Chapitre V (partie 2)

2 2 0
                                    

La nuit tombait doucement et Asmaelle marchait depuis près d'un demi tour de sablier. La douleur qu'elle avait ressenti au fond de son ventre et sa poitrine était encore présente mais son cœur semblait suivre un rythme plus régulier. Respirer semblait plus aisé également. Alors qu'elle s'approchait doucement de la grotte qui avait servi d'abri lors de la tempête, un bruit étrange retint son attention. Il fallait qu'elle s'approche pour mieux distinguer d'où ils provenaient et leur nature. Avant même qu'elle ne voit ce qui produisait ces sons, elle reconnut à l'écoute de gémissement ainsi que de respirations fortes et entrecoupées que deux elfes s'adonnaient aux plaisirs de la chair. Ces derniers étaient éclairés par deux boules oranges qui volaient au-dessus de leur corps. Les remords se présentèrent dès lors qu'elle reconnut les deux elfes.

Le capitaine Kay se donnait, dans un rythme effréné, au corps de la commandante Sarya. Elle était au-dessus de lui et donnait des coups de reins d'une brutalité presque bestiale. Rien ne pouvait plus l'écoeurer à ce moment que cette scène. C'étaient des images qu'elle ne pourrait oublier avant des semaines, voire des saisons. Les deux elfes sigreliens n'avaient pas vu Asmaelle, cachée derrière de grandes feuilles d'un palmier.

Cette dernière, d'un pas léger, tenta de s'extraire de ce lieu en toute discrétion. Seulement, le sol n'était pas éclairé et son pied nu atterrit sur une pierre aussi coupante qu'un couteau neuf. Elle ne put retenir son gémissement. Instantanément, Asmaelle se retrouva renversée sur le sol. Une chose enroulée à sa cheville l'avait brutalement déséquilibrée. La chute avait été douloureuse. Son menton s'était cogné contre le sol et sa langue avait été tranchée par ses dents.

Un mélange de peur et d'adrénaline abondait à présent dans ses veines. Malgré le sang dans sa bouche et la plaie sur son menton, Asmaelle se jeta sur son pied pour le libérer d'une étrange liane enroulée tout autour de sa cheville. Elle entendait au loin des pas se rapprocher, c'étaient ceux du capitaine et de la commandante. Se retrouver face à ces deux-là était la dernière chose qu'elle souhaitait. Asmaelle estimait s'être confrontée à suffisamment d'émotions négatives. Elle était passée par la déchirure de perdre quelqu'un, la colère, la culpabilité et puis le dégoût. Faire face à ces deux sigreliens ajouterait de l'embarras inutilement.

Tant bien que mal, elle réussit à se libérer avant qu'ils ne la retrouve et se mit à courir le plus rapidement possible dans une direction aléatoire.

— Arrêtez-vous, cria-t-on derrière elle.

Elle avait reconnu la voix du capitaine. Il la poursuivait. Asmaelle reconnut rapidement l'endroit vers lequel elle se dirigeait, c'était droit vers la falaise. Subitement, le vent, qui soufflait initialement doucement, se mit à souffler avec violence. La voix du capitaine Kay résonnait encore dans son dos. Elle ne comprenait pas pourquoi il s'acharnait tant à la retrouver. A croire qu'elle n'aurait jamais dû assister à ce qu'il s'était passé entre lui et la commandante. Était-ce encore un faux pas de la part du capitaine ?

Asmaelle augmenta alors sa vitesse pour le semer. Cependant, alors que le vent altérait déjà ses repères, une pluie diluvienne s'abattit sur la forêt et un flash effroyable s'immisça dans l'esprit d'Asmaelle. Comme à cet instant, il y avait un vent à en faire déraciner les arbres et une pluie presque aussi perforante que des aiguilles. A côté d'elle courait une petite elfe mais, à cause du manque de vigilance d'Asmaelle, l'enfant rencontra un trou dans la terre qui lui déchira un hurlement de douleur. 

Alors que ces images bouleversantes avaient presque remplacé son champ de vision, une boule de feu aussi grosse qu'une noix de coco lui frôla la tempe. Cette boule poursuivit son chemin droit devant elle pour se perdre dans l'horizon, lui faisant prendre conscience que le bord de la falaise n'était qu'à quelques pas. Asmaelle reprit totalement ses esprits et cessa immédiatement sa course. Il n'a fallu que très peu de temps au capitaine pour la retrouver. Il était suivi de près par la commandante.

— Asmaelle c'est vous, souffla-t-il comme rassuré. Que faites-vous ici ?

Le ton du capitaine se voulait calme et rassurant, mais le visage de la commandante trahissait de la méfiance.

— N'êtes-vous pas censée être à la veillée de Sakeil ?

— Je l'étais, répondit-elle. J'ai seulement voulu me promener pour me vider l'esprit et... je suis tombée sur vous.

— Nous ne faisions rien de mal, déclara la commandante.

Cette dernière avait remarqué l'expression sur le visage d'Asmaelle remplit de dégoût et de jugement.

— Vous ne faisiez rien de mal... Vous n'avez donc aucun respect, aucune compassion ? demanda Asmaelle d'un ton plus agressif. On doit supporter vos chants tous les soirs sans que vous ne preniez en compte notre souffrance et vous osez coucher dans la forêt alors qu'on vient de perdre l'une des nôtres. Vous êtes quel genre d'elfes au juste ? Vous les guerriers sigreliens, vous pensez pouvoir faire ce qui vous plaît lorsque vous en avez envie. Mais laissez-moi vous dire que la colère d'Ophara vous tombera bientôt sur les épaules, et lorsque que cela arrivera, j'en serai ravie.

— Doucement avec les insultes et les menaces, vamaelys. On ne faisait que nous détendre. Je crois que vous ne vous rendez pas compte de qui vous avez en face de vous, lui rappela la commandante.

— Oh si, je crois très bien savoir. 

Kay, les sourcils froncés, s'approcha pas à pas d'elle. Cette dernière ne pouvait reculer davantage au risque de tomber dans le vide.

— Asmaelle, au nom de tous les guerrières sigreliens, je vous assure que nous ne voulions pas vous causer de la peine. Si on vous a fait peur, on en est désolé. On a seulement été surpris et Sarya peut parfois user avec impulsivité de sa ma...

Kay interrompit sa phrase mais Asmaelle devina la fin.

— Comment allez-vous, Asmaelle ? Nous n'avons pas eu l'occasion de nous voir depuis le décès de Sakeil.

— Ce n'est que maintenant que vous vous inquiétez ?

— Je n'avais pas le temps de... Enfin, j'étais occupé pour des affaires.

— Pour faire l'amour dans la forêt vous voulez dire ? Parce que vous n'êtes que des elfes en ruts incapables de vous contrôler peu importe les circonstances ?

— Maintenant, ça suffit.

La commandante leva les bras en l'air et deux grandes lianes apparurent, s'élevant en suivant les mouvements de Sarya.

— Je vais vous montrer comment les sigreliens punissent ceux qui ne savent tenir leur langue.

Alors que les deux lianes furent projetées droit vers Asmaelle, un éclair d'une puissance incroyable apparut et brûla les lianes en un rien de temps.

— C'était toi, Kay ? lui demanda la commandante, totalement abasourdie.

— Je... Ne faites pas de mal à Asmaelle, commandante. Elle traverse une grande souffrance. Ses mots dépassent sa pensée, j'en suis certain.

— Je rêve où tu ressens de la sympathie pour elle ? La mission que je t'ai donnée n'était-elle pas suffisante ? Il a fallu que tu te lies d'amitié avec cette...elfe.

— Il n'y a aucun lien d'amitié entre votre capitaine et moi, rétorqua Asmaelle. Comment pourrais-je apprécier l'un d'entre vous ?

Ne pouvant supporter davantage les mots de cette dernière, Sarya tenta à nouveau de s'attaquer à elle grâce à sa magie. Des racines longues et épaisses sortirent du sol. Elles allaient servir de fouets que la commandante pouvait contrôler à distance. Alors qu'une des deux racine allait s'adonner au premier coup, le cri de Kay résonna. Il vint brutalement frapper son poing sur le sol, faisant rugir la roche. Une onde violente d'électricité traversa Asmaelle, lui crispa les muscles et la fit tomber à terre. Jamais elle n'avait connu de douleur aussi fulgurante.

Asmaelle et Kay eurent le temps d'échanger un dernier regard avant que la roche sous leurs pieds ne se mirent à trembler, puis à céder. Les trois elfes furent emportés dans une terrible chute interminable. Asmaelle eut comme dernière image dans son esprit le visage désolé du capitaine avant de plonger dans l'eau salée de l'océan, qui lui claqua le corps lors de l'impact.

La Vengeance Des DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant