernier moment pour leur avouer où j'allais ces dernières nuits, car je sais pertinemment qu'ils m'auraient empêchés de voir Ingrid s'ils l'avaient appris plus tôt.

Mon cœur bat à chacun de mes pas un peu plus fort, car il sent que je me rapproche de la femme que j'aime. Le sourire aux lèvres, je couvre le plus rapidement possible la distance qui nous séparent l'un de l'autre. Ingrid me manque chaque jour davantage. Nos retrouvailles sont à la fois le meilleur moment de ma journée et aussi le pire, car il ne dure jamais assez longtemps à mon goût. Devoir m'en aller et la laisser entre les griffes me tord le ventre. À chaque fois qu'elle ferme la trappe au-dessus de ma tête, je redoute que ce soit la dernière fois que je la vois... vivante. La pitié, la compassion n'ont pas leur place dans mon époque.

De feu et de glaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant