Chapitre I (partie 2)

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Une grande partie de la journée passa. Il était temps pour Asmaelle de cesser son travail les pieds dans l'eau et de se rendre à l'infirmerie.

- Mon amie, je vais m'en aller et donner ce qui reste de mon énergie pour les blessés, déclara Asmaelle à l'elfe la plus proche d'elle.

- Tu fais bien, mais ne t'épuise pas trop.

- Bien sûr. On se retrouve au dîner ?

- Oui, à ce soir.

Asmaelle lui offrit un dernier sourire avant de s'éloigner du rivage. Pour aller à l'infirmerie, il fallait rejoindre la forêt tropicale, dépasser les dernières cabanes encore debout - qui servaient à l'origine d'habitations - et de suivre le son de la cascade. Le netsu s'approchait doucement de l'horizon et le ciel n'allait pas tarder à prendre différentes couleurs. L'orange viendra se fondre avec le bleu habituel du ciel et les nuages seront peints d'un rose et d'un violet hypnotisant. Elle croisait sur le chemin d'autres elfes toujours en train de travailler. On pouvait lire sur le visage de chacun l'épuisement et le chagrin. Ce n'était que le début d'une longue souffrance.

Subitement, elle entendit de grandes agitations inhabituelles provenant de la forêt. De nombreuses voix se mélangeaient avec des rires, des claquements de pas qui approchaient et le bruissement des branches qui se faisaient piétiner. Il y avait du monde qui s'approchait rapidement et droit vers elle. En quelques secondes apparut d'abord Maescia et une autre Dona, suivies de près par une dizaine de guerriers, puis une trentaine. Le nombre ne faisait qu'augmenter et il n'était plus possible de les compter. Peut-être étaient-ils plusieurs centaines. D'un pas précipité, Asmaelle se cacha derrière les décombres d'une cabane. Elle pouvait continuer de les regarder sans qu'elle ne soit vue. Il y avait face à elle toute une troupe de guerriers tous plus impressionnants les uns que les autres. Asmaelle se sentait tout à coup petite et seules des créatures marines lui avaient provoqué ce sentiment avant. Jamais des elfes.

Elle se sentait déstabilisée par ce qui émanait de tous ces guerriers. Ils étaient tous vêtus de leur uniforme noir qui leur collait à la peau et qui les recouvrait jusqu'au bout de leurs membres. Leurs uniformes étaient aussi opaques qu'une toile tissée à la main. Elle se sentait bien dénudée dans sa robe fluide qui reposait faiblement sur ses épaules et glissait sur ses pieds déchaussés. Il fallut un temps qui parut une éternité avant que la troupe ne disparaisse. Leur passage avait rendu le calme de la plage presque bourdonnant.

Lorsqu'elle entra dans l'infirmerie, l'atmosphère était telle qu'elle se l'imaginait. Chaotique et bruyante. Les elfes allaient et venaient de partout. Des draps propres dans les mains d'un elfe, et des draps tâchés de sang dans ceux d'un autre. Du sang, il y en avait partout. A cela s'ajoutaient les cris de douleurs des blessés dont la souffrance ne pouvait s'apaiser. Nombreux d'entre eux avaient les os fracturés. Les branches et troncs d'arbres pouvaient être impitoyables lorsqu'ils s'écroulaient sur quiconque.

Malgré tout ce désordre, Asmaelle avait un objectif : trouver Sakeil. La pauvre enfant était tombée dans le trou d'un arbre déterré et sa jambe s'était brisée en deux sous le choc. Il avait été tellement brutal que son fémur avait transpercé sa peau. Asmaelle était juste à côté d'elle lorsque l'accident est arrivé.

Elle retrouva la petite elfe au fond de l'infirmerie, au milieu d'autres enfants. Le cas de Sakeil faisait partie des pires. Elle était allongée sur une paillasse, ses yeux étaient clos et sa respiration très lente. Asmaelle s'était agenouillée près d'elle et l'observait, muette.

- Elle est ainsi depuis plusieurs heures déjà, murmurait une soigneuse à Asmaelle. La pauvre est entrée dans un état d'inconscience et nous ne pouvons rien faire pour la faire revenir. Les soigneurs pensent que son inconscience est dû au fait qu'elle se serait cogné la tête lors de la chute. Il se peut que l'intérieur de son crâne soit dans un état pire que celui de sa jambe.

Une boule désagréable augmenta au creux de sa poitrine. Asmaelle cligna des yeux pour faire disparaître les picotements qui l'irritaient. Elle s'en voulait terriblement. Elle n'avait qu'une chose à faire cette nuit-là et c'était de la protéger. Elle avait échoué lamentablement. Les images de cette terrible nuit défilaient dans son esprit. Elle pouvait encore ressentir la panique qui l'avait habitée, ses membres en tremblaient encore. Elle n'avait jamais été aussi déçue et honteuse d'elle-même.

- Au moins elle ne souffre pas en étant inconsciente, se rassura-t-elle. Enfin, j'ose l'espérer.

Asmaelle déposa une main sur celle de Sakeil et ferma ses doigts autour des siens. Elle qui avait pour habitude le teint hâlé et des cheveux roux lumineux, son teint était devenu grisâtre et avait perdu tout ce qui faisait d'elle une petite elfe en bonne santé. Asmaelle n'osait jeter un œil sur sa jambe mais demanda tout de même s'il y avait des chances pour qu'elle guérisse.

- Je crains que la pauvre ne puisse marcher comme elle le faisait avant, lui expliqua-t-on. Si elle se réveille, elle pourra oublier le travail dans les champs. Elle restera sûrement dans les cuisines avec les plus vieux d'entre nous, ou peut-être les plus invalides.

- Elle qui aimait tellement ça...

Asmaelle caressa les cheveux secs et remplis de sable de Sakeil avant de se lever. Elle approcha ses mains du drap pour les relever, découvrant ses jambes. Elle les couvrit aussitôt. Ce qu'elle ne possédait n'était plus une jambe mais un morceau de chair déchiqueté. Elle dû se retenir pour ne pas se laisser contrôler par le dégoût. Soudainement, les gémissements de blessés et l'odeur du sang lui montèrent au visage tel un tsunami dévastateur. Son cœur accéléra. Ses mains se prirent de secousses irrépressibles. Des sueurs froides lui traversèrent le corps et ses épaules devinrent lourdes.

Non ! Elle devait garder le contrôle.

Comme elle a toujours su le faire.

Le contrôle.

Contrôle.

- Où a-t-on besoin de mon aide ? demanda-t-elle avec fermeté.

- Les bandages, c'est la catastrophe. On a besoin de bandages propres. Il faudrait en trouver des neufs ou en faire de nouveaux en les ébouillantant.

- Très bien, j'y vais tout de suite.

La Vengeance Des DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant