1.

400 26 5
                                    

Si j'avais seulement le courage de dire quelque chose. De briser le silence qui s'est installé depuis une bonne minute entre moi et mon nouvel appartement rempli de cartons, plein à craquer de vêtements, de livres et d'autres tas de fournitures dont je doute sérieusement de leur utilité. Enfin peu importe, on y est.

J'ai choisi de partir. De quitter le nid. D'ouvrir mes ailes. Alors même que je ne sais pas voler et que je n'ai pas la moindre idée de ce que je compte faire de ma vie. Donc me voilà à Sydney ! Après des mois à chasser l'appartement idéal, j'ai du me battre corps et âme pour obtenir cette perle tout droit sortie du quartier de Bellevue Hill. Situé dans l'est de la ville, j'ai l'impression d'être perchée sur le toit de la ville et de survoler l'océan vu d'ici. Je ne saurai dire si je suis en train de mourir de peur comme une petite fille ou de planer à cause d'une trop forte dose d'excitation. J'ai rêvé depuis trop longtemps de cette vie.

— "Tu es sûr que tu ne veux pas rester avec moi ?", lançais-je à ma tante d'un rire nerveux.

Car oui, je ne suis pas non plus complètement seule au monde. Ma tante vit aussi dans cette grande et monstrueuse cité au bord de l'océan. Sans elle, je ne sais pas ce que j'aurai fait pour me rendre à l'Université de Sidney ce matin sans sa voiture. D'ailleurs, nous voilà presque arrivés à bon port.

— .".. J'aurais adoré, Jules, mais je suis déjà en retard... Ce soir, je t'invite, et tu me raconteras tout. Ok ?" sourit-elle derrière le volant de son quatre-quatre bleu marine assez imposant.

Ma tante s'appelle Gwen, elle est vétérinaire. Et passionnée par son travail. Elle a quitté l'Amérique et toute la famille le jour de ses dix huit ans pour aller étudier ici. Cette histoire me fait tragiquement penser à la mienne.

— "Je sens que ça va bien se passer", ajoute-t-elle. "C'est ton premier jour ! Rien de bien méchant ne peut t'arriver, souris un peu !"

Toujours flambante d'énergie, ses mèches brune s'envolent dans la brise, son large sourire scintille et le verre noir de ses lunettes de soleil fait miroiter les rayons du soleil. Et la voilà qui disparaît en enfonçant quelque coups de klaxon, me laissant comme prévu à l'entrée de l'université, pile à l'heure. Après tout, Gwen a raison. Aujourd'hui est un jour spécial. Mon tout premier pas officiel dans cette école. Ça, c'est fait. Mes pieds écrasent la pelouse verte incendiée par le soleil, peuplée d'un essaim dispersé d'étudiants bavards et parcourants de tous côtés les chemins menant aux portes centrales au bout de l'allée. Je me laisse entraîner dans la petite foule chancelante de première années comme moi et franchis les grandes portes avec une boule au ventre tenace.

Mais très vite, ma nervosité se dissipe lorsque j'assiste à mes premiers cours. J'ai de plus en plus de mal à réaliser que je sois actuellement dans cette école réputée. Que je sois partie de New York pour étudier ce que j'aime le plus. Bien vite, je prends même un vilain plaisir à déambuler jusqu'à mon ultime cours de la journée.

— "... Bienvenue à votre tout premier cours de biochimie. Ceci est un cours spécial facultatif réservé aux élèves en première année de médecine. Veuillez récupérer une brochure avant que le cours ne commence."

Une dame posée sur l'estrade au coeur de l'amphithéâtre commence directement le classique speech d'entrée. Accompagnée par un jeune étudiant à ses côtés, adossé près du tableau à craies qui ne semble presque pas l'écouter. Je ne m'attendais pas à devoir subir le même discours monotone dans chaque matières.

La salle est déjà pleine à craquer, toutes les rangées bourdonnent comme une ruche à cause de la foule de gens qui se presse dans les sièges métalliques. Je sens mon coeur palpiter nerveusement dans ma poitrine en voyant qu'il ne reste plus qu'une poignée de places au tout  premier rang. Sans attendre, j'y jette mon sac avant qu'un autre élève ne me pique ce précieux siège, puis m'affale derrière le petit pupitre étroit. J'ignorais que tant de monde avait postulé pour cette option, bon sang.

— "Pour débuter ce premier cours du semestre... Comme vous avez pu le remarquer dans les programmes en ligne, nous ferons souvent appel à des spécialistes en dernière année pour certains domaines spécifiques de cette matière. C'est pourquoi, pour cette première séance, je cède la parole à notre premier enseignant provisoire, qui est également étudiant de cette institution, Gale Hunter. Je lui souhaite la bienvenue."

Le cours débute enfin, et l'étudiant qui somnolait patiemment derrière cette femme s'avance subitement vers l'avant de la scène. Au même instant, mon téléphone vibre à plusieurs reprises dans ma poche et ne souhaite manifestement pas s'arrêter. Merde. Sans la moindre surprise, je constate en y jetant un bref coup d'oeil qu'il s'agit de mon père et de ma mère, cherchant à me joindre inlassablement. Cette vision me soulève le coeur : je ne leur ai pas adressé un seul mot depuis le jour de mon départ, après notre violente rupture. J'ignore totalement quoi faire. Après ma fuite en Australie, je me suis jurée de laisser cette vie derrière moi. Mauvais timing papa maman. J'éteins sans réfléchir le portable, me résignant à ignorer ces appels, lorsqu'une silhouette face à moi me fait spontanément relever le menton.

- "Je vous dérange ?"

Un spasme se propage dans mon ventre lorsque je constate que le professeur se tient perché au-dessus de moi, avec un regard profondément agacé taillé dans son visage de marbre. Son allure me fait froid dans le dos. Pendant un bref instant j'en viens presque à douter qu'il soit un professeur : il est atrocement jeune.

— "Je suis désolée, j'étais justement en train de..." balbutiais-je en rangeant frénétiquement mon téléphone dans mon sac.

— "D'envoyer un message à votre petit-ami au sujet de votre week-end passionnant à la montagne ? Oui, pas la peine de nous raconter les détails. Si vous n'êtes pas intéressée par le cours, vous pouvez sortir. Il n'est pas encore trop tard.", lance-t-il au quart de tour en me coupant sèchement.

L'instant d'après, il fait volte-face, les mains toujours enfoncées dans les poches, s'en retournant vers le tableau comme si de rien n'était. Son regard, glacé et tranchant, n'omet pas de me gifler durement, me remplissant d'une honte brûlante. Mon cœur se serre sous ce reproche parfaitement injuste.

Le silence qui s'ensuit est littéralement assourdissant, plus oppressant que le poids des regards fixés sur moi. Mes mains deviennent moites, et je sens une chaleur intense envahir mes joues. Mon esprit tourbillonne une seconde, désorienté par la cruauté de ses paroles. La salle, qui était il y a deux minutes, pleine de chuchotements et de rires étouffés, est maintenant submergée par un calme sinistre. Des murmures lointains commencent à s'élever derrière moi, se propageant comme une traînée de poudre. Je perçois la vague de regards de tout l'amphithéâtre, chacun amplifiant ma gêne et mon embarras. Le poids de leur attention me fait vaciller, et je lutte pour ne pas montrer à quel point ses mots m'ont dévastée.

— "... Je disais seulement que j'étais justement en train de l'éteindre... Je ne peux pas me désintéresser d'un cours que je n'ai pas encore écouté," murmurais-je avec une montée d'espoir de pouvoir clarifier mon intention.

Mais mon sourire se fane en croisant son regard perçant. Le cours vient tout juste de commencer et je crois n'avoir jamais autant fait fort dès le début. J'ai si honte à cet instant, que je pourrai presque sentir mes organes se tasser dans le fin fond de mon ventre et mes doigts de pieds se retrousser dans mes chaussures. Ma petite excuse le fait se figer un court instant. Puis, il tourne spontanément son regard vers moi, je me sens alors comme attaquée. Son regard est très puissant.

— "Vous viendrez me voir à la fin de l'heure si vous avez des questions, on a assez fait causette. J'ai un cours à donner," termine-t-il froidement tout en ignorant magistralement mes pitoyables excuses.

Alors . J'ignore si ce prof est juste par nature particulièrement violent et agressif, ou si, je viens juste de ficher en l'air tout mon semestre dans cette matière en me mettant un professeur à dos involontairement. Ce qui est certain, c'est qu'on dirait que j'ai fait un sans-faute pour me faire remarquer et rater ce premier cours. Tout ce dont je suis sûr, c'est que la journée ne saura être pire après ça.

Du moins, je l'espère.

The Bad One - JungkookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant